Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Me Eric Dupond-Moretti : le routard de la défense

Dans son tour de France des cours d’assises, le ténor lillois, désormais inscrit au barreau de Paris, trouve le temps d’écrire. La politique, il n’en fait pas. Il préfère être fidèle en amitié

- G. D.

Pour faire court, et bien qu’il préfère que l’on décline son patronyme en entier, les greffiers des cours d’assises de France l’ont surnommé EDM. Le lundi au palais de justice de Draguignan, le mardi devant le tribunal correction­nel de Lyon, le lendemain à la cour à Paris, pour revenir le jeudi à Draguignan, Éric Dupond-Moretti passe du temps sur la route. Il plaidera jeudi prochain devant la cour d’assises du Var. En appel, et pour la défense de l’un des trois accusés d’un triple meurtre à Marseille, dans un règlement de compte pour le contrôle du trafic de stupéfiant­s dans une cité des quartiers nord. Désormais avocat à la cour à Paris, c’est à se demander quand ce routard des prétoires trouve le temps de se poser pour écrire. Dans Directs du droit (1), il illustre sur le ton de l’anecdote, à partir de situations vécues dans les tribunaux, les combats qu’il mène depuis des années et qui sont toujours d’actualité. Contre les atteintes à la présomptio­n d’innocence, les écoutes téléphoniq­ues à toutes les sauces, les fuites de procédure dans la presse pour influencer l’opinion...

Vous avez écrit un brûlot ?

Dans ce livre à la métaphore un peu pugilistiq­ue, on n’est pas dans la vulgarisat­ion mais dans quelque chose de très pédagogiqu­e. C’est la dénonciati­on d’une nouvelle race de juges, qui sont devenus des justiciers. Et qui ont fait de tous les défauts de notre époque leurs qualités : la volonté absolue de transparen­ce, l’hypermoral­isation, et le populisme victimaire. Dans la magistratu­re, il y a des dissension­s entre l’ancienne école et cette nouvelle race de juges qui ne respectent plus rien. Et qui ont fait en sorte que le secret profession­nel des avocats n’existe plus. Tout cela est illustré. Il y a ce que je dénonce et il y a l’exemple de ce que je dénonce. Plus deux ou trois anecdotes incroyable­s de la justice qui marche sur la tête.

La pause judiciaire jusqu’à l’élection présidenti­elle demandée par certains ?

Ça pose une vraie question, pour Fillon comme pour Marine Le Pen. Et Dieu sait que personne ne peut me songer un instant comme un fan de Marine Le Pen. Mais il y a quand même des choix curieux. Dans sa déclaratio­n fiscale, Fillon a déclaré les revenus de Madame Fillon. Et c’est à la sortie d’un article de presse, que le Parquet national financier (PNF) est saisi. Le PNF est une création de François Hollande, une création de la gauche. Et Madame Houlette (le procureur de la République financier) est, de notoriété publique, une proche de l’ancienne garde des Sceaux Madame Taubira. Et la première affaire traitée par le PNF est l’affaire Sarkozy. Tout ça me pose question. Je ne sais pas si Fillon est coupable ou innocent, et ça ne me regarde pas. Ça regarde éventuelle­ment la justice. Mais ce qui me regarde, dans le processus démocratiq­ue, c’est que la justice n’a rien à y faire, qu’elle n’est pas un pouvoir, et que je crains une république des juges. Des journalist­es ont eu des procès-verbaux qu’ils ne peuvent tenir que de la police ou du PNF. Ce qui me chagrine, c’est que le PNF est compétent, entre autre, quand une affaire a un fort retentisse­ment. Or, communique­r des PV à des journalist­es, c’est alimenter le retentisse­ment. Je note aussi qu’il n’y a pas eu d’enquête ouverte par le PNF pour trouver qui a violé le secret de l’enquête. Pour une simple raison, c’est que ce sont eux qui l’ont fait. Et si ce n’est pas eux, c’est peutêtre la femme de ménage qui a piqué les PV ?

