Affaire Lalès : « Pour fuir, il leur suffisait de tirer en l’air »
Les enquêteurs ont exposé aux assises, à Aix, les éléments conduisant à l’interpellation des accusés, après le meurtre à Vitrolles du policier varois qui avait transformé de simples casses en tragédie
En tuant accidentellement leur complice, par cette rafale insensée, doublement meurtrière, de kalachnikov, le gang des voleurs de crevettes a-il signé ses crimes ? Cette nuit-là, ce 28 novembre 2011, au beau milieu de la zone industrielle des Estroublans à Vitrolles, c’est le chaos. Trois malfaiteurs sont parvenus à prendre la fuite à pied, leur puissante Audi est restée piégée par une herse jetée par la police et deux hommes sont à terre. Un policier aixois, Éric Lalès, dans un état désespéré après avoir reçu trois balles dont une dans la tête. Et un membre du commando, sa cagoule ensanglantée encore sur la tête, fauché alors qu’il s’apprêtait à fuir. « L’identification de cette victime est intervenue quelques heures après. Il s’agissait de Patrick Lombard, un gitan de l’Estaque bien connu pour des vols et des braquages », relate le directeur d’enquête, le commissaire divisionnaire Damien Delaby. Rapidement des renseignements parviennent à la police, livrant une série de noms, dont Dominici, Bengler, Bonati…
Placés sur écoute
« Ce qui nous paraissait pertinent, poursuit le commissaire. Car ils font tous partie de l’entourage amical ou familial de Lombard.» Illico, tout le monde est placé sur écoute. « Et curieusement, ils n’utilisaient plus trop leur téléphone portable », observe l’enquêteur, qui recueillera dans la foulée deux témoignages sous X, « confortés par les expertises génétiques et odorologiques». Sous le coup d’un mandat d’arrêt pour une histoire de braquage, Jean-Baptiste Dominici, décrit comme le donneur d’ordre, était interpellé le premier le 24 décembre. Quelques jours plus tard, c’était le tour de Lionel Le Graciet, lui aussi en cavale, soupçonné d’avoir aidé les malfaiteurs dans leur fuite. Suivront Jean Bengler, Auguste Debard et Bruno Bonati. « Même devant les évidences, ils n’ont rien dit. Car ce sont des malfaiteurs chevronnés, assène le policier à la cour d’assises. Mais tous ces éléments viennent former un puzzle cohérent. Et je peux vous assurer que malgré l’émotion, elle n’a jamais entraîné un manque de technique de notre part. »
« Une institution a été meurtrie»
« C’est pas une déposition, c’est un réquisitoire, explose en défense de Jean Bengler, Me Marsigny. Le témoin n’a pas à faire état de sa conviction personnelle. » Mais le commissaire est bien décidé à faire passer un message, destiné avant tout à l’institution policière, faisant légèrement abstraction des règles qui prévalent dans une cour d’assises. « Je vous demande de rendre la justice et de confirmer la culpabilité des accusés, s’emballe le directeur d’enquête, endossant le rôle de l’avocat général. Une institution
Appel d’urgence en mer : le
a été meurtrie. » La défense fulmine, sciée par un tel aplomb. Quelques heures plus tôt, pourtant, elle avait réussi à marquer des points.
«La vocation de tuer »
À l’issue de la déposition du commandant Frédéric Delaplace, chargé de résumer les trois casses opérés cette tragique nuit dans divers magasins du département suivis de la coursepoursuite de Venelles à Vitrolles, Me Marsigny et Me Rebstock lui demandaient tout net s’il avait « la preuve que Bengler et Dominici étaient dans l’Audi le soir des faits ». « Je ne peux pas avoir une preuve formelle de leur présence ce soir-là, était bien obligé d’admettre le policier. Mais ils ont été dans cette voiture à un moment ou à un autre…» En revanche, le commandant est certain d’une chose : « Pour prendre la fuite, ils n’avaient pas à faire feu sur la voiture de la Bac. Il leur suffisait de tirer en l’air. Les deux policiers aixois n’auraient jamais pu les interpeller. D’autant qu’ils savaient qu’ils ne pouvaient pas se défendre face à une kalachnikov. » « Dans l’esprit de celui qui fait feu, ces tirs avaient pour vocation de tuer », rebondit Me Molina, conseil de la famille d’Éric Lalès. «Quand on tire avec une arme de ce type, à hauteur de pare-brise, on ne peut pas imaginer que ça passera à côté...», conclut-il.