Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Blaise Obino, la passion des nasses de Méditerran­ée

À bientôt 84 ans, cet ancien pêcheur profession­nel du Lavandou est l’un des derniers à savoir tresser des nasses. Un savoir-faire qu’il a décidé de transmettr­e pour que la tradition perdure

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com 1. Blaise Obi no transmet aussi son savoir dans Letresseur de nasses de méditerran­ée, aux éditions du Terran 2. Contact au 0 6.27. 82.70.61.

Depuis plus de 20 ans et son départ à la retraite, plus rien n’oblige Blaise Obino, ancien pêcheur profession­nel du Lavandou, à tresser des nasses. Sinon l’amour de façonner le jonc, le myrte ou la canne de Provence. À moins que ce ne soit une discipline que son esprit et son corps réclament… Si la cadence a forcément diminué, Blaise Obino, 84 ans en août prochain, arrive tout de même à tresser deux nasses par jour. «À la grande époque, j’en tressais une dizaine quotidienn­ement. Mais mon épaule droite me fait mal », s’excuse presque le vieux pêcheur. La grande époque que Blaise Obino évoque, c’est celle de La Galite, un archipel situé à une soixantain­e de kilomètres au nord de Tabarka, en Tunisie. C’est là que le jeune Blaise – alors âgé d’à peine une quinzaine d’années – a tout appris ou presque du métier de la pêche. Et notamment la pêche à la langouste au moyen de nasses. Pourtant rien ne le prédestina­it a priori à prendre la mer. Dans la famille Obino, des Siciliens qui ont fui l’Italie mussolinie­nne, on est maçon de père en fils. Blaise l’admet d’ailleurs sans détour : « Si je n’étais pas devenu pêcheur, j’aurais sans aucun doute suivi le chemin de mon père ». Un père trop tôt disparu. Blaise n’a que 8 ans en effet quand son paternel décède précipitam­ment. «Il a attrapé une maladie dans un hôpital où il réalisait des travaux», raconte-t-il. Avec cinq bouches à nourrir, sa mère, désormais veuve, tire le diable par la queue. Pour l’aider, Blaise est très vite obligé de travailler. « Outre maçon, j’ai fait plein de petits boulots: plombier, marchand de vin… mais aucun ne me plaisait». Ses premiers pas à la pêche, à Bizerte où il a grandi, ne sont guère plus convaincan­ts. « Après la disparitio­n de mon père, ma mère a refait sa vie avec un pêcheur. J’ai pu embarquer sur un bateau qui pêchait au filet et à la palangre. Ça ne m’a pas vraiment emballé…». Mais en discutant avec d’autres profession­nels de la mer, il entend parler de La Galite et de la pêche à la langouste, autrement plus rémunératr­ice. À 15 ans, presque sur un coup de

tête, Blaise prend la navette maritime qui ravitaille l’archipel. Sa vie va littéralem­ent changer. Un temps « réfugié » chez Ernest, un hôtelier de l’île qui lui offre le gîte et le couvert contre de menus services, Blaise Obino ne tarde pas à rencontrer Joseph D’Arco, l’un des pêcheurs à la langouste italiens de La Galite. Et surtout… sa fille Pierrine. Une idylle que le vieux Joseph n’apprécie guère. Après une première saison à la langouste, Blaise doit chercher un autre bateau. Entre-temps, il a appris à tresser des nasses. «Tout seul, comme un grand», lâche-t-il avec une certaine fierté. Avant d’expliquer: «Quand celui qui deviendra mon beau-père partait faire la sieste, j’allais dans la grotte qui servait à stocker le matériel et j’essayais de façonner des nasses. La première était tordue. La deuxième aussi. Mais la troisième tentative fut la bonne». Un savoir-faire que Blaise va pouvoir monnayer pour ses futurs embarqueme­nts. «La saison de pêche à la langouste ne durait que quatre ou cinq mois dans l’année. L’hiver, on préparait les nasses. Au moins une centaine. Ceux qui savaient les façonner étaient mieux payés sur les bateaux».

L’envie de transmettr­e

Cette expertise lui vaudra de pouvoir jouer les prolongati­ons après l’indépendan­ce de la Tunisie en 1956. «Les autorités tunisienne­s sont venues me voir et m’ont demandé de rester pour enseigner aux Arabes la fabricatio­n des nasses et leur utilisatio­n. Comme ma femme Pierrine ne voulait pas partir, on a accepté l’offre». Une première expérience de la transmissi­on que Blaise Obino poursuit encore aujourd’hui, cette fois sur la rive nord de la Méditerran­ée (1). À son arrivée dans le Var en 1963, d’abord à Solliès-Pont où ses frères l’avaient devancé, puis au Lavandou, Blaise Obino ne tarde pas à reprendre son métier de pêcheur. D’abord au filet, mais très vite à la nasse. Dans les forêts voisines, il trouve les matières premières pour façonner ses gireliers, ses nasses à langouste, à congre, ou encore ses corbeilles à palangres. Une pêche singulière. «Un métier dur, mais dans lequel j’ai mis beaucoup d’amour» confie Blaise Obino. Aussi quand sonne l’heure de la retraite, ce dernier ne peut se résoudre à voir disparaîtr­e plus qu’une tradition, toute sa vie. Avec sa femme Lou, épousée en secondes noces en 2012, il crée l’associatio­n Pêche ancienne en Méditerran­ée (2). «Sur une trentaine d’élèves, cinq continuent de tresser et pêchent en tant que plaisancie­rs», se réjouit-il. Si cette initiative lui a valu quelques inimitiés parmi les descendant­s des pêcheurs galitois installés au Lavandou, Blaise Obino ne regrette rien. Seules «blessures» avouées: l’absence d’héritier. «Ma première femme ne pouvait pas avoir d’enfant. Si j’avais eu un fils, ça aurait été un grand plaisir de lui apprendre le métier ». Et l’école qu’il a dû quitter dès 12 ans. Ce qui ne l’empêche pas de parler trois langues plus quelques dialectes italiens...

J’ai appris seul à façonner les nasses ”

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