Var-Matin (La Seyne / Sanary)

GILLES JACOB

« J’ai la fierté d’avoir servi le cinéma et mon pays »

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Durant presque trente ans, sa haute silhouette a trôné au sommet des marches. Délégué général puis président du Festival, Gilles Jacob, 86 ans, est toujours ce «Monsieur Cinéma», amoureux du 7e art comme de ses actrices. Même s’il n’a plus le premier rôle à Cannes, sa parole est d’or. par ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

En 1977, vous devenez délégué général du Festival. Quarante après, votre sentiment ? La fierté d’avoir servi le cinéma et mon pays, développé Cannes pour qu’il devienne le plus grand festival du monde, conquis son indépendan­ce financière après l’artistique.

Votre regard sur la sélection officielle ?

Je m’interdis d’avoir un jugement sans l’avoir vue. Quels films allez-vous voir absolument ?

J’essaie d’en voir beaucoup, pour garder la fraîcheur du regard. C’est une aide précieuse pour la Cinéfondat­ion dont je suis le président.

Avec le recul, quel est votre regard sur l’événement ? Est-ce devenu une trop grosse machine aux stars inaccessib­les ? Est-il toujours la fête du cinéma ? Il y a des publics, des films, des rencontres, des échanges, des projets, une ambiance unique où, du matin au soir, on ne parle que de cinéma. Au point d’oublier ce qui se passe dans le monde ! Cette multitude de films et de mordus, pour moi, c’est ça la vraie fête. Après, si les comédiens sont beaux et les actrices sublimes, qui s’en plaindrait ?

En 1978, vous sélectionn­ez L’Homme

de marbre d’Andrzej Wajda, censuré en Pologne. Dans le contexte politique actuel, quel film pourrait faire « résistance » ? À l’époque, je montre L’Homme de marbre àla barbe des officiels, en « film surprise ». Cela reçoit un énorme écho, y compris un édito politique du New York Times, pour la première fois! Mais il y a toujours un endroit du monde où des cinéastes sont empêchés, interdits, emprisonné­s. J’ai toujours aidé ces opprimés où qu’ils soient, et ils le savent. Espérons qu’une telle situation ne se produise jamais chez nous.

Avez-vous pardonné à Lars von Trier ses propos sur Hitler qui avaient provoqué son exclusion du Festival en 2011 ? Peut-il être réintégré en compétitio­n un jour ? Oui, et oui. Je connais bien Lars, que j’ai découvert et accompagné jusqu’à sa palme d’or pour Dancer in the Dark . Un grand cinéaste. Simplement, il fait de la provoc ! Or, sur le nazisme, il n’y a pas de place pour la provocatio­n. Je lui ai dit. Je crois qu’il a compris...

Dans une interview en 2014, vous souhaitiez la constructi­on d’un nouveau Palais vers la Pointe Croisette ? J’ai fait de la provoc à mon tour. J’ai chagriné le maire David Lisnard qui, avec son humour, m’a

fait cadeau d’une photo du Palais en flammes !

Canal+ doit-il rester le partenaire télé privilégié du Festival ? Il serait bien d’alterner, d’ouvrir les portes à d’autres, pourquoi pas au service public ? Sa force de frappe ferait souffler un courant frais.

Plus grand moment ? Pire souvenir ?

Le 50e anniversai­re : la mise en scène de Decouflé, les 28 Palmes sur scène, Jeanne Moreau, Liv Ullmann, les actrices de Bergman, la Palme des Palmes. Ou bien le 60e avec Chacun son cinéma, le plus beau film à sketches du monde ! Mon pire souvenir, c’est quand j’ai été renversé sur la Croisette. Qui était le premier à mon secours ? Le maire.

Votre scénario imaginaire du 70e Festival? Le rideau s’ouvre sur l’orchestre de Cannes. Le chef dirige l’ouverture des Noces de Figaro. À la fin, les musiciens l’applaudiss­ent. Le chef se retourne, et s’incline: c’est moi.

Une séquence de fin ?

Je suis né en noir et blanc, j’ai grandi en couleurs, j’ai vécu en relief, j’ai vieilli en numérique, je mourrai en muet et rejoindrai mes chers pionniers: Griffith, Eisenstein et Chaplin.

 ?? (Photo Serge Haouzi) ?? Gilles Jacob, photograph­ié depuis ce Palais qu’il a tant incarné durant trois décennies, à l’heure de son départ de la présidence du Festival en 2014. Il aime à revenir à Cannes, même en simple spectateur.
(Photo Serge Haouzi) Gilles Jacob, photograph­ié depuis ce Palais qu’il a tant incarné durant trois décennies, à l’heure de son départ de la présidence du Festival en 2014. Il aime à revenir à Cannes, même en simple spectateur.

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