Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le coéquipier d’Eric Lalès: «prudents jusqu’au bout»

- LAETITIA SARIROGLOU LA PROVENCE

De ces vingt minutes interminab­les qui les ont menés tout droit vers la mort, Christophe Cotte s’en rappelle de chaque seconde. Elles resteront incrustées dans sa mémoire à jamais, comme ces éclats de balles dans son crâne et ses bras. «Les mêmes balles qui ont tué Eric, ce collègue qui résidait à Montfort-sur-Argens, ça fait bizarre. On partage au moins ça», lâche ce grand gaillard submergé par l’émotion, à la barre de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Au-delà de sa chair meurtrie, de cet effroyable choc psychologi­que subi en service, c’est un insidieux sentiment de culpabilit­é qui le ronge. Celui partagé par tous les miraculés. Cette nuit du 28 novembre 2011 avait pourtant démarré comme les autres. Christophe, formé à la conduite rapide, avait pris place au volant de la 308 banalisée. Éric Lalès, le chef de bord, à ses côtés. Les premières heures, l’équipage de la Bac aixoise les passe dans le calme. Jusqu’à cet appel radio, vers 2 h 15. Une équipe de cambrioleu­rs à la disqueuse avait frappé à Aubagne, puis à Venelles. Christophe et Éric sont dans les parages. Ils repèrent deux voitures louches. Une BMW qu’ils perdent vite. Et une puissante Audi RS4. «J’ai été étonné parce que la voiture ne roulait pas très vite. Elle a même ralenti devant un radar », relate le policier. Pensant s’être trompés de voiture, les policiers font contrôler la plaque d’immatricul­ation. Elle était fausse. Dès lors, Christophe et Éric enclenchen­t le dispositif. À la radio, le chef de bord alerte les effectifs de Vitrolles et Marignane.

Course-poursuite à  km

L’Audi en prend la direction. Christophe, concentré sur la route qu’il connaît par coeur, tente de rester discret. Sans la perdre de vue. L’épais brouillard de cette nuit-là vient compliquer les choses… « Puis, ils nous ont fait un coup de sécurité. Ils ont pris la première sortie d’un rond-point. Je n’avais pas le choix. Je suis sorti aussi. Ils ont compris », s’excuse presque le policier. Dès lors, tout s’emballe. L’Audi pointe jusqu’à 250 km devant la gare TGV. La Peugeot de la Bac s’accroche. « J’avais peur pour mes collègues du GSP qui étaient devant », poursuitil avant de détailler cette folle course-poursuite, ponctuée de changement­s de direction et donc de dispositif, entre des cambrioleu­rs paniqués à l’idée de tomber dans la souricière et des policiers qui avaient à coeur d’accomplir leur mission.

Un déluge de balles

Quand Christophe déboule dans la zone industriel­le des Estroublan­s, à Vitrolles, une odeur de pneus brûlés le rassure. « J’ai compris qu’ils venaient de passer sur le stop-stick. Je me suis dit : ‘c’est bon, on va pouvoir les faire’. Et puis, j’en ai vu un sortir de la voiture. Et là, on n’a plus rien compris. » La 308 est prise dans un déluge de balles. Le temps que le chargeur d’une kalach’ se vide. 30 projectile­s. Une éternité. À l’avant, sur le côté droit, et à l’arrière. La voiture de la police est trouée de tous les côtés. Le moteur se perce, les pneus éclatent. «Là, le cerveau ne marche plus, poursuit Christophe. Je me suis baissé et j’ai appuyé à fond sur l’accélérate­ur. Je ne pensais qu’à fuir. Je me suis réfugié sur un parking. Quand j’ai relevé la tête, j’ai vu Éric… » L’émotion est décidément trop forte. Le policier craque, se reprend car « c’est important d’être ici », s’agite, anxieux. « Ce qui m’énerve le plus, c’est que dans toute cette histoire, j’ai pas fait de connerie, finit-il par lâcher comme pour se libérer d’un poids étouffant. J’estime qu’on a été prudents jusqu’au bout. »

«Ils nous ont allumés comme des chiens »

« Que les choses soient bien claires, s’empresse de le rassurer le président Tournier, vous n’avez rien à vous reprocher. Vous avez agi en profession­nels. » «C’est n’importe quoi, je ne comprends pas pourquoi ça s’est passé, se tourmente-t-il. On n’a même pas été menaçants. Pourquoi ils n’ont juste pas cavalé ? Ou tiré en l’air ? Ils nous ont allumés comme des chiens. » Christophe Farella, policier de la Bac de Vitrolles, est arrivé juste après. La 308 des Aixois a disparu dans la nuit. Concentré sur sa conduite, il n’entend même pas les détonation­s, trop préoccupé à éviter de s’encastrer dans l’Audi des voleurs. Quand il sort de sa voiture, un des malfaiteur­s qui prend la fuite se retourne. Christophe Farella sort son arme. Le voleur le regarde et se remet à courir. « On n’a pas fait usage de notre arme, on ne savait pas qu’ils étaient armés… Nous, on a des règles.» Ce n’est que le lendemain matin qu’il apprendra qu’un collègue a été grièvement blessé. Entre-temps, comme Christophe Cotte, il a eu droit à l’audition de la BRB, au prélèvemen­t de poudre sur les mains et à toutes les formalités d’usage. Un des voleurs avait aussi été tué. À peine rentré chez lui, le temps de serrer dans ses bras sa famille, il était rappelé, sommé par les cadres de la police d’aller faire bonne figure au ministre de l’Intérieur de l’époque. Claude Guéant, celui-là même qui a été condamné à deux ans de prison dont un ferme, pour détourneme­nt de fonds publics, alors que la police manque cruellemen­t de moyens.

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