Blaise Obino, la passion des nasses de Méditerranée
À bientôt 84 ans, cet ancien pêcheur professionnel du Lavandou est l’un des derniers à savoir tresser des nasses. Un savoir-faire qu’il a décidé de transmettre pour que la tradition perdure
Depuis plus de 20 ans et son départ à la retraite, plus rien n’oblige Blaise Obino, ancien pêcheur professionnel du Lavandou, à tresser des nasses. Sinon l’amour de façonner le jonc, le myrte ou la canne de Provence. À moins que ce ne soit une discipline que son esprit et son corps réclament… Si la cadence a forcément diminué, Blaise Obino, 84 ans en août prochain, arrive tout de même à tresser deux nasses par jour. «À la grande époque, j’en tressais une dizaine quotidiennement. Mais mon épaule droite me fait mal », s’excuse presque le vieux pêcheur. La grande époque que Blaise Obino évoque, c’est celle de La Galite, un archipel situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Tabarka, en Tunisie. C’est là que le jeune Blaise – alors âgé d’à peine une quinzaine d’années – a tout appris ou presque du métier de la pêche. Et notamment la pêche à la langouste au moyen de nasses. Pourtant rien ne le prédestinait a priori à prendre la mer. Dans la famille Obino, des Siciliens qui ont fui l’Italie mussolinienne, on est maçon de père en fils. Blaise l’admet d’ailleurs sans détour : « Si je n’étais pas devenu pêcheur, j’aurais sans aucun doute suivi le chemin de mon père ». Un père trop tôt disparu. Blaise n’a que 8 ans en effet quand son paternel décède précipitamment. «Il a attrapé une maladie dans un hôpital où il réalisait des travaux», raconte-t-il. Avec cinq bouches à nourrir, sa mère, désormais veuve, tire le diable par la queue. Pour l’aider, Blaise est très vite obligé de travailler. « Outre maçon, j’ai fait plein de petits boulots: plombier, marchand de vin… mais aucun ne me plaisait». Ses premiers pas à la pêche, à Bizerte où il a grandi, ne sont guère plus convaincants. « Après la disparition de mon père, ma mère a refait sa vie avec un pêcheur. J’ai pu embarquer sur un bateau qui pêchait au filet et à la palangre. Ça ne m’a pas vraiment emballé…». Mais en discutant avec d’autres professionnels de la mer, il entend parler de La Galite et de la pêche à la langouste, autrement plus rémunératrice. À 15 ans, presque sur un coup de
tête, Blaise prend la navette maritime qui ravitaille l’archipel. Sa vie va littéralement changer. Un temps « réfugié » chez Ernest, un hôtelier de l’île qui lui offre le gîte et le couvert contre de menus services, Blaise Obino ne tarde pas à rencontrer Joseph D’Arco, l’un des pêcheurs à la langouste italiens de La Galite. Et surtout… sa fille Pierrine. Une idylle que le vieux Joseph n’apprécie guère. Après une première saison à la langouste, Blaise doit chercher un autre bateau. Entre-temps, il a appris à tresser des nasses. «Tout seul, comme un grand», lâche-t-il avec une certaine fierté. Avant d’expliquer: «Quand celui qui deviendra mon beau-père partait faire la sieste, j’allais dans la grotte qui servait à stocker le matériel et j’essayais de façonner des nasses. La première était tordue. La deuxième aussi. Mais la troisième tentative fut la bonne». Un savoir-faire que Blaise va pouvoir monnayer pour ses futurs embarquements. «La saison de pêche à la langouste ne durait que quatre ou cinq mois dans l’année. L’hiver, on préparait les nasses. Au moins une centaine. Ceux qui savaient les façonner étaient mieux payés sur les bateaux».
L’envie de transmettre
Cette expertise lui vaudra de pouvoir jouer les prolongations après l’indépendance de la Tunisie en 1956. «Les autorités tunisiennes sont venues me voir et m’ont demandé de rester pour enseigner aux Arabes la fabrication des nasses et leur utilisation. Comme ma femme Pierrine ne voulait pas partir, on a accepté l’offre». Une première expérience de la transmission que Blaise Obino poursuit encore aujourd’hui, cette fois sur la rive nord de la Méditerranée (1). À son arrivée dans le Var en 1963, d’abord à Solliès-Pont où ses frères l’avaient devancé, puis au Lavandou, Blaise Obino ne tarde pas à reprendre son métier de pêcheur. D’abord au filet, mais très vite à la nasse. Dans les forêts voisines, il trouve les matières premières pour façonner ses gireliers, ses nasses à langouste, à congre, ou encore ses corbeilles à palangres. Une pêche singulière. «Un métier dur, mais dans lequel j’ai mis beaucoup d’amour» confie Blaise Obino. Aussi quand sonne l’heure de la retraite, ce dernier ne peut se résoudre à voir disparaître plus qu’une tradition, toute sa vie. Avec sa femme Lou, épousée en secondes noces en 2012, il crée l’association Pêche ancienne en Méditerranée (2). «Sur une trentaine d’élèves, cinq continuent de tresser et pêchent en tant que plaisanciers», se réjouit-il. Si cette initiative lui a valu quelques inimitiés parmi les descendants des pêcheurs galitois installés au Lavandou, Blaise Obino ne regrette rien. Seules «blessures» avouées: l’absence d’héritier. «Ma première femme ne pouvait pas avoir d’enfant. Si j’avais eu un fils, ça aurait été un grand plaisir de lui apprendre le métier ». Et l’école qu’il a dû quitter dès 12 ans. Ce qui ne l’empêche pas de parler trois langues plus quelques dialectes italiens...
J’ai appris seul à façonner les nasses ”