Il a tout plaqué pour devenir boulanger à Ollioules
Un matin comme tous les matins. L’horloge affiche 4 h 30. À cette heure-ci, même l’aiguille des secondes a l’air de galérer à boucler le tour du cadran, comme si elle n’était pas encore complètement réveillée. Une vieille radio recouverte d’une épaisse couche de farine et branchée sur Chérie FM crache du Texas en fond, à contretemps des ronronnements plus ou moins réguliers de l’imposant four à pain qui trône au milieu de la pièce. Tel un automate solidement vissé à ses rails, Jean-Marc s’active d’une tâche à l’autre. Précis, concentré, appliqué. Cela fait déjà un moment qu’il est arrivé. Depuis 2 h 30, il a eu le temps d’envoyer quelques fournées de bon pain frais. Tous les jours, c’est le même rituel. « Je lance ma pâte, je cuis mes viennoiseries, je façonne mes (baguettes) tradition et je lance la cuisson du pain blanc.» Jusqu’à 13 heures, Jean-Marc n’arrête pas. «Là, je suis à fond dans mon truc. Faut que je garde le rythme», commente-t-il, tout en enfournant une grande plaque de pizzas aux anchois et aux tomates cerise. Quinze minutes à 265 °C, c’est parti ! À le voir remuer comme ça dans tous les sens, prenant à peine le temps de souffler, on se dit que Jean-Marc n’exerce pas le métier le plus facile au monde. Et pourtant. Ce métier, il l’a choisi en son âme et conscience. Non pas parce qu’il fallait travailler, apporter un salaire, trouver sa place dans la société et payer son loyer, comme le fait la grande majorité des gens dans ce monde. Ses motivations à lui sont bien plus simples, bien plus pures. Ça s’appelle «le bonheur » et c’est précisément la raison qui a poussé ce père de famille de 45 ans à devenir boulanger.
Un rêve d’enfant
Ni lui ni son entourage n’auraient imaginé que ce directeur d’entreprise, qui a grandi en région parisienne, atterrisse un jour ici, dans cette espèce de cave sombre et bruyante du centre-ville d’Ollioules. « Quand j’étais gamin, c’était ce que je voulais faire, mais, à l’époque, raconte-t-il, on envoyait en BEP boulangerie uniquement les élèves qui n’étaient pas très scolaires. » Or, Jean-Marc ne fait pas partie de ceux-là. Il embrasse donc un cursus « classique ». Décroche son bac, et poursuit par un BTS électronique puis une licence en informatique. C’est « par la petite porte » qu’il intègre une PME de concession poids lourds, basée dans les Yvelines, en tant que technicien informatique. Il devient rapidement assistant de direction, et dix ans plus tard, se retrouve propulsé directeur du site «par simple opportunité ». « J’avais 60 personnes sous mes ordres, la voiture de fonction haut de gamme et un très bon salaire (entre 4 000 et 5 000€ par mois) », déballet-il sans pudeur. Bref, la grande vie. Mais le bonheur dans tout ça? « Quand on passe près de 80 % de sa vie au travail, fait-il remarquer, ily a quand même de quoi réfléchir». Se poser les bonnes questions est une chose, trouver les bonnes réponses en est une autre. Jean-Marc se rend très vite à l’évidence : «J’avais perdu la petite flamme, je savais qu’il fallait que je change de vie. Car, ce qui me gênait le plus, c’est que je ne faisais rien de
‘‘ A l’époque, on envoyait en BEP que les élèves qui n’étaient pas très scolaires ”
mes mains. Je commençais à être blasé du poste et des tâches administratives». Puis, il y a aussi « le fait d’être régi par des actionnaires. Seule la rentabilité financière comptait. Au final, élude-t-il, l’air un peu grave, tout cela m’a joué des tours dans ma vie personnelle… »
Le regard des autres
Alors, plutôt que d’attendre le burn-out qui le guette sournoisement, Jean-Marc prend les devants. Après vingt ans de boîte et quelques mois de tergiversation, il est décidé à ne plus manger de ce pain-là. Il rassemble ses esprits, se confie à son entourage et enclenche la vitesse supérieure. En commençant par passer un week-end en compagnie d’un pote boulanger, « juste pour voir le métier. » « Ça n’avait pas l’air facile », reconnaît-il. Mais le déclic est là : « C’est ça que je veux faire de ma vie», se convainc-t-il. Direction Aurillac. Jean-Marc y emmène femme et enfants pour suivre une formation diplômante en passant son CAP boulangerie-pâtisserie. Un an plus tard, le voilà prêt à mener sa nouvelle vie. Mais tout n’est pas si simple. C’est qu’il faut affronter le regard des autres, souvent circonspect et pas toujours très compatissant. «Les gens ne comprennent pas forcément qu’on se remette en cause pour quelque chose qui n’est pas gagné. Rien ne vous dit que ça va vous plaire, c’est vrai, mais il faut bien faire des choix», se défend Jean-Marc. Le doute plane un peu, toujours. Il avoue parfois « ser rer les dents», mais comme il dit aussi : «On n’a rien sans rien». La preuve, c’est qu’il a fallu discuter avec les banques. « Et dans ce domaine, ce ne sont pas vraiment des enfants de coeur ». Jean-Marc Mortier a acheté sa boulangerie à Ollioules, au mois de décembre dernier. L’occasion pour lui et sa famille de découvrir et apprendre à aimer une nouvelle région qu’ils ne connaissaient alors que pour y avoir séjourné pendant de simples vacances. Dans le sous-sol de sa boulangerie, Jean-Marc a retrouvé un nouveau sens à sa vie. Mais la quête du bonheur est un boulot à temps plein. Et ça, il en est conscient. L’ex-directeur a beau produire plus de 300 baguettes par jour dans une cadence infernale, cela ne l’empêche pas pour autant d’avoir « l’impression de continuer à progresser tous les jours ».
