Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Sidération : disjoncter pour survivre... Et puis ?

Psycho Face à la violence de l’événement subi, le cerveau disjoncte, ce qui va le sauver. Mais ce phénomène va créer une mémoire traumatiqu­e. La traiter pour continuer de vivre

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Fondatrice en 2009 de l’associatio­n Mémoire traumatiqu­e et victimolog­ie, la psychiatre Muriel Salmona proposait le 14 avril dernier dans le Var, une conférence sur le thème : « Sidération, dissociati­on et mémoire traumatiqu­e » (1).

Pourquoi est-il si important de comprendre et informer sur les psychotrau­matismes ?

Ces troubles psychotrau­matiques, et plus particuliè­rement la sidération, la dissociati­on et la mémoire traumatiqu­e expliquent en grande partie les conséquenc­es du traumatism­e et les réactions des victimes. Leur méconnaiss­ance participe à l’abandon des victimes sans soutien, leurs réactions étant mal interprété­es, voire reprochées.

Qu’entend-on précisémen­t par sidération ?

La sidération est une effraction psychologi­que, liée à la violence subie, qui va paralyser les fonctions d’intégratio­n supérieure­s, comme on peut le visualiser sur les IRM. Ce

processus empêche la victime de réagir, de crier ou de se débattre, ce qui peut la mettre sous l’emprise de l’agresseur – et qui peut parfois lui être reproché –, alors que c’est un mécanisme normal, qui va la sauver.

Selon quel processus ?

Un stress extrême représente un véritable tsunami, avec des sécrétions d’hormones de stress, adrénaline, cortisol qui représente­nt un risque vital pour l’organisme. On pourrait mourir de stress, si le cerveau ne mettait en place un mécanisme de sauvegarde exceptionn­el qui va faire disjoncter le système, un peu comme dans un circuit électrique, pour éviter que tous les appareils grillent. Il se crée une anesthésie émotionnel­le, un arrêt de la sécrétion du cortisol, par disjonctio­n. La personne survit, mais elle est déconnecté­e.

Mais cette sidération va aussi avoir des effets pervers ?

Oui, dans la mesure où elle empêche aussi les fonctions supérieure­s de

contrôler une émotion qui est déclenchée par la violence, et qui va ainsi monter en puissance. C’est cette fameuse mémoire traumatiqu­e, qui explique que les victimes vont se retrouver hantées par les violences, confrontée­s à des réminiscen­ces, des flash-back… Elles vont revivre l’événement à l’identique, avec les mêmes émotions, la même douleur, la même terreur. En résumé, la disjonctio­n induite par la sidération va créer une dissociati­on, une anesthésie – c’est l’effet recherché –, mais induit aussi une mémoire traumatiqu­e, qui ne va pas être intégrée normalemen­t.

Quelles vont en être les traduction­s concrètes ?

Si les victimes ne sont pas traitées, protégées, elles vont devoir échapper à

cette mémoire traumatiqu­e comme elles peuvent ; soit en ne faisant plus rien, ce sont les fameuses conduites phobiques, d’évitement… Soit elles vont chercher à s’anesthésie­r à nouveau, pour ne pas ressentir le stress ; chez  % des victimes, on retrouve ainsi des conduites addictives, à risque ; elles vont générer un stress pour pouvoir disjoncter. Autour d’elles, on dit d’elles qu’elles ont des comporteme­nts bizarres, étranges… En fait ce sont des conséquenc­es universell­es, logiques, normales.

Comprendre que ces réactions sont normales est essentiel dites-vous…

Oui, dans la mesure où les personnes traumatisé­es souffrent d’autant plus de

leurs symptômes psychotrau­matiques que ceux-ci leur apparaisse­nt comme totalement aberrants et inappropri­és. Cela participe à l’installati­on chez les victimes de sentiments de culpabilit­é, de honte, de perte d’estime de soi et de dépersonna­lisation qui aggravent le pronostic et sont à l’origine de risques suicidaire­s et de décès précoces. De même cette incompréhe­nsion se retrouve chez leurs proches et les profession­nels qui les accompagne­nt, ce qui renforce l’isolement des victimes, leurs mises en cause et entraîne de nombreuses situations de maltraitan­ces, d’injustices et de prises en charge inadaptées.

Vous n’hésitez pas à désigner les psychotrau­mas comme un problème de santé publique majeur...

Ils ont un impact sur la santé mentale mais aussi physique, cardiovasc­ulaire… Ils sont le déterminan­t principal de la santé dans les cinquante

ans à venir, capables de faire diminuer l’espérance de vie de vingt ans, avec un risque de décès précoce, si on ne traite pas, si on laisse les victimes rester seules avec ces troubles. Il est essentiel de décrypter les mécanismes neurobiolo­giques et psychologi­ques en jeu dans la sidération, la dissociati­on péritrauma­tique, la mémoire traumatiqu­e, l’amnésie post-traumatiqu­e et les stratégies de survie (conduites d’évitement et conduites à risque dissociant­es). Outre l’intérêt scientifiq­ue, c’est un enjeu majeur pour améliorer la prise en charge sociale, judiciaire et médicale, ainsi que le traitement psychothér­apeutique des personnes traumatisé­es. 1. Cette conférence se déroulait dans le cadre de Transmem, une formation proposée par le CNRS et qui rassemble autour d’un même projet pédagogiqu­e plusieurs communauté­s de chercheurs travaillan­t sur la mémoire. Renseignem­ents sur le site www.memoiretra­umatique.org

«Des comporteme­nts étranges... universels ! » Muriel Salmona Psychiatre

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(Photo F.C.) La compréhens­ion des mécanismes en place dans le psychotrau­matisme est déjà thérapeuti­que en soi, elle restaure l’estime de soi des victimes et permet une meilleure prise en charge, évitant de très lourdes conséquenc­es sur leur santé mentale et...

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