Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Cellule Cannes-Torcy : les énigmes de Jérémy Bailly

Seul leader de la bande encore en vie, ce Sarcellois se serait converti à l’islam lors d’un séjour dans le Var. La Cour d’assises spéciale de Paris tente de comprendre comment il s’est radicalisé

- À PARIS, CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Un jour, j’ai tué un poisson et ça m’a fait mal au coeur. J’ai demandé à mon ami de faire une prière. Puis de m’en apprendre une. Ensuite, j’ai suivi le ramadan avec eux. Par conviction... » L’épisode remonte à l’été 2010. Jérémy Bailly séjourne alors chez un ami musulman dans le Var, à Hyères. Anecdotiqu­e de prime abord, cet épisode marquerait l’amorce de conversion à l’islam du jeune Sarcellois. À son retour en région parisienne, il commence à fréquenter la mosquée de Torcy. Bientôt, son cercle d’amis se restreint aux seuls fidèles. En particulie­r à un homme rencontré devant la mosquée : Jérémie Louis-Sidney. « JLS » va s’imposer en leader charismati­que de la cellule terroriste Cannes-Torcy. Bailly, lui, sera son « bras droit » assumé. Louis-Sidney finira par tomber sous les balles de la police, le 6 octobre 2012, lors d’un vaste coup de filet contre sa bande. Par défaut, Bailly est le plus « haut gradé » des dix-sept accusés qui comparaiss­ent, depuis jeudi, devant la Cour d’assises spéciale de Paris (lire nos précédente­s éditions).

« Fumette et banditisme »

Hier, sa personnali­té, son parcours sont au coeur des débats. L’enjeu est de taille et tristement d’actualité : comprendre les mécanismes de radicalisa­tion qui l’ont mené au djihad. Bailly est accusé d’avoir accompagné Louis-Sidney lors de l’attaque à la grenade d’une épicerie casher – ce qu’il nie. Accusé, aussi, d’avoir embrigadé plusieurs membres du groupe. D’avoir conçu des projets d’attentats à l’explosif ou à l’arme de poing. Et d’avoir volé des véhicules, commis des extorsions Par

DENIS JEAMBAR

pour financer et réaliser ces projets. Rien, pourtant, ne semblait le prédispose­r à semblable dérive. Né le 14 septembre 1987 à Sarcelles, Jérémy Bailly est un enfant unique « très désiré », dixit sa mère Chantal. Le divorce parental, la mort d’une grand-mère viendront bouleverse­r cet équilibre intime. À l’adolescenc­e, Jérémy commence à décrocher en cours. Il se montre plus adroit avec l’équipe de foot de l’US Torcy, tout comme au jeu des yamakasi. Mais le sport-études tourne court. Bailly enchaînera ensuite de petits boulots, puis ses premiers délits. « À l’époque, c’était fumette et banditisme... » Dans le box, Bailly, manifestem­ent soulagé d’être tiré de l’isolement, apparaît décontract­é, voire rigolard. À 29 ans, il arbore une barbe hirsute et de longs cheveux, qui allongent son visage et lui confèrent un air de gourou un peu halluciné. La religion ? Il a quitté le christiani­sme pour le rastafaris­me, a été approché par les témoins de Jéhovah, avant de rejoindre l’islam. «Sur le coup, je n’ai pas compris. Ensuite, j’ai eu peur, témoigne sa mère à la barre. On en a discuté. Je l’ai trouvé posé, serein... » Chantal Bailly ne découvrira que plus tard combien son fils a été embrigadé. « C’est pas un gosse pourri ! Juste un gosse qui a été une proie pour un terroriste », s’exclame-t-elle, gorge étranglée, en présentant ses excuses aux parties civiles. Patrick Bailly, quant à lui, renvoie l’image terrible d’un père désemparé. « Viscéralem­ent, ça reste notre enfant. On sait qu’au fond, il n’est pas comme ça... »

« J’étais perché »

À ses dires, Jérémy Bailly a toujours haï l’injustice. Haï cette misère qui l’a révolté en République dominicain­e, puis lors d’un séjour humanitair­e au Burkina Faso. L’injustice, il décidera de la combattre à sa façon. En se faisant prosélyte d’un islam assimilé à sa manière. En concevant des projets d’attentats antisémite­s et des explosifs conçus à base de cocottes-minute. « A l’époque, j’étais perché », admet Jérémy Bailly, qui assure avoir changé. Vraiment ? Son attitude en prison intrigue le président Philippe Roux et l’avocat général Philippe Courroye. Début 2013, des courriers inquiétant­s ont été intercepté­s alors que Bailly était incarcéré. Il y exhortait ses destinatai­res à faire des recherches sur des juges antiterror­istes, des agents de la DGSI, à envisager de prendre en otage une directrice de prison. « Il était perché », confirme sa mère. Mais selon Chantal Bailly, son fils n’est « pas dangereux. Il a compris ». Après l’attaque au camion à Nice, son fils avait « les larmes aux yeux. Il m’a dit : “Ils n’ont rien compris. C’est pas ça, l’islam...” » Bailly ruse-t-il ? Pratique-t-il la taqiya, la dissimulat­ion des djihadiste­s faussement repentis ? Philippe Courroye en paraît persuadé, à la différence des avocats Georges Sauveur et Anne-Sophie Laguens. Patrick Bailly, lui, estime au contraire que « l’isolement lui a permis de se retrouver. J’espère qu’il sera puni uniquement pour ce qu’il a fait. Et qu’il ne servira pas d’exemple. »

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(Croquis d’audience AFP) Jérémy Bailly est accusé notamment d’avoir accompagné Jérémie Louis-Sidney lors de l’attaque d’une épicerie casher et d’avoir conçu des projets d’attentats à l’explosif.
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