Fini le film devant la TV
Des recettes de pains spéciaux sont accrochées ici et là, contre le four, sur des pans de mur ou dans un recoin de la pièce. L’écriture est devenue quasiment illisible. Au cours de son interminable rush matinal, Jean-Marc n’y prête plus attention. Mais, sait-on jamais… «Je n’ai pas toujours les recettes et le chrono dans la tête», admet l’apprenti boulanger, tout en surveillant la cuisson d’un énorme pain de campagne qu’on lui a commandé la veille. Il est 5 h 40. L’heure vers laquelle arrive Christine, sa seule et unique employée, qui tient la boutique. « On ne se rend pas compte comme ça, mais c’est très vivant comme métier, résume Jean-Marc, en s’octroyant sa première pause-café après plus de trois heures de travail. C’est sûr que c’est un sacré contraste avec mon métier d’avant, lorsque j’étais le cul sur ma chaise devant mon ordi. Et puis ça a l’air tout bête de faire du pain, mais on apprend tous les jours. Il faut gérer plein de choses en parallèle : la cuisson, la gestion des fournisseurs qui défilent, la comptabilité, la réglementation… Tout ça m’apporte énormément. » Mais puisqu’on n’a pas toujours ce que l’on veut dans la vie, l’artisan ollioulais a évidemment dû faire une croix sur quelques avantages que lui offrait sa vie d’avant. Le salaire d’abord. Il dit toucher «trois ou quatre fois moins» que lorsqu’il était chef d’entreprise. Les «beaux voyages » ensuite. « C’est sûr qu’on a moins le temps et moins les moyens pour partir en vacances ». Puis il y a les horaires. Le réveil sonne à deux heures tous les matins, six jours sur sept. Fini, donc le film devant la télé avant d’aller dormir. JeanMarc est devenu lève très tôt. En général, il s’accorde une petite sieste vers 14 ou 15 heures. Juste avant de revenir à la boulangerie « faire un peu de compta ou de paperasse ». «Ce que j’apprécie avec ce nouveau rythme de travail, savoure-til en buvant son café, c’est qu’il me permet de dégager des fins d’après-midi pour avoir du temps pour moi ». Du grand luxe comparé à son ancienne vie. « Je rentrais chez moi vers 20 heures, mes enfants étaient couchés et je ne les voyais pas de la journée. Là, précise-t-il, je peux aller les chercher à la sortie de l’école et j’ai l’impression d’avoir une vraie vie de famille. »
Un moral d’acier
Quatre mois après avoir ouvert sa boulangerie, Jean-Marc ne regrette rien de rien. « Je suis heureux de faire ce que je fais », conclut-il benoîtement, comme si ce changement de vie n’était qu’une simple révélation par laquelle il devait passer un jour ou l’autre.
«De toute façon, je ne pourrais jamais jouer au golf toute la journée», glisse au passage cet ancien passionné de trail, habitué à courir 70 à 80 bornes par jour. De là, « sans doute » s’est-il forgé ce «moral d’acier» qui lui a donné « la force de tout plaquer et de tout recommencer ». « Quand on explique aux gens le choix qu’on a fait pour venir s’installer ici, ils disent souvent “quel courage !”» Mais lorsqu’on est pétri de motivation et de bonne volonté, comme JeanMarc, on se rend compte, finalement, que « tout est possible dans la vie. À condition de s’en donner les moyens ». Voir notre reportage vidéo sur www.varmatin.com (#solutions)
‘‘ Je ne pourrais jamais jouer au golf toute la journée ”