Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’épopée des chars à La Seyne

Au printemps 1917, les chantiers navals se lançaient dans la constructi­on d’un énorme char d’assaut, premier d’une longue série qui s’est étirée jusqu’en 1964. L’occasion de revenir, un siècle plus tard, sur une épopée industriel­le méconnue, mais aussi su

- MA. D. mdalaine@nicematin.fr

Les chantiers navals seynois n’ont pas enfanté que de gigantesqu­es bateaux. Et cinq ans après la sortie d’atelier du dernier véhicule blindé assemblé à La Seyne (voir par ailleurs), il est aussi l’heure, aujourd’hui, de se souvenir qu’il y a un siècle les Forges et chantiers de la Méditerran­ée se lançaient carrément dans la constructi­on de chars d’assaut. Récit.

Le FCM A, premier char seynois

Le tout premier tank made in La Seyne, le FCM 1A, fut ainsi construit par les Forges et chantiers de la Méditerran­ée en 1917. La société allait utiliser son expertise dans la conception de navires de guerre pour imaginer ce cuirassé terrestre. L’une des premières photos attestant de l’existence du char, prise en mars 1917 et actuelle propriété du musée impérial de la guerre à Londres, montre ainsi sa stupéfiant­e maquette en bois ^, à l’échelle 1, en cours d’assemblage dans un atelier seynois. C’est à partir de cette ébauche que sera ensuite imaginé un prototype de 41 tonnes, seul exemplaire jamais réalisé.

Des essais aux Sablettes !

Sur des films d’époque (1), on peut encore voir les essais officiels du blindé, fin décembre 1917 et début 1918, aux Mouissèque­s [ et… sur la plage des Sablettes. Le général Estienne, considéré comme « le père des chars» français pour avoir impulsé le développem­ent à grande échelle de l’arme blindée, assistait d’ailleurs à ces tests. D’autres photos, plus rares (2), montrent aussi la foule en procession derrière le char, sur la corniche de Tamaris! «Malgré ses qualités, le 1 A ne fut pas construit en série ,explique Jean-Pierre Valentin, pour le site de référence chars-francais.net. Et de préciser que « l’étude et la constructi­on du prototype ont coûté 600 000 francs.»

Le FCM C, censé mettre fin à la guerre… en 

Alors que la Première Guerre mondiale traîne en longueur, les officiers imaginent une grande offensive décisive pour 1919. C’est là que le FCM 2C, mastodonte d’acier fortement armé Z et tout premier char lourd jamais conçu (68 t, le triple de ses devanciers) doit intervenir. Prévue pour succéder au célèbre Saint-Chamond, capable de traverser des tranchées de 5 m, armée par un équipage de douze hommes et munie de deux tourelles, cette forteresse roulante manquera pourtant son rendez-vous avec l’Histoire. Fabriqués en 1918, seuls dix exemplaire­s de ce char énormissim­e, sur 700 commandés initialeme­nt, verront le jour à La Seyne… à défaut de voir la guerre. « Ils sont livrés en 1921, alors que le monde ne pense plus qu’à la paix », analyse-t-on sur chars-francais.net. Lent et peu fiable, le FCM 2C était sans doute assez loin de l’arme absolue. « Historique­ment, on constate que son énorme masse était largement superflue. Rappelons que la ligne de résistance française fut percée en mai 1940 par des Panzer de 18 t ».

Une fin piteuse pour les dix exemplaire­s

Lors de l’entrée de la France dans la Seconde Guerre mondiale, les FCM 2C, à bout de souffle, regroupés dans le 51e bataillon de chars de combat, reçoivent tout de même l’ordre de transiter vers le front par la voie ferrée. Mais après un bombardeme­nt ennemi, le convoi qui embarque les six blindés encore en état de marche se retrouve coincé dans les Vosges, derrière un train de carburant en flammes ! L’armée française, par crainte que les blindés ne tombent aux mains de l’ennemi, sabote alors les tanks un par un le 15 juin 1940. Seul le n° 99, le bien nommé Champagne, dont les charges explosives n’ont pas fonctionné, réchappe à l’opération. Il est capturé par les Allemands, avant d’être exposé à Berlin comme prise de guerre.

Un FCM C dans la région de Moscou ?

Que reste-t-il aujourd’hui des FCM 1A et FCM 2C, purs produits de l’excellence industriel­le seynoise? Absolument rien. Le FCM 1A finira comme «pot de fleurs» devant l’école des chars de Versailles, avant d’être ferraillé. Quant aux 2C, les monstres d’acier ont probableme­nt tous dû agoniser dans un quelconque haut-fourneau. À moins que… Au musée des blindés de Saumur, on n’hésite pas, ainsi, à évoquer une mystérieus­e rumeur qui fait état d’un FCM 2C du côté de Moscou, dans les stocks secrets du musée de Koubinka. « Certains pensent qu’après la chute de Berlin, le n° 99 a été emmené par les Russes. Mais rien ne le confirme… » nous explique-t-on. Une photo de “la bête”, qui aurait été prise en Allemagne de l’Est en 1948, laisse encore et toujours libre court à toutes les hypothèses sur le sujet.

L’odyssée des chars seynois se poursuivra jusqu’en 

Dans l’entre-deux-guerres puis au début du conflit de 39-45, d’autres modèles et prototypes de blindés FCM verront aussi le jour. Commandé en 1940, le FCM F1 n’aura pas cette «chance». Ce char aurait été l’un des plus lourds jamais construits, avec ses… 169 tonnes ! À ce sujet, la photo Y. montrant sa maquette à l’échelle 1 est révélatric­e de la taille du monstre. De type « forteresse terrestre », il était destiné à briser les fortificat­ions ennemies, mais sa constructi­on fut interrompu­e par l’arrivée des Allemands. Après la destructio­n des chantiers à l’été 1944, il faudra attendre la guerre d’Algérie pour voir les Forges se relancer dans la fabricatio­n de chars légers, les AMX-13 T. Ils en produiront plusieurs centaines jusqu’en 1964, année ou l’État annonce aux FCM qu’elle suspend ses commandes. Dans un contexte économique déjà bien morose, le coup est si rude que le dépôt de bilan devient inévitable. En 1966, les Forges et chantiers de la Méditerran­ée sont repris et l’entreprise est rebaptisée CNIM. Un groupe qui lui aussi sera amené à « tâter » du véhicule militaire, avec notamment ses fameux ponts flottants puis le « pont d’assaut Sprat» S livré jusqu’en 2012. Mais c’est une autre histoire. 1. Une vidéo est visible sur ce site :

http://www.cnc-aff.fr 2. Archives nationales de Pierrefitt­e-surSeine, fond Jules-Louis Breton Autres sources : Général Guy François (revue GBM) - Forums ATF40 et Pages 14-18 «Cnim, l’excellence en partage» (éditions Point de Mire)

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(Photo © Imperial War Museum - Q ) Photo datée du  mars  de la maquette en bois à l’échelle  du char FCM A, construit à La Seyne par les Forges et chantiers de la Méditerran­ée. Ce blindé restera à l’état de prototype malgré plusieurs essais réalisés aux Mouissèque­s et sur la...

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