Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Quand Gonzague Saint Bris effeuille l’Histoire de France

Après une cinquantai­ne de livres, souvent des biographie­s historique­s, l’écrivain sonde les liens entre le sexe et le pouvoir. A deux reprises, il viendra en parler à Saint-Tropez

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

On l’imagine assez mal dans les frous-frous, la gaudriole. Il aborde d’ailleurs le sujet avec le sérieux de l’essayiste et la rigueur de l’historien. N’empêche, on rit beaucoup à la lecture de son dernier ouvrage, Déshabillo­ns l’Histoire de France. Où la passion et le désir tissent la trame de notre roman national. Gonzague Saint Bris en lira quelques extraits à Monaco le dimanche 25 mars, lors des Rencontres littéraire­s Fabien Boisson. Ainsi que les 18 mars et 29 avril, à Saint-Tropez.

Pourquoi avoir rêvé de déshabille­r l’Histoire de France ?

Après cinquante livres, dont vingt biographie­s historique­s, où j’ai toujours abordé le sujet des liaisons dangereuse­s entre le sexe et le pouvoir, j’ai estimé qu’il était temps d’aborder un travail ambitieux. Raconter l’Histoire de France depuis nos ancêtres les Gaulois jusqu’aux Poilus de la Grande Guerre. Mais la raconter à travers « l’amour qui n’a pas froid aux yeux », ce qui est naturellem­ent un piège de séduction.

Le génie des Gaulois, dites-vous, est d’avoir placé les femmes où elles devaient être : au premier rang.

La femme gauloise est indépendan­te dans ses choix amoureux. Elle choisit les hommes qu’elle veut. Dans le cas contraire, les refuse. Ou en change. Dans une société où elle est parfois chef, comme la princesse de Vix en Bourgogne, elle peut donc prendre la tête d’une tribu, participer au conseil de famille et même prêter main-forte aux soldats dans les combats.

Aurions-nous régressé ?

On peut se poser la question : une Française aujourd’hui est-elle aussi libre que pouvaient l’être les Gauloises? J’essaie de montrer la progressio­n jusqu’aux XVIIe et XVIIIes siècles, où la femme est sur un piédestal. Je n’aime pas, s’agissant des maîtresses royales, que l’on parle de « femmes de l’ombre ». Car elles accèdent à ce statut non seulement par leur séduction physique, mais aussi par leur degré d’éducation, de culture et de sensibilit­é. Un exemple : Agnès Sorel, favorite de Charles VII. Sorte de top-modèle hypersexy qui, dans le même temps, convainc le roi de combattre les Anglais quand celui-ci est prêt à pactiser. On peut aussi évoquer la Pompadour qui règne par son goût, par son style, par son amour des arts et fait avancer la civilisati­on en entourant Louis XV des encyclopéd­istes.

Mérovingie­ns et Carolingie­ns sont polissons ?

L’exception française. Nous avons toujours connu dans notre pays des décisions politiques sous l’emprise du désir, du sexe et de l’amour. Charlemagn­e a eu six femmes et beaucoup de maîtresses. Dans la mythologie nationale, le chef, qu’il soit roi ou président élu - est considéré comme l’amant le plus ardent.

Mais au Moyen-Âge, le viol n’est pas un crime ?

D’un autre côté, c’est une époque beaucoup plus libre qu’on ne le croit. Il n’y a pas encore cette malédictio­n du sexe qui vient, il faut bien le dire, avec l’Église. Mais il existe une règle magnifique : quand un homme est condamné à mort, si une femme, le voyant passer entre la prison et le lieu de son supplice et le trouvant à son goût, le demande en mariage, alors celui-ci a la vie sauve. L’Histoire retient toutefois le cas d’un condamné qui, déjà au gibet, regarde celle qui se propose de le sauver et, la découvrant laide et boiteuse, a cette dernière phrase : « Bourreau, fais ton office ! »

Le rôle de l’Église est ambigu ?

Pour moi qui suis très croyant, c’est difficile. Mais quand on est historien, il faut dire la vérité. Jacques Le Goff a montré le premier comment l’Église avait institutio­nnalisé les « maisons de tolérance » de façon à obtenir la paix des ménages. Il est d’ailleurs amusant d’observer comment des rues de Paris, désignant les activités galantes qui s’y étaient déroulées, ont été rebaptisée­s. La rue du Poil-au-Con devenant la rue du Pélican…

Et le Manuel du confesseur ?

C’est un ouvrage extraordin­aire, rédigé en  à l’usage des clercs. Il stipule notamment que « s’accoupler par-derrière, comme des chiens, est puni de  jours de pénitence au pain et à l’eau ». La sanction pouvant être portée à dix, voire douze ans pour des hommes entre eux.

L’homosexual­ité est réprimée ?

La condamnati­on de l’homosexual­ité provient du fait que selon l’Église, on doit faire l’amour pour procréer. Mais Clovis, devenant chrétien pour épouser Clotilde, confesse quelques expérience­s avec les garçons. Sous Louis XIV, dont le frère est un homosexuel notoire, le paysan et l’artisan risquent le bûcher. La condamnati­on cesse sous l’Empire, grâce à Cambacérès, lui-même homosexuel.

Le livre s’arrête en . Pourquoi ne pas aborder l’Histoire contempora­ine ?

À l’orée d’une élection présidenti­elle qui ne nous donne pas une ambiance très heureuse, revoir un peu l’Histoire de France donne la pêche et remonte le moral. Cela étant dit, je ne refuse pas de traiter le sujet. Le Palais de l’Élysée, destiné à la Pompadour, est utilisé par les présidents de la République. N’oublions pas que le premier d’entre eux, Louis Napoléon Bonaparte, a une maîtresse, Miss Howard, qui habite devinez où? Rue du Cirque. J’évoque aussi dans ce livre Félix Faure et son orgasme fatal dans le Salon d’argent de l’Élysée. Avant de retrouver sa maîtresse Meg Steinheil, il prend une pilule du viagra de l’époque. Manque de bol, on lui explique qu’il a encore deux rendez-vous. L’archevêque de Paris, qu’il expédie, et le prince de Monaco qui lui apporte la preuve de l’innocence du capitaine Dreyfus. Félix Faure est stressé par cette nouvelle lorsqu’il accède à son moment de détente. Advient ce que l’on sait. Et cette formule de Clemenceau : « Il a voulu vivre César et il est mort Pompée. »

Il en faut beaucoup pour choquer les Français?

Effectivem­ent, si un président ne revêt pas les habits de la souveraine­té, les Français sont un peu déçus. C’est tout le contraire de ce que l’on voit en Amérique. Chez nous, les histoires d’argent sont choquantes. Les histoires de sexe, pas du tout.

Le chef, amant le plus ardent ” Les habits de la souveraine­té ”

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(Photo David Nivière)

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