Signé Roselyne
Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité « La défense de François Bayrou est insoutenable déontologiquement et stupide politiquement. »
Lundi
Tsunami, tremblement de terre, raz-de-marée, déferlante, rouleau compresseur, tempête, les métaphores ont fait florès pour décrire l’incroyable succès enregistré par le parti d’Emmanuel Macron au premier tour des législatives. Les commentateurs qui se refusent à arborer une mine par trop subjuguée ont jugé avec componction que cette indéniable victoire était entachée d’une tare existentielle constituée par un taux d’abstention élevé, le plus haut de l’histoire de la Ve république. Outre qu’il est difficile de faire parler des abstentionnistes qui par définition ont choisi de se taire, il est à remarquer que notre pays rejoint en cela nombre de démocraties. Mais surtout, ce résultat est l’ultime logique du système institutionnel imaginé il y a soixante ans par le général de Gaulle pour sortir la vie politique de l’instabilité qui avait miné la IV° République, avec pas moins de… gouvernements en ans ! Le quinquennat et son corollaire de concomitance des élections législatives et présidentielle ont paradoxalement conforté et perverti les institutions gaulliennes, conforté en confinant le vote législatif en simple confirmation de la présidentielle, perverti en transformant le président fraîchement élu en chef de la majorité parlementaire. Si les commentateurs étaient dans leur rôle en jouant les grincheux, les battus du premier tour ne manquaient pas d’air en entonnant derechef un procès en illégitimité de la probable future majorité. Quand on constate que les gros bataillons des abstentionnistes se recrutent au FN et à La France insoumise, madame Le Pen et monsieur Mélenchon auraient mieux fait de battre leur coulpe. La première a montré que la vulgarité n’est pas un argument, le second que l’irascibilité n’est pas un programme. Tous les deux avaient finalement une bien piètre image du peuple, et le peuple s’est vengé de leur mépris implicite.
Mardi
La probable hégémonie de « La République en marche » dans la nouvelle Assemblée nationale fait ressurgir le serpent de mer de l’« instillation » d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives. Cette proposition a des partisans dans toutes les sensibilités politiques et retrouve aujourd’hui toute sa pertinence en conjuguant la nécessité d’une majorité stable et la représentation des minorités. En instituant la proportionnelle intégrale pour les élections de , François Mitterrand avait fait passer le nombre des députés de à . La droite, revenue alors aux affaires, avait rétabli le scrutin uninominal à deux tours mais s’était bien gardée de revenir
au chiffre antérieur. Il serait facile de réduire le nombre de nos représentants à , de réserver sièges élus à la proportionnelle soit dans les circonscriptions définies pour les élections européennes, soit dans les nouvelles régions, ceci afin de donner aux élus un minimum d’ancrage territorial. Certains rétorquent que les circonscriptions électorales des élus au scrutin uninominal seraient trop grandes pour effectuer un « travail de terrain». Peut-on leur faire aimablement remarquer que celui-ci s’est révélé inopérant et qu’il vaut mieux être un parfait inconnu avec la bonne étiquette qu’un sortant consciencieux et travailleur avec la mauvaise ? Après tout, les Américains ont un député pour habitants, les Allemands un pour et les Français un pour : nous avons visiblement une marge de progression.
Mercredi
Ce matin, François Bayrou, le ministre de la Justice, est interrogé sur RTL. La médiasphère est en émoi et il faut reconnaître qu’il y a de quoi. Voilà un ministre de la Justice soupçonné dans une affaire d’emplois fictifs au bénéfice de son parti le Modem. Disons d’abord que la présomption d’innocence est plus que jamais de mise, d’autant que les accusateurs qui ont porté l’affaire sur la place publique sont des adversaires politiques déclarés. La prudence s’impose donc. Ceci étant, le fait pour un ministre, qui plus est ministre de la Justice, de prendre son téléphone pour intimer à un média de cesser ses investigations est proprement confondant. Surtout quand cette affaire le concerne ! Sa défense est insoutenable déontologiquement et stupide politiquement. Il se plaint notamment que les journalistes d’investigation harcèlent ses collaborateurs sur leur téléphone privé. Outre qu’il est bien facile pour eux d’y faire barrage, le ministre eût été mieux inspiré de dénoncer publiquement ces intrusions qui confinent parfois à la maltraitance et à la persécution. Les journalistes ont maintenant beau jeu de se draper dans les attributs de la liberté de la presse et de faire ainsi oublier les méthodes harcelantes de certains de leurs confrères. J’imagine assez bien Gueule d’ange dans son bureau doré de l’Élysée, levant les yeux au ciel et pensant : « Ce Bayrou, quel boulet ! »
Jeudi
Inqualifiable agression contre Nathalie Kosciusko-Morizet. La condamnation de cette violence est unanime de tous les bords politiques et c’est heureux. Mais par curiosité, allez faire un tour sur les réseaux sociaux pour lire les tombereaux d’insultes et de grossièretés dont elle est l’objet à cette occasion. Vraiment, ces médias sont des égouts nauséabonds où les lâches et les salauds s’ébrouent avec jubilation.
Vendredi
La France bruisse à nouveau de l’émotion suscitée par le meurtre du petit Grégory Villemin. Depuis
des années, les policiers, les gendarmes, les magistrats n’ont cessé de chercher la vérité et il convient de rendre hommage à cette obstination. La thèse du complot familial est plus que jamais confirmée et les remugles des jalousies et des haines qui minaient ce clan sont glaçants. Du massacre de la famille Troadec jusqu’au quintuple assassinat des Dupont de Ligonnès, en passant par les viols d’enfants à Outreau ou à Angers, l’opinion est toujours sidérée par la violence criminelle dont le cercle familial peut être le théâtre. Deux enfants meurent chaque jour sous les coups de leurs parents et ce chiffre est notoirement sous-estimé tant la loi du silence règne en l’occurrence. A chaque révélation de ces abominations, les proches, les médecins, les travailleurs sociaux, les voisins, les enseignants racontent n’avoir rien vu, comme si la dénégation était la protection contre l’insoutenable. Reconnaître qu’être assassiné par ses propres parents est hautement plus probable que par un psychopathe ou un terroriste relève d’une lucidité douloureuse. La famille est déifiée, érigée en parangon de toutes les bienveillances et refuge de toutes les détresses, et c’est heureusement souvent le cas. Mais la protection des plus faibles est aussi une ardente obligation qui ne souffre aucun romantisme naïf.
Samedi
Vous me direz que je n’ai point parlé cette semaine du parti socialiste, ni de Les Républicains. Au chevet des mourants, le silence et le recueillement s’imposent. L’évocation nostalgique des jours heureux et des triomphes passés accompagne la prière des croyants. Mais il faudra bien se décider à visser le cercueil et passer à autre chose.