Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Madeleine Lemaire : l’arcoise admirée de Proust

- ANDRÉ PEYREGNE

Jadis, lorsqu’on parlait de « salon », c’était pour évoquer les réunions souvent artistique­s qu’organisaie­nt chez elles les femmes du monde : « Madame tenait salon». L’un des exemples les plus célèbres est le « salon de Madame Verdurin» à Paris, imaginé par Marcel Proust dans son roman en sept tomes la Recherche du temps perdu. Il fallait fréquenter le salon de Madame Verdurin. Là se faisaient et se défaisaien­t les opinions et les amours. Qui était en réalité Madame Verdurin ? Pour créer ce personnage, Marcel Proust s’est-il inspiré de modèles réels ? Les historiens ont avancé plusieurs noms : Madame de Saint-Marceaux, Madame Arman de Caillavet, la comtesse de Grefflulhe – toutes des Parisienne­s. Mais il y a aussi une femme de notre région, artiste peintre née aux Arcs-sur-Argens dans le Var, le 24 mai 1845, montée à Paris où elle tint l’un des salons les plus brillants de la capitale : Madeleine Lemaire.

Une enfance au château Sainte-Roseline

L’historien José Rubio, qui vit aux Arcs, a écrit sur elle, de même que l’écrivain contempora­in Yves Uro qui a publié sa biographie (Éditions Harmattan). Madeleine Lemaire a eu deux grands-pères exceptionn­els. Le premier, du côté paternel, nommé Jean Coll, fut maire de Fréjus. Il voulut lancer en Provence la culture du coton, a accueilli Napoléon à son retour de l’île d’Elbe, a été emprisonné à Draguignan à la chute de l’Empire pour raisons politiques mais a réussi à s’évader. Lors de la mise en vente des biens nationaux de l’Église, il a acheté l’abbaye de Sainte-Roseline aux Arcs, dans laquelle vécurent ses enfants et petits-enfants. Son fils – le père de Madeleine – fut percepteur à Draguignan. Le grand-père maternel de Madeleine fut, lui, le général Pierre Habert. Il a été gouverneur de Saragosse en Espagne, a fait les campagnes napoléonie­nnes jusqu’à Waterloo où il fut grièvement blessé. Son nom figure sur l’Arc de Triomphe à Paris. L’enfance de Madeleine se passa dans les murs de l’abbaye de Sainte-Roseline, à l’ombre du cloître et dans la chapelle où le corps momifié de la sainte repose dans un cercueil de verre. Madeleine Madeleine Lemaire. s’est nourrie des histoires de la sainte, dont le tablier était rempli de roses et qui donnait à manger aux pauvres. Lorsque Madeleine Lemaire est devenue peintre, elle dessina des roses par milliers. Car Madeleine Lemaire est devenue peintre. C’est sa tante, Mathilde, artiste elle-même, qui l’a entraînée à Paris dans cette carrière. Là, elle étudie avec un maître nommé Charles Chaplin (rien à voir, bien sûr, avec le cinéaste !) et commence à exposer. En 1865, elle épouse Casimir Lemaire, employé à la mairie de Paris. Elle peint tant de roses qu’Alexandre Dumas fils, qui deviendra son amant, a prétendu : « C’est elle qui a créé le plus de roses après Dieu ». Madeleine Lemaire illustre des livres. C’est ainsi qu’elle rencontre un jeune écrivain de 25 ans, Marcel Proust, désireux de la voir illustrer son ouvrage Les Plaisirs et les jours. Une amitié se noue entre eux. C’est elle qui lui fera connaître le compositeu­r Reynaldo Hahn qui deviendra son amant.

Le Toulonnais Félix Mayol, habitué du salon

Le Tout-Paris défile dans l’hôtel particulie­r de Madeleine Lemaire, au 31, rue Monceau : les La Rochefouca­uld, la comtesse de Pourtales, Boni de Castellane, les présidents Poincaré, Deschanel et Loubet, les écrivains Victorien Sardou, Maupassant, Paul Bourget, Anatole France, l’actrice Sarah Bernhardt, les compositeu­rs SaintSaëns ou Massenet, le chanteur toulonnais Félix Mayol – celui-là même qui a offert 60 000 francs-or à sa ville natale pour financer la constructi­on du stade de rugby. Son salon est une référence. L’ancienne enfant de l’abbaye SainteRose­line aux Arcs dans le Var est au centre de la vie mondaine de Paris. Marcel Proust lui a dit un jour : « Je ne suis pour vous que tendresse et admiration ». Est-il plus touchante déclaratio­n de la part de l’écrivain? C’était elle, la Madeleine de Proust !

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(Photos DR) (DR) Les roses furent la principale source d’inspiratio­n de Madeleine Lemaire
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