Le goût, un sens essentiel
L’odorat et le goût sont intimement liés. Le premier influence le second et tous deux sont capables de jouer sur nos émotions, de la sensation de bien-être jusqu’au signal d’alarme
Proust avait sa madeleine. La délicatesse de son parfum doucereux, son goût inénarrable lorsque plongée dans une infusion de tilleul suffisait à déclencher chez lui la nostalgie de son enfance. La réminiscence de ces moments d’insouciance est déclenchée par le palais, non par la seule vue du gâteau moelleux. Que ce soit la pâtisserie de sa grand-mère, le parfum de l’herbe coupée au printemps ou l’eau de toilette de son père, les goûts et a fortiori les odeurs sont de puissants déclencheurs d’émotions. L’histoire personnelle, la culture peuvent jouer sur le fait d’apprécier tel ou tel effluve. Mais à l’inverse, d’autres nous rebutent. Car la nature nous a appris à nous méfier de certaines odeurs. Le soufre, le feu, autant de fumets qui déclenchent en chacun une alerte.
L’odeur de pain chaud fait saliver
Dans un registre plus agréable, les senteurs de pain chaud, de viennoiseries sont capables de déclencher la salivation. Le corps se prépare à la digestion. Les réactions sont carrément physiques. Comme l’odorat joue pour 75 à 85 % dans le goût, même les mets les plus savoureux semblent fades lorsqu’on est enrhumé. Le nez commande bien des réactions corporelles et émotionnelles. Jérémie Topin, post-doctorant à l’Institut de chimie de Nice dans le groupe du Pr Jérôme Golebiowski(1), travaille sur les liaisons intimes entre odeurs et émotions. Qu’est-ce qui explique que ce moelleux au chocolat tout juste sorti du four est si bon ? Est-ce son délicat parfum de cacao qui vient chatouiller les narines ? Est-ce son arôme et sa texture fondante qui affolent les papilles? Les deux, mon capitaine ! « On dispose d’une trentaine de capteurs gustatifs pour les saveurs de base [les quatre classiques : sucré, salé, acide, amer et une cinquième appelée umami qui correspond à quelque chose d’agréable, de savoureux, Ndlr]. Cependant, nous allons tous percevoir quelque chose de différent en fonction de notre bagage génétique. Cette différence est accentuée par la part très importante que joue l’olfaction dans notre sens du goût » ,révèle Sébastien Fiorucci, enseignant-chercheur à l’Institut de chimie de Nice. Aujourd’hui à 15 heures, il dévoilera au Musée international de la parfumerie de Grasse les mystères qui expliquent pourquoi certains sens qui n’est pas filtré. » On ne peut donc pas contrôler ce que l’on sent, ni ce que l’on ressent. Le scientifique mène des recherches aliments nous semblent savoureux tandis qu’ils en répugnent d’autres. Le scientifique nous met en appétit. Il développe : « Le sucre provoque une réaction instantanée, viscérale... ancestrale. Car à l’époque de nos lointains ancêtres, on avait un intérêt vital à rechercher des aliments sucrés donc nourrissants.» Le goût est un des premiers sens qui se développe chez un nouveau né. Il a déjà expérimenté in utero les saveurs de l’alimentation de sa mère. Le sucre par exemple est associé à une saveur agréable. Cela explique pourquoi les enfants, plus ils sont jeunes, plus ils ont de l’appétence pour les gâteaux, les bonbons... Pas de mystère : c’est la nature qui parle.
Signal d’alerte
de senteurs. « Cela nous permet de mettre en évidence le pouvoir des odeurs : certaines sont relaxantes, Pour le salé, les choses sont similaires. «Outre le fait qu’il soit un exhausteur de goût, il régule l’homéostasie interne.» molécules diffusées dans les maisons de retraite pourraient ainsi apaiser les personnes âgées en perte d’autonomie, d’autres stimuler leur appétit. Cependant, des industriels pourraient être tentés d’utiliser ce principe pour rendre des produits plus attractifs, en leur ajoutant des odorants susceptibles de nous pousser à l’achat. Des questions d’éthiques se posent donc. Les chimistes ont passionné le public venu assister aux différentes conférences et ateliers au Musée international de la parfumerie de Grasse. Les spectateurs étaient manifestement ravis et stupéfaits de découvrir les interactions entre le nez et le cerveau. 1. Jérémie Topin et Caroline Bushdid travaillent tous deux sous la direction du Pr Jérôme Golebiowski. Les recherches du premier sont financées par la mairie de Nice et celles de la seconde par la fondation
Roudnitska.
« Inspirez et détendez-vous ! Quand les odeurs nous influencent » : conférence demain à heures au Musée International de la Parfumerie de Grasse. L’intervention de Sébastien Fiorucci « Cinq saveurs, sept milliards de goûteurs » (lire ci-dessous) a lieu cet aprèsmidi à heures au même endroit. Les événements sont gratuits et ouverts au public. Pour faire simple: «Lorsqu’on transpire, on évacue de l’eau mais aussi des ions. Le sel permet de compenser ces pertes», résume Sébastien Fiorucci. L’acidité a davantage une valeur de protection. « La perception des acides dans la nourriture est associée à la détection de composés présents dans la décomposition de l’aliment. Le cerveau le décrypte donc surtout comme un signal d’alerte.» L’amertume est du même acabit : « Un grand nombre de composés toxiques sont fortement amers. C’est le cas d’une partie des alcaloïdes, comme par exemple la strychnine, qui sont des substances naturelles présentes dans les plantes.» Pour autant, le goût évolue, s’éduque. La première tasse de café semble bien amère alors que nombreux sont les amateurs de petit noir. « L’appréciation d’un aliment, ça se travaille», rassure le scientifique. Devenir un fin gourmet demande donc de l’investissement personnel. Goûter de nouvelles saveurs, s’ouvrir à des textures et des parfums méconnus