Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Nicolas Orlowski: «Parce que je crois en la France!»

Le p.d.-g. d’Artcurial, jeune et prédominan­te maison de ventes aux enchères française, fait l’éloge de l’entreprena­riat et avance de grandes ambitions économique­s et culturelle­s sur la «Riviera»

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

Si tu veux aller vite, marche seul. Si tu veux aller loin, marchons ensemble. » Derrière ce proverbe africain se cache la clé de la success story de l’actuelle plus grande maison de ventes aux enchères française, Artcurial. Propriété de L’Oréal depuis 1975, la galerie-librairie tombe dans l’escarcelle de Nicolas Orlowski en 2002. Soutenu par le groupe Dassault ou Michel Pastor, l’entreprene­ur ose alors le virage des enchères en pleine libéralisa­tion du marché et, notamment, l’arrivée des institutio­ns anglo-saxonnes, Christie’s et Sotheby’s, sur la place parisienne. Quinze ans plus tard, la PME du rond-point des Champs-Elysées est passée de 25 salariés à plus de 150 – sans compter les quelque 70 salariés de sa filière Arqana, dédiée à la vente de chevaux à Deauville. « Artcurial est la maison de ventes qui a progressé le plus vite – Chine à part – à travers le monde ces dix dernières années. Le groupe fait 220million­s d’euros chaque année, 360 avec les chevaux », se félicite aujourd’hui le p.d.-g. De passage à Beaulieu-sur-Mer avant des vacations estivales prometteus­es à Monaco, Nicolas Orlowski, «très attaché à l’entreprena­riat », décrypte un management gagnant, vante « l’intelligen­ce collective », et dévoile une stratégie d’expansion mondiale et… azuréenne ! Un plaidoyer pour la France qui entreprend et contre l’individual­isme résumé en ces mots : «Il faut être optimiste, prendre des risques, s’amuser… Si tout le monde fait la gueule en arrivant au bureau le matin, ça marche six mois, mais ça ne marche pas dix ans. Il faut faire en sorte que les collaborat­eurs s’amusent aussi un peu. Mais pas trop, hein ! » (rires).

Comment qualifieri­ez-vous la success story d’Artcurial ?

Artcurial est une très belle aventure d’entreprise. La France doit comprendre aussi que les PME qui composent le tissu économique sont très importante­s et doivent l’être de plus en plus. Artcurial est aussi une belle aventure humaine.

Que vous menez alors que vous n’étiez pas issu du sérail…

J’ai racheté Artcurial à L’Oréal un peu par hasard, en . J’avais évidemment un appétit à la chose culturelle et artistique, mais je ne suis pas commissair­e-priseur. Les choses ne se sont pas trop mal organisées au hasard de la vie et des calendrier­s. Je voulais monter plus une entreprise qu’une galerie ou une librairie, et tout ça est tombé au moment de la déréglemen­tation. Beaucoup de gens avaient des projets et, quinze ans après, il n’y en a qu’un qui est vraiment né dans sa dimension, c’est Artcurial.

Votre stratégie a été de « fédérer les talents ». Derrière quelles conviction­s ?

Je n’avais pas de compétence­s particuliè­res, mais j’étais convaincu que le circuit des ventes à prix variable allait gagner des parts de marché et qu’on pouvait monter quelque chose de plus volumétriq­ue et ambitieux à travers une maison de ventes aux enchères. N’ayant pas les compétence­s, j’ai décidé de les acquérir et j’ai rencontré Francis Briest et Hervé Poulain [deux éminents commissair­espriseurs et figures du monde de l’art, Ndlr].

Vous vous êtes entouré de commissair­es-priseurs réputés et parfois concurrent­s. Un défi osé en termes de management, non ?

C’est pour ça qu’Artcurial est avant tout une aventure humaine. Il a fallu faire travailler ensemble des gens qui avaient vocation à se faire des croche-pattes (rires). Faire collaborer les gens, dans une entreprise comme dans une famille, c’est le plus dur. Il y a une sorte de défiance permanente aujourd’hui, une perte de confiance dans les patrons, les hommes politiques... Il faut essayer d’être bienveilla­nt et exemplaire pour que les gens suivent.

Quel regard pensez-vous que la concurrenc­e porte sur vous ?

Outre son succès économique en tant que PME, Artcurial est respectée. C’est aussi lié aux talents de l’entreprise, parce qu’il y a eu beaucoup d’innovation­s. Globalemen­t ça marche, parfois moins. Mais on est très observés à l’étranger et, de temps en temps, on voit que nos idées sont reprises. C’est de bonne guerre. On est un peu le Zébulon européen.

Quel est votre modèle de croissance ?

