Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Père Moreno le « sniper » de Dieu

Ancien soldat ayant combattu les Forces armées révolution­naires de Colombie, le père John Wilmar Moreno Acevedo est aujourd’hui le curé de la paroisse St-Antoine de Padoue à Toulon

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Les clubs profession­nels de football ne sont pas les seuls à aller faire leur marché en Amérique du Sud. Confrontée à une crise des vocations, l’Église catholique aussi recrute dans le Nouveau monde. Tout particuliè­rement en Colombie. Le diocèse de Fréjus-Toulon n’échappe pas à cette tendance. Il y a quelques années, l’évêque Dominique Rey en personne est parti y chercher de nouveaux « soldats » de Dieu. Et aujourd’hui, une petite douzaine de religieux colombiens officient dans le Var. Parmi eux, John Wilmar Moreno Acevedo. Depuis septembre 2012, c’est le curé de la paroisse Saint-Antoine de Padoue, à Toulon. « Originaire d’un pays qui compte 70 % de pratiquant­s, ça m’a fait bizarre, quand j’ai pris la responsabi­lité de la paroisse, de dire la messe devant à peine une dizaine de personnes. Même si Mgr Rey nous avait prévenus qu’il s’agissait en quelque sorte d’une mission d’évangélisa­tion. Ça a été un défi pour moi », témoignet-il, dans un français parfait, bien qu’empreint d’un fort accent hispanique. Un défi de plus, serait-on tenté de dire au regard du parcours atypique du père Moreno. Dans les années 1980, Medellín, sa ville natale, a en effet tout de l’enfer sur terre. Pablo Escobar, patron d’un des plus grands cartels de la drogue de tous les temps, y règne en maître absolu. Assassinat­s et enlèvement­s sont le quotidien des habitants de la deuxième ville de Colombie. « Mon père, ancien militaire, devenu agent immobilier, était menacé. Finalement, ma famille a été obligée de quitter Medellín quand j’avais 5 ans. On a tout perdu. » Avec ses parents, son frère aîné et sa petite soeur, John Wilmar se retrouve alors à Patio Bonito, l’un des quartiers les plus pauvres de Bogotá, la capitale. Comme certains de ses copains ou même des membres de sa famille, il aurait pu mal tourner. « L’un de mes filleuls

est en prison. Il a tué quelqu’un pour une histoire de drogue. » John Wilmar, lui, se passionne pour le football et la danse. Encore aujourd’hui, il joue toutes les semaines au Revest et à La Castille (La Crau). Mais avoue « ne pas avoir le temps de suivre la Ligue 1 », où évolue l’internatio­nal Radamel Falcao. Et Dieu dans tout ça ? La vocation du père Moreno viendra sur le tard. «Comme mon père et mon frère aîné, j’ai d’abord été militaire. J’ai combattu les Forces armées révolution­naires de Colombie (Farc). J’étais sniper. Mais heureuseme­nt, je n’ai tué personne », révèle le curé toulonnais. De famille catholique pratiquant­e, il fréquente régulièrem­ent l’église. « Plus parce qu’une jolie fille attirait mon attention», sourit-il. Mais la rencontre avec le père Hector Arbelaz va changer sa vie. « Ce prêtre, entre-temps devenu mon ami, effectuait des missions auprès des jeunes des quartiers les plus miséreux, confrontés à la drogue, à la violence. Ça a été un choc. Même si je menais, jusque-là, une vie plutôt heureuse, je me suis senti vide intérieure­ment. »

Au chevet des enfants en détresse

John Wilmar Moreno Acevedo n’a que 20 ans quand il décide de tourner le dos à sa vie d’avant et d’entrer au séminaire. « Pendant trois ans, mon père a refusé de me parler. Ce n’est que lorsque j’ai obtenu une bourse pour partir à Rome compléter ma formation en théologie qu’il a compris que j’avais vraiment trouvé ma voie. » Outre une certaine froideur dans les relations humaines, l’Europe lui renvoie également une image stéréotypé­e de son pays. « Beaucoup de gens ne connaissai­ent de la Colombie que la drogue, le café, Shakira et le footballeu­r Valderrama », s’amuse le père Moreno. Mais depuis 2016 et le prix Nobel de la paix décerné au président Juan Manuel Santos pour ses efforts en faveur du processus de paix avec les Farc, le regard du monde est en train de changer. Positiveme­nt. Le père Moreno est d’autant plus fier de cette évolution que l’Église catholique y participe. « Elle a joué un rôle d’intermédia­ire dans les négociatio­ns de paix. Pour cette raison, je suis très fier de lui appartenir. » Cette fierté ne lui fait pas perdre sa lucidité. «C’est bien de montrer la partie positive de la Colombie, mais la misère reste très importante dans le pays », insiste-t-il. Pour la combattre, il a fondé, fin 2016, l’associatio­n Sauvegarde des enfants colombiens en détresse. Un premier pas vers un retour programmé au pays. Le curé toulonnais ne s’en cache pas. « À terme, je me verrais bien retourner au pays, plus particuliè­rement dans les territoire­s ancienneme­nt contrôlés par les Farc. J’aimerais surtout travailler avec les jeunes de la rue. »

Heureuseme­nt, je n’ai tué personne”

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(Photo Patrick Blanchard)

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