COPAINS COMME COCHONS Bong Joon-ho signe une fable anti-OGM et anti-viande déguisée en film pour enfants
Malgré une projection matinale perturbée par un incident technique, le premier film Netflix a plutôt séduit les festivaliers. Même si sa présence en compétition pose question...
O n a bien cru, hier matin, qu’un commando anti-Netflix avait déjoué la sécurité et investi la salle Debussy pour perturber la projection d’Okja, le premier des deux films présentés en compétition par la plateforme américaine de vidéo à la demande (VOD). Huées et sifflets dès l’apparition du logo Netflix au générique, applaudissements à contretemps dans les premières minutes... Ça partait mal! Finalement, il s’est avéré qu’il y avait un problème technique : les spectateurs du balcon ne voyaient que la moitié de l’écran. D’où leur irritation, compréhensible. Après quelques minutes d’interruption, la projection a pu reprendre dans de bonnes conditions et la direction du Festival a publié un communiqué pour s’excuser auprès des spectateurs et du réalisateur. Ouf! La polémique sur la non sortie en salles (pour la France) des deux films Netflix ne s’est donc pas envenimée, comme on l’avait d’abord craint. Mais ce n’est quand même pas de chance pour Okja, fable écolo responsable déguisée en film pour enfants, signée du réalisateur de The Host et de Snowpiercer, le Transperceneige, le Sud-Coréen Bong Joon-ho. Comme seuls les abonnés Netflix pourront voir ce film, même s’il obtient la Palme d’or ou un prix majeur (on ne parierait pas là-dessus, vu les déclarations du président Almodóvar), on peut se permettre d’en raconter l’histoire en détail. C’est celle d’une petite fille coréenne de 13-14 ans, Mija (Ahn Seohyeon), qui vit dans la montagne coréenne, où elle a élevé avec son grand père un des premiers spécimens de «Super Cochon» : un animal génétiquement modifié conçu par une multinationale alimentaire, la société Mirando, pour fournir au monde de la viande en quantité et à bas coût (toute ressemblance avec Monsanto ne serait que phonétique). Dix ans après sa conception dans les laboratoires Mirando, la bête, baptisée Okja, est devenue énorme et ressemble plus à un hippopotame qu’à un cochon. Mija en a fait un animal de compagnie avec lequel elle passe le plus clair de son temps dans la forêt. Aussi, lorsque Mirando vient la récupérer pour l’envoyer à New York participer au concours du plus beau « Super Cochon », animé par le très médiatique Dr Johnny Wilcox (Jake Gyllenhaal), la petite fille voit rouge. Quittant ses montagnes pour Séoul, puis New York, elle va tout faire pour tirer son amie des griffes de Mirando. Elle trouvera pour cela un soutien inattendu auprès du Front de libération des animaux, association d’activistes américains opposés à Mirando et à sa flamboyante pédégère (Tilda Swinton), dont le jeune chef est un certain Jay (Paul Dano)... Entamé comme un film pour enfants (superbe photo de Darius Khondji), Okja vire rapidement au film de poursuite, pour s’achever sur un pamphlet anti-OGM et anti-viande assez noir, avec Jake Gyllenhaal en Dr Folamour des abattoirs, Tilda Swinton en Cruella d’Enfer de multinationale et Okja en émule porcine de King Kong. La réalisation est pétaradante (grande scène de poursuite illustrant la fameuse expression dite de « l’éléphant dans un magasin de porcelaine»), la numérisation des « Super Cochons » est très réussie, Jake Gyllenhaal et Tilda Swinton en font des caisses (mais ils sont payés pour), la petite Ahn Seo-hyeon est impeccable de détermination butée, le message a le mérite d’être clair (mangez des légumes et évitez les produits Monsanto) et tout ça est très distrayant, bien qu’un peu lourdingue (voire pachydermique). Les festivaliers ont plutôt bien aimé, même si la présence d’un tel film en compétition à Cannes ne s’imposait pas vraiment, à notre humble avis (une séance spéciale aurait largement suffi). Au moins pour ce film-là, aurait-on pu s’éviter un Netflixgate...