Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Isabelle Rome, une juge prête à rendre des comptes

Magistrate qui siège en cour d’appel, Isabelle Rome sera à Toulon ce week-end. Elle défend une vision de la justice plus ouverte aux citoyens. Son credo : le contrat social – pas la morale

- PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA BONNIN

Àl’âge de 23 ans, elle fut la plus jeune magistrate de France. Nommée juge d’applicatio­n des peines à Lyon, son premier poste allait marquer toute sa carrière. Isabelle Rome est aujourd’hui conseiller à la cour d’appel de Versailles et auteure de deux livres dans lesquelles elle ouvre les portes de son métier, de sa pratique. Avec Dans une prison de femmes, elle a longuement rencontré des femmes détenues et des surveillan­tes pénitentia­ires. C’est aussi sur le thème des prisons, qu’elle coanimera une conférence, samedi matin. Soucieuse non seulement de juger, mais aussi d’assumer son rôle dans la société, Isabelle Rome défend une vision de la justice qui serait plus ouverte et plus encline à rendre compte. Voire même à rendre des comptes.

En février,  personnes étaient incarcérée­s en France, dont   dorment par terre. Est-ce indigne ?

Nous assistons depuis des mois à un accroissem­ent du nombre de détenus avec une surpopulat­ion pénale rarement aussi élevée. J’observe un grand silence par rapport à ça. Annoncer la constructi­on de nouvelles places de prison, on ne peut que l’approuver. Mais on ne peut pas s’en satisfaire, si on n’intègre pas les alternativ­es à l’incarcérat­ion. Il faut se mettre sérieuseme­nt à réfléchir là-dessus. Sinon, on va construire pour remplir. Or la criminalit­é est stable depuis une trentaine d’années, en taux de crimes et délits, pour mille habitants (autour de  pour ).

Une magistrate qui écrit sur les prisons, c’est particulie­r ?

Il est important de s’en soucier, car la prison n’est pas une « décharge », dans laquelle on mettrait les « encombrant­s » et ensuite, on ne s’en soucierait plus. D’abord, la prison est une institutio­n républicai­ne et a pour vocation de sanctionne­r. L’exclusion fait partie de la sanction et évite à certains de nuire. Mais la peine doit aussi tenir compte de la réinsertio­n. Pour notre société, l’enjeu est de ne pas retrouver des individus broyés, cassés ou désocialis­és. Depuis  ans, toutes les études montrent qu’il y a deux fois moins de récidive, lorsqu’il y a une sortie de prison de manière anticipée.

D’où vous vient cet intérêt

pour l’univers carcéral? J’ai été conditionn­ée par mon premier poste de juge d’applicatio­n des peines à Lyon. À  ans, cela a été un choc. J’ai découvert la réalité humaine, sociale, sous toutes ses formes. En sortant de la fac, un milieu très protégé, j’ai eu un choc et une révélation. Je n’aurais pas eu cette sensibilit­é sans cette expérience.

Mais le juge est là pour comprendre et non pour juger.

Comprendre fait partie de l’acte de juger. Cela ne veut pas dire pardonner, ni excuser. Une partie du travail consiste à rechercher la vérité, en recherchan­t des preuves suffisante­s. À partir de là, on se demande si la personne est coupable, dans une démarche presque scientifiq­ue. Ensuite, vient le prononcé de la peine. Et là, intervient une sorte de compréhens­ion, à la fois du trouble causé, de la souffrance de la victime, et du parcours du condamné. Est-il récidivist­e ? Enfant, at-il été placé, abandonné ? On juge une personne et pas seulement des faits.

Quelle place le juge doit-il tenir dans la société ?

Je pense que nous sommes aussi des citoyens, qui doivent rendre des comptes à leurs concitoyen­s. En ce qui me concerne, dire de quelle manière je suis amenée à rendre la justice. La justice est une autorité judiciaire, j’en prends acte, mais j’aime me considérer comme un acteur du contrat social. Moi, j’ai aimé le droit grâce à Rousseau. Nous sommes liés par un contrat social qui nous permet de vivre ensemble. Il n’y a pas de morale. Le juge est un acteur, il permet de réguler le contrat social.

Comment se sent la magistrate que vous êtes, dans cette campagne présidenti­elle, où les juges sont remis en cause ?

[Silence] Il faut se méfier d’une sorte de corporatis­me. Mais la séparation des pouvoirs et l’indépendan­ce de la magistratu­re sont des principes qu’il faut respecter. Les personnes qui briguent les plus hautes responsabi­lités de l’État, et plus encore la présidence de la République, sont garantes de l’institutio­n. Ensuite, chacun a le droit de faire des recours, comme tout citoyen. Notre système offre des garanties. Sa remise en cause n’est jamais très bonne pour notre démocratie.

Craignez-vous un divorce entre le corps social et la justice ?

Ce n’est pas irrémédiab­le. Je souhaite simplement que la justice soit plus accessible. Sur le fond, on imagine plus de transparen­ce de l’institutio­n, qu’on rende d’avantage compte de ce qu’on fait, qu’on explique. Au moment des audiences solennelle­s, les chefs de cour font le bilan. Tout ça est très bien, mais une communicat­ion plus approfondi­e avec le citoyen permettrai­t d’ouvrir l’institutio­n.

Se méfier d’une sorte de corporatis­me ”

Le juge n’est donc pas dans une tour d’ivoire ?

Je défends une vision sociale de la décision judiciaire – avec un désir d’ouverture. Je considère qu’on n’est jamais bon tout seul. Je considère qu’on doit être dans la pluri-disciplina­rité. J’ai beaucoup appris auprès de mes collègues, mais aussi d’avocats, des éducateurs de probation, qui m’ont raconté le suivi, des psychiatre­s qui m’ont aidé à comprendre.

La justice semble pourtant engorgée dans les dossiers.

Au pénal, certaines infraction­s qualifiées de délits pourraient être contravent­ionnalisée­s. El les relèveraie­nt de la police et seraient punies d’amendes. Ce serait très efficace et pas un frein à la répression. Cela pourrait concerner les vols dont le butin est peu élevé, les dégradatio­ns, ou même l’usage de cannabis ainsi que la détention d’une faible quantité de produit. Un tel débat serait nécessaire aujourd’hui.

La prison n’est pas « une décharge » pour mettre « des encombrant­s » ”

Isabelle Rome a écrit deux livres : Vous êtes naïve, Madame le juge, préface de Boris Cyrulnik ; et Dans une prison de femmes, une juge en immersion. Aux Éditions du Moment.

2e Salon Livres, justice et droit : Vendredi et samedi, à la Faculté de droit de Toulon, de10hà19h, en présence de magistrats, avocats, universita­ires, notaires, policiers et journalist­es. Conférence : Peut-on repenser le modèle des prisons françaises? avec Mathieu Delahousse, Eric Moretti et Isabelle Rome, samedi à10h.

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(Photo DR)

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