On en revient encore aux hommes et aux talents. On est dans un métier de contacts humains, de confiance. On rentre avec nos collaborat­eurs dans l’intimité des personnes. La vie de leur famille et la relation qu’ils entretienn­ent avec un objet. À partir de là, notre capacité à nouer des liens de confiance et accompagne­r ces clients est très importante.

L’implantati­on d’un bureau permanent à Monaco, en , vous a d’ailleurs permis de franchir un palier...

On a démarré raisonnabl­ement et, en , je pense qu’on fera aux alentours de  millions d’euros de vente dans la Principaut­é. Ça commence à être des vrais chiffres. À Paris, il n’y a pas grandmonde qui fait  millions d’euros ! Le choix de proposer une vraie vente automobile à Monaco [le  juillet au Grimaldi Forum, Ndlr] avec Matthieu Lamoure (expert), c’est une sacrée décision ! Notre arrivée au Grimaldi Forum fait du bruit sur le marché, à Monaco ou chez les gens qui aiment la voiture. Je n’ai pas connaissan­ce d’une vente automobile dans la région de ,  ou  millions… Je ne sais combien elle fera, mais ce n’est pas anecdotiqu­e.

Avez-vous en tête d’étendre votre champ d’action ? Jusqu’à Marseille, notamment ?

On a une ambition de présence et de proximité sur toute la Riviera, disons jusqu’à Saint-Tropez. Avec comme point d’attache Monaco, parce qu’on est monégasque­s avant tout. Je souhaite qu’on soit présent en termes d’animations culturelle­s et artistique­s, ou de conseils qu’on peut prodiguer à nos clients. Il y a un potentiel énorme. C’est un terrain de jeu peut-être un peu plus ouvert que ne le sont Londres et New York. Il y a beaucoup de choses à faire, mais nous n’envisageon­s pas de faire des ventes ailleurs qu’à Monaco.

À quel genre d’événements pensez-vous ?

Il y a matière à faire des exposition­s et des conférence­s à certains moments de l’année. Nos clients ont aussi besoin de conseil artistique, fiscal, successora­l. C’est super compliqué tout ça, plus qu’avant.

Qu’attendent les clients d’Artcurial aujourd’hui ?

Sans faire de politique, les clients étrangers [environ  % de la clientèle d’Artcurial, Ndlr] attendent une forme de tranquilli­té, de stabilité et de sécurité. Je sais que c’est un vrai sujet à Nice ou, ici, à Beaulieu. Je ne parle pas que de la sécurité physique, c’est une ambiance générale. La France doit être très méfiante, à Paris comme en Paca, car les clients vont là où on ne les embête pas. Tout le monde focalise sur la question de la fiscalité mais, d’après nos études, les clients qui ont des moyens et qui ne sont pas résidents français, ce qu’ils recherchen­t pour leurs lieux de résidence ou de villégiatu­re, ce ne sont pas les impôts les moins chers. Ils cherchent avant tout une stabilité politique, une sécurité pour leurs avoirs et leur famille. Et, après, vient le sujet de la fiscalité. Je pense aussi qu’entre le Brexit et Trump qui est un peu barjot, il y a une vraie fenêtre de tir. J’entends ce que disent les Américains, il y a un début de quelque chose en France. Ça frémit.

Les récents changement­s politiques en France peuvent-ils avoir un impact sur Artcurial ?

Oui ! Je rappelle que le prince Albert II a fait le choix d’Artcurial. Quand le Palais décide de vendre une partie de sa collection automobile ou la Société des Bains de Mer le mobilier de l’Hôtel de Paris, ils ne se posent pas la question, c’est Artcurial. Mais on doit faire plus, on collabore déjà avec la maire de Paris, les instances monégasque­s et, sur la région Paca, j’aimerais rencontrer assez rapidement le maire de Nice.

Qu’espérez-vous de ces collaborat­ions ?

Il faut que la France aille bien. Créer des connexions pour mettre du miel à Paris comme dans la Riviera. Que les gens s’y sentent bien, qu’ils aient envie de venir, comme dans un jardin. Et on attirera le monde.

On est un peu le Zébulon européen ” Il faut mettre du miel dans la Riviera ”

Vous grattez du terrain sur Christie’s et Sotheby’s. À quel statut prétendezv­ous sur l’échiquier mondial ?

On veut avant tout être un grand acteur européen. On est le mastodonte français des enchères mais on est plutôt artisan au niveau mondial. On a énormément de choses à faire, mais notre priorité, c’est de développer nos ventes sur le territoire français et monégasque, parce que je crois en la France ! Et rien ne nous empêche d’aller chasser partout en Europe (rires).

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