Travail et troubles mentaux: « je t’aime moi non plus » Soins
La Semaine d’information de la santé mentale (SISM) 2017 était consacrée au thème : « la santé mentale, je m’y emploie ». L’occasion d’évoquer les difficultés des malades
De nos jours, trouver un travail relève parfois de l’exploit. Avec un marché de l’emploi qui fait grise mine, pas facile de décrocher un CDI. Pour les personnes qui souffrent de troubles mentaux, l’affaire est presque mission impossible. La problématique était au centre des discussions de la conférence organisée à Nice à l’occasion de la 28e édition de la Semaine d’information sur la santé mentale (SISM)(1). Le Dr Jean-Yves Giordana, chef du pôle territoire du centre hospitalier de Sainte-Marie, porte un regard objectif sur la question, en évoquant le cas particulier de la schizophrénie. «Des études ont montré que le grand public la classe au 3e rang des maladies invalidantes, devant même la cécité et la paraplégie. Cela montre qu’elle est perçue comme très incapacitante. Dans les années 1990, on a constaté un effondrement de l’emploi des personnes souffrant de schizophrénie. Et celles qui parviennent à travailler effectuent des activités opérationnelles (dont on n’attend pas de productivité) ou en milieu protégé. Elles souffrent de la stigmatisation.»
Adapter le travail au malade
Pourtant et à l’instar des autres maladies psychiques, elle n’empêche pas l’exercice d’un travail. A certaines conditions: «il faut bien comprendre qu’il est nécessaire que l’emploi soit adapté aux troubles mentaux. Le patient a besoin d’un cadre avec des tâches bien définies, des horaires adaptés, un emploi du temps fixé à l’avance. Il ne parviendra pas à gérer comme les autres le stress, les imprévus, etc.» Il appuie ses dires sur des recherches menées notamment aux États-Unis sur l’IPS – individual placement and support en anglais – soit l’idée que le poste doit être ajusté au malade et pas l’inverse. «Le fait de placer très tôt l’individu dans un milieu ordinaire avec un accompagnement, un soutien personnalisé donne de bons résultats.» À condition de s’en donner les moyens et de trouver un employeur enclin à accepter ces aménagements. «Cela implique d’adapter l’environnement de travail, de prendre en considération les préférences, les motivations de la personne souffrant de troubles psychiques.» Il ne faut pas se leurrer, le chemin est encore long et les malades ont toutes les peines du monde à décrocher un contrat. Ils peuvent cependant s’appuyer sur certaines structures telles que la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) ou l’association Isatis.
« Se soigner, un travail à temps plein»
Alexandre(2) est médiateur de santé pair au centre hospitalier SainteMarie : il a souffert de troubles psychiques mais parvient à les gérer et travaille désormais au chevet des malades avec l’équipe de l’établissement. Il pose un regard aussi objectif que glaçant sur la situation: «Emploi et maladie psychique reviennent sous différentes formes dans mes discussions avec les patients: certains le veulent parce qu’il est une preuve de leur intégration, d’autres pour ne plus avoir le sentiment de vivre aux crochets de la société. (...) Mais avant d’avoir le souci de normalisation sociale, ils devraient avoir le souci de la guérison. Se soigner c’est déjà un travail à plein temps. L’emploi doit constituer une option thérapeutique et ne peut être vécu comme un outil de normalisation sociale.(...) Il est nécessaire de s’attarder sur la définition du souffrant psychique : il n’est pas le récipiendaire de l’allocation adulte handicapé (AAH, Ndlr) mais le salarié d’une société qui ne lui a offert que son mépris.» Alexandre se fait presque le portevoix de ceux qui ne parviennent pas à trouver un poste stable et qui ne souffrent de la maladie mais aussi du regard que certains portent sur eux, les considérant comme des assistés – un mot honni par les patients et leur entourage. «Ceux qui les voient comme les membres parasites d’une société ont le discours des ignorants !» Alexandre fait malheureusement figure d’exception. Il exerce un métier intéressant au sein d’une équipe dont il sait qu’elle le soutiendra s’il flanche. Lors de la conférence, nombreux ont été ceux qui ont témoigné de la difficulté de l’un de leur proche, souvent un enfant, qui ne parvenait pas à s’insérer dans le monde du travail. Manifestement, il y a encore du boulot sur le front de l’emploi des personnes porteuses d’un handicap psychique ! (1) La SISM était organisée par l’UNAFAM avec la ville de Nice, la métropole Nice Côte d’Azur, le CH Sainte-Marie, la Croix-Rouge, l’association Le phare des 2 pôles et l’association Isatis . (2) Le prénom a été modifié.