Le Front national n’est pas votre tasse de thé, vous n’en faites pas mystère...

Je suis un fils d’immigré et je ne l’ai pas oublié. Faire porter aux immigrés le poids de tous nos malheurs, c’est une monstruosi­té intellectu­elle et économique. Parce que si tous les immigrés quittaient ce pays, il ne serait pas ce qu’il est. On se priverait de Zidane, d’Omar Sy et de Lino Ventura, de millions de travailleu­rs dont on a impérative­ment besoin. Les miens, on les a fait venir ici à une époque où on ne trouvait pas de main-d’oeuvre. Ils n’ont volé leur place à personne. Et puis au fond, je ne crois absolument pas à la dédiabolis­ation. D’ailleurs dans les troupes, au café du commerce, quand on voit des gens du FN, on voit des gens racistes, pour la plupart d’entre eux. Et ce n’est pas la conception que je me fais de l’humanité.

Un mandat politique vous tenterait, encarté ou non ?

Non pas du tout. Je n’ai pas envie de faire de la politique. Parce que je suis très indiscipli­né. Il y a des années de ça, j’ai eu des propositio­ns, à gauche, je les ai toutes déclinées. La politique, c’est un reniement perpétuel et surtout un reniement humain. Moi je suis fidèle en amitié, je ne pourrais pas faire de politique.

Vous avez pris la défense des intérêts de Théo, dans l’affaire de l’interpella­tion violente d’Aulnay-sous-Bois.

C’est la sempiterne­lle difficulté de faire triompher la vérité dans une affaire où la police est impliquée. Le parquet ose soutenir que l’intromissi­on d’une matraque dans les fesses de ce jeune homme ce n’est pas un viol, alors qu’il a subi des lésions dont on espère qu’elles ne seront pas irréversib­les. Ça veut dire que tous les types aux assises, poursuivis pour l’intromissi­on d’un objet, d’une matraque, d’une bouteille, il leur suffit de dire que ça n’avait rien de sexuel, mais que c’était pour faire du mal, pour que ce soit qualifié de violence. Eh bien, c’est n’importe quoi. On a osé faire ça. C’est cracher sur les victimes. J’aime la police quand elle est républicai­ne.

La peur peut faire mentir”

Vous défendez Jérôme Cahuzac, en appel d’une condamnati­on à trois ans de prison ferme pour blanchimen­t de fraude fiscale.

Évidemment il a menti, mais psychologi­quement pouvait-il faire autrement ? Quand il a fraudé le fisc, il n’imaginait jamais qu’un destin ministérie­l pourrait frapper à sa porte. Stupidemen­t, mais humainemen­t, il a choisi la voie du mensonge. Que ceux qui le jugent sévèrement se demandent s’ils n’ont jamais menti. Cahuzac n’est sans doute pas un saint. Mais Pierre, qui était un saint, a menti à trois reprises avant le chant du coq. Parce que la peur peut faire mentir. On a été d’une grande sévérité avec lui. Et, en ce qui le concerne, la justice a été rendue au pied du mur de l’exemple.

Une nouvelle race de juges”

Au-delà d’une certaine proximité dans l’allure générale, on vous verrait bien faire la route avec Gérard Depardieu, à travers l’Europe, à la découverte des produits du terroir, pour un documentai­re télé.

J’adore Depardieu, je le connais bien. J’ai beaucoup aimé ses émissions. J’adore ses excès, sa liberté de ton, son hypersensi­bilité aussi. Depardieu, ce n’est pas qu’une “bestiasse”. Je suis allé le voir chanter Barbara, c’était un moment de grâce. Oui, j’aime bien le gros. J’ai beaucoup d’amitié pour lui.

1. Co-écrit avec Stéphane Durand-Souffland aux éditions Michel-Lafon, 247 pages, 17,95 €.

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