Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Marine Le Pen, jeune fille rattrapée par son destin

La benjamine des filles de Jean-Marie Le Pen n’était pas celle que le fondateur du FN pensait la plus apte à lui succéder. Elle s’est fondue dans le moule à la sortie d’une enfance chahutée

- THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Elle n’est pas celle que l’on croit. Plus exactement, la bateleuse politique n’a pas grand-chose à voir avec la femme. Ceux qui ont côtoyé Marine Le Pen dans un cercle plus intime sont prompts à le reconnaîtr­e : hors de la joute politique, c’est une bonne vivante avec qui il est agréable de passer un moment. Une femme simple, un brin bohème, pour laquelle les moments en famille sont sacrés, qui fond comme une midinette devant son homme, ne porte surtout pas la culotte à la maison et s’effondre lorsque l’un de ses chats disparaît.

« Miss bonne humeur »

«A l’opposé de l’image de dureté qu’elle renvoie, il y a chez elle un côté bonne copine. Dès qu’il y a de la musique, elle peut se mettre à chanter ou danser, elle connaît ainsi tout le répertoire des années quatreving­t. Petite, sa mère l’appelait ‘‘miss bonne humeur’’. Elle est d’un abord jovial avec ses amis et adore aussi la poésie», détaille Olivier Beaumont, auteur de Dans l’enfer de Montretout (Flammarion). Parmi ses trois filles, ce n’est pas Marine qui était prédestiné­e à reprendre le flambeau de Jean-Marie Le Pen. Il plaçait davantage d’espoirs en Marie-Caroline, l’aînée, sa préférée, qu’il finira par renier lorsqu’elle et son mari se rallieront à Bruno Mégret en 1998. De blessures en ruptures, c’est donc Marine, la benjamine, au départ la plus hostile à l’univers politique, qui s’y est engouffrée avec gourmandis­e. Contre toute attente ou presque. Jean-Claude Martinez, professeur de droit et conseiller de son père, l’a décrite en « étudiante médiocre et fêtarde ». Ce qui ne l’empêchera pas de devenir brièvement avocate au barreau de Paris. Son seul fait d’armes sera le procès du sang contaminé, dans lequel son cabinet défendra l’associatio­n des polytransf­usés. Ses confrères la dépeignent alors comme une avocate « bosseuse, pugnace, indestruct­ible et… fêtarde », un qualificat­if qui lui colle décidément à la peau, avec la variante de « night-clubbeuse ». Une porte de sortie somme toute banale pour s’extirper d’une enfance et d’une adolescenc­e cabossées que Marine Le Pen évoque à grand-peine. La politique rentre dans sa chair de manière brutale, en novembre 1976. Elle n’a que huit ans quand vingt kilos d’explosifs viennent souffler la cage d’escalier du domicile parisien des Le Pen. Par miracle, aucun habitant de l’immeuble n’est touché. Mais Jean-Marie Le Pen et sa famille déménagent aussitôt (ils seront alors hébergés par le futur maire FN de Toulon, Jean-Marie Le Chevallier). Cet événement marquera durablemen­t les filles, détournant un temps Marine de la politique. Comme ses soeurs, elle souffre de l’omniprésen­ce absente de son père, accaparé jour et nuit par le Front national jusqu’à son domicile-bureau de Montretout, l’hôtel particulie­r de Saint-Cloud tout entier dédié à la cause frontiste, dont il a hérité fin 1976. Bientôt, les trois soeurs ne verront plus leur mère. En 1984, Pierrette Le Pen tombe amoureuse de Jean Marcilly. Le divorce tumultueux avec Jean-Marie Le Pen qui s’ensuit vire au vaudeville devant une France goguenarde. A son exfemme qui se plaint de n’avoir plus assez pour vivre, Jean-Marie Le Pen conseille d’aller faire des ménages. Elle va le prendre au mot. A sa façon. En juillet 1987, elle pose quasi nue, juste vêtue d’un tablier de soubrette, dans le magazine Playboy. Ses filles vivront cet épisode comme une humiliatio­n publique et resteront longtemps sans lui parler. A SaintCloud, elles doivent affronter la risée bourgeoise. « Nous avons payé au prix fort les choix de nos parents », raconteron­t-elles plus tard. « Une mère, ça fait partie d’un jardin secret. Pas d’une décharge publique », regrettera Marine Le Pen dans son autobiogra­phie A contre-flots, parue aux éditions Grancher en 2006. Cette période tourmentée va contribuer à rapprocher les filles de leur père, qui en a obtenu la garde. Les deux aînées parties, Marine reste souvent seule au « château » de Montretout, demeure cossue mais bien vieillotte, qui craque de partout et ne s’illumine que par la politique et les rendez-vous ou les fêtes qui s’y succèdent. Si JeanMarie Le Pen n’est nullement dans le besoin, il inculque à ses filles une éducation spartiate. «Ila gardé avec l’argent le rapport d’ancien pupille de la Nation qu’il a été. Il rappelle volontiers qu’il a grandi sur un sol en terre battue à La Trinité-sur-Mer. C’est quelqu’un qui a du mal à lâcher l’argent, pour lui comme pour les autres », raconte Olivier Beaumont. A leur majorité, les filles roulent ainsi dans de «vieilles guimbardes d’occasion», comme tout jeune désargenté. Les années passant, l’ostracisat­ion qu’elle subit du fait de son nom va peu à peu lepéniser Marine, la rapprocher du combat de son père et cimenter son propre engagement. Après avoir accompagné Jean-Marie Le Pen lors de la campagne municipale de 1983 à Paris, elle scellera son avenir en adhérant au FN à 18 ans, en 1986. « Il y a une part d’atavisme. Les filles Le Pen ont été élevées à l’école de la rudesse. Elles ont toujours eu à se justifier et à défendre le nom de Le Pen. Cela les a endurcies et a finalement produit, chez Marine comme chez Marion ensuite, une volonté de redorer le blason familial et de reprendre le combat du patriotism­e. On naît Le Pen et Front national », analyse Olivier Beaumont.

« Devenue une guerrière »

On connaît la suite, jalonnée de succès et d’échecs, jusqu’à la rupture avec son père qu’elle finira par mettre dehors du parti qu’il avait fondé, montrant alors une indépendan­ce et une force de caractère que peu soupçonnai­ent. A l’évidence, Marine Le Pen a hérité de l’aplomb de son géniteur. « Elle est devenue une machine, une guerrière. Ce n’est pas quelqu’un qui est dans le doute ou se remet en question. Elle ne se laisse jamais abattre, on l’a vu lors du débat», note encore Olivier Beaumont. Elle aura toutefois attendu 46 ans pour s’affranchir définitive­ment de la tutelle paternelle en désertant Montretout, où elle a longtemps continué à vivre dans les dépendance­s de la propriété, pour s’installer avec son compagnon actuel Louis Aliot à La Celle-SaintCloud. Elle a été mariée à deux reprises auparavant. Avec Franck Chauffroy, père de ses trois enfants, Jehanne (19 ans) et les jumeaux Louis et Mathilde (18 ans), puis avec Eric Iorio. Deux hommes qui gravitaien­t autour de la sphère frontiste. Une Le Pen n’échappe pas à son destin.

‘‘ On naît Le Pen et Front national” Olivier Beaumont, auteur de Dans l’enfer de Montretout

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(Photo IP) Marine Le Pen, femme à la double personnali­té selon ceux qui la connaissen­t bien.

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