J. Jouzel : « Le réchauffement climatique peut accroître les risques de conflits »
Selon le climatologue Jean Jouzel, ex-vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le retrait des États-Unis aura des conséquences planétaires.
Quelle est votre réaction aux propos du président américain Donald Trump ?
L’attitude de Donald Trump est extrêmement décevante. Elle risque d’avoir des conséquences sur la dynamique de l’accord de Paris. J’ai été très marqué par son discours isolationniste. La force de l’Accord de Paris c’est d’être universel, marqué par une solidarité entre les pays. C’est une responsabilité terrible pour la première économie mondiale de prendre cette liberté de rompre la solidarité.
Le changement climatique peut-il créer des emplois ?
Beaucoup de créations d’emplois liées à la transition énergétique sont possibles. On s’attendait à ce que les États-Unis se retirent mais pas de cette façon en attaquant la Chine, en avançant des arguments fallacieux du point de vue économique, de la destruction des emplois. J’aurais honte d’avoir un président comme ça. Très peu d’industriels américains le suivent mis à part les géants du charbon.
Quel est le véritable défaut de l’Accord de Paris ?
L’Accord de Paris, signé par les pays au terme de la COP , a pour objectif que le réchauffement climatique n’excède pas °C par rapport au climat de l’ère préindustrielle. Ce n’est pas suffisant, car même avec cet Accord de Paris et même si les États-Unis avaient tenu leurs engagements, on se situe plutôt sur une trajectoire au-delà de °C à la fin du siècle. Il faudrait doubler les engagements actuels à l’horizon pour rester en deçà des °C.
Est-ce possible ?
Ce sera difficile, lors de la COP en novembre à Bonn, de demander aux pays qui restent dans l’accord – et je pense qu’il y aura l’essentiel des pays – d’augmenter leurs engagements alors que les États-Unis quittent le navire. Certains vont tenir leurs engagements mais refuser d’aller au-delà.
Comment se traduit le dérèglement du climat aux États-Unis?
Comme beaucoup d’autres pays, ils sont extrêmement fragiles par rapport au changement climatique : élévation du niveau de la mer qui risque d’affecter la Floride, cyclones ou ouragans comme Sandy qui a touché New York, sécheresses à répétition, problèmes de ressources en eau dans certaines régions, incendies de forêt.
Comment la pollution américaine peut-elle arriver jusqu’à nous ?
Le climat est un climat global avec des conséquences planétaires. Quand on brûle du charbon, du pétrole ou du gaz aux États-Unis, en moins d’un an, le gaz carbonique produit se mélange à l’échelle de la planète. C’est la quantité d’émission de gaz à effet de serre qui joue sur le climat. Les conséquences climatiques sont indépendantes du lieu de production. Tout se retrouve mélangé dans l’atmosphère.
Quels peuvent être les effets en région Paca ?
Il y a beaucoup de discussions sur les événements type cévenol, ces grosses pluies très importantes qui peuvent être subies à l’automne parce que la Méditerranée reste très chaude. A moyen terme, il peut y avoir moins de précipitations et plus d’évaporation. Il y a en région Paca des risques liés à l’élévation du niveau de la mer et des conséquences possibles sur le tourisme en cas de canicules à répétition. Cela ne serait pas attractif pour le touriste. On sait avec certitude que les océans s’acidifient. La Méditerranée en est affectée. De plus, ses eaux circulent moins, cela nuit à la faune et à la flore.
Le risque de guerre lié au changement climatique est-il réel ?
L’augmentation des conflits est un des risques soulignés dans le dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Certains politologues attribuent en partie aux sécheresses à répétition du début des années , ce qui se passe en Syrie. Entre et millions de Syriens qui n’avaient plus la possibilité de vivre de l’agriculture, ont déménagé des campagnes. Ils sont allés vers les villes. L’accès à l’eau peut conduire à des conflits mais aussi l’accès à la nourriture car les cultures en souffriront aussi. Donc oui le réchauffement climatique peut accroître les risques de conflits dans certains pays ou régions.
Certains pays risquent-ils d’imiter les États-Unis ?
Le risque c’est de voir la Russie ne pas ratifier l’accord. Elle l’a signé lors de la COP mais ne l’a pas ratifié. Pour le moment Poutine n’a pas dit qu’il s’alignerait sur les États-Unis. On n’a pas vraiment entendu de pays dire qu’ils vont se retirer ou qu’ils ne vont pas tenir leurs engagements. Mais cela peut venir dans les semaines qui viennent. C’est un risque.