Var-Matin (La Seyne / Sanary)

JOAQUIN PHOENIX Desperado

Méconnaiss­able en ours violent, meurtri et mal léché, l’acteur crève l’écran sans quasiment dire un mot dans You Were Never Really Here. Un nouveau rôle en or pour Joaquin Phoenix, qui ne craint pas de jouer le plus dépressif des antihéros. Le pire, c’est

- par ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

L a tête dans le sac. Au propre comme au figuré. Dans le thriller esthétique et elliptique de Lynne Ramsay, Joe semble en état d’asphyxie permanente. Parce qu’il tente de mettre ainsi fin à ses mornes jours. « C’est un moyen qui semble efficace pour se suicider, mais en réalité, c’est un peu difficile de mourir ainsi », commente Joaquin Phoenix, de retour sur la Croisette après The Immigrant il y a trois ans. « En tout cas, cette pratique le plonge dans le silence, et c’est ce que recherche mon personnage, une sorte de refuge. Il y a quelque chose de l’explosion dans sa tête, bombardée par sa mémoire, et Joe essaie juste de retrouver un état silencieux. » La tête dans le sac. Parce que les réminiscen­ces d’un passé douloureux le privent soudain d’air, et lui obstruent le cerveau. À bout de souffle, le vétéran d’Irak et ancien agent du FBI. Mais pas encore à bout de forces. Ne pas vendre la peau de l’ours, avant de l’avoir tué. Car sa lourde carcasse peut encore servir (un peu) à sauver la légèreté des anges déchus, si ce n’est leur innocence perdue. Dans You Were Never Really Here, c’est bien l’enfance qu’on assassine. Et Joe s’emploie désormais à retrouver les jeunes victimes d’adultes corrompus. Sans aucune illusion sur ce monde vicié, si ce n’est une tendresse pour sa vieille mère. Ce n’est que pour elle que l’ancien GI consentira à porter le costard, avec sa mémoire meurtrie dans la peau. Antihéros atypique, magnifique desperado. Après Gladiator, Joaquin Phoenix, est encore impérial. Mais surtout pas commode! Avare de mot, Joe préfère user du marteau. Le psychisme d’un être cabossé. « En fait, il utilise cet outil plutôt qu’un pistolet, parce que c’est sa façon à lui de laisser sa marque sur ses victimes », justifie Joaquin. Le corps lardé de cicatrices, massif et dépressif, barbu et hirsute, L’Homme irrationne­l de Woody Allen y livre encore une sacrée compositio­n. Présence de tous les plans, et les blessures de l’enfance en arrière-plan, dans des flash-back aveuglants. Où est-il allé chercher tout ça ? «J’ai grandi dans une famille un peu étrange, je suis traumatisé depuis mon enfance, alors plus tard, il a fallu que j’apprenne à me défendre », répond Joaquin, sans que l’on sache s’il parle de lui-même, fils de parents comédiens adeptes d’une secte, ou de son alter ego Joe. Quoi qu’il en soit, un dur à cuire, dont l’impression­nante carrure n’empêche pas les fêlures. « Et pourtant, je n’ai pas du tout suivi d’entraîneme­nt pour ce rôle. Avec Lynne Ramsay, on ne voulait pas trop accentuer son côté physique hollywoodi­en. Joe est corpulent, et en même temps, c’est un tendre, souligne Joaquin, que l’on retrouve plus aminci et apprêté pour fouler le tapis rouge que pour marcher dans une mare de sang. Moi-même, je ne voulais pas trop jouer sur sa masculinit­é car à bien des égards, Joe est un incapable. En fait, la fillette sauve elle-même sa peau ». Peut-être même lui offre-t-elle sa rédemption. Joaquin, lui, peut poursuivre son chemin serein. Depuis James Gray, la nuit lui appartient. L’avenir aussi. Mais qui sait? En mettant ses pas dans ceux de Joe, ce Phoenix a peut-être pourchassé ses propres fantômes...

« HÉROS OU ANTIHÉROS? JE ME POSE MOI-MÊME LA QUESTION... »

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Mais dans You Were Never Really Here,
sa métamorpho­se est imposante.
Joaquin Phoenix à Cannes : l’interprète mémorable de Johnny Cash a retrouvé un look de cow-boy à Cannes, avant de tourner le western Far Bright Star. Mais dans You Were Never Really Here, sa métamorpho­se est imposante.

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