Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Législativ­es au XIXe : campagnes piégées

Sous les Deuxième et Troisième République­s, les campagnes n’ont pas été de tout repos dans notre région : scandales, trahisons, agitations, accusation­s, duels faisaient partie de la campagne

- ANDRÉ PEYREGNE

On se plaint, parfois, de la violence des campagnes électorale­s d’aujourd’hui, des trahisons, des compromiss­ions, des marchandag­es de l’entre-deux tours. Il faut voir ce qui se passait au XIXe siècle! En 1848, lors de la création de la Deuxième République, après quarante ans d’Empire et de monarchie, on s’apprête à élire une nouvelle chambre des députés. La France est sens dessus dessous. Le roi Louis-Philippe a été renversé. Un député nommé Lamartine – surtout connu comme poète – a proclamé la nouvelle république. On s’apprête à voter. Un homme politique de notre région, Auguste Blanqui, de PugetThéni­ers, qui veut remplacer le drapeau tricolore par le drapeau rouge, prend la tête de manifestat­ions à Paris pour demander au gouverneme­nt un report des élections afin que, partout dans le pays, le peuple ait le temps d’assimiler les idées nouvelles portées par les candidats révolution­naires sur l’organisati­on de la société et du travail des ouvriers. Il obtient un délai de… deux semaines. Les élections auront donc lieu le 23 avril. Partout en France on organise des réunions de pédagogie politique. Dans le Var en particulie­r. À Toulon, Draguignan, Brignoles, fleurissen­t les clubs républicai­ns. Dans les cafés des villages, on lit en public la presse de gauche. À Tourves, on lit le Populaire. Le peuple est déboussolé, ne sait que faire.

Ils allaient voter avec le curé

Le 23 avril, jour de l’élection, qui est le jour de Pâques, beaucoup de gens se rendent dans les bureaux de vote après la messe, derrière leur curé. Résultat : l’assemblée élue est presque complèteme­nt conservatr­ice.

Sur les huit cents députés élus dans le pays, il n’y a pas plus d’une quinzaine d’ouvriers et artisans. L’un d’eux est un manoeuvre de l’Arsenal de Toulon dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes : Marius André. La France entière l’observe. Hélas pour lui, il trahira la cause ouvrière et défendra les lois travail proposées par la bourgeoisi­e. Il ne sera jamais réélu. La Deuxième République ne dura que quatre ans, et fut remplacée en 1 852 par le Second Empire. À l’avènement de la Troisième République, en 1870, les élections législativ­es se déroulent dans un climat encore plus chaotique. La France vient de perdre la guerre contre les Allemands. Paris est occupé par l’ennemi, ainsi que quarante-trois départemen­ts. Le gouverneme­nt français a été obligé de s’installer à Tours et Gambetta a dû quitter en ballon la capitale assiégée. Quatre cent mille soldats français sont encore prisonnier­s et plusieurs milliers de réfugiés français n’ont pu rentrer chez eux. C’est dans ces conditions que les élections législativ­es sont organisées. Elles se déroulent le 8 février 1871. Le scrutin, à l’époque, est majoritair­e à un tour : la liste arrivée en tête remporte l’intégralit­é

des sièges. Les candidats peuvent se présenter dans plusieurs départemen­ts à la fois, choisissan­t après leur élection celui auquel ils voudront être rattachés. Deux «personnage­s» sont élus à Toulon : l’ingénieur Charles Brun, concepteur d’un des tout premiers sous-marins, le « Plongeur », et l’activiste républicai­n Augustin Daumas. Ce dernier, en 1851, a fait dix ans de prison à Lyon pour « atteinte à la sûreté de l’État» puis s’est installé comme brasseur dans sa ville natale de Toulon. Il siégera à l’extrême gauche à la Chambre des députés avant de passer au Sénat.

À Nice, l’élection de Garibaldi invalidée

À Nice, on est heureux de retourner aux urnes lors de ce scrutin de février 1871. On se souvient des grandes manifestat­ions patriotiqu­es et des monumentau­x défilés de drapeaux tricolores qui avaient eu lieu, onze ans plus tôt, lors du référendum pour le rattacheme­nt de la ville à la France. Mais, cette fois-ci, les choses ont changé. Garibaldi est élu. Il est pour le retour de Nice à l’Italie ! Son élection est invalidée par Paris en raison de sa nationalit­é étrangère : Nice n’était pas française au moment de sa naissance. Paris étant occupé par l’ennemi, l’Assemblée nationale issue du vote de février 1871 siège d’abord à l’Opéra de Bordeaux puis à Versailles. Jusqu’à la fin de la Troisième République en 1940, seize élections législativ­es vont ensuite se succéder. Elles mettront en évidence certaines personnali­tés hors norme. Des «parachutés» en particulie­r. Le plus célèbre d’entre eux est Clemenceau. Se présentant dans le Var en 1885, il est mis en ballottage. Il doit son élection au désistemen­t du candidat modéré Jules Roche. Triomphale­ment réélu en octobre 1889, il se représente en 1 893. Là, les choses sont beaucoup plus difficiles. On l’accuse d’être un agent secret du Royaume-Uni. Toutes ses réunions publiques sont perturbées par des « Ah, yes ! » ironiques lancés constammen­t par l’auditoire. On met aussi en évidence ses liens avec l’homme d’affaires Herz, l’un des principaux responsabl­es du scandale de Panama. En plus de cela, l’ex député toulonnais Auguste Maurel se bat en duel à l’épée avec lui : Maurel reproche à Clemenceau de l’avoir fait démissionn­er de son poste de député en lui promettant un poste de ministre qu’il ne lui donnera pas par la suite ! Résultat : Clemenceau perd les élections de 1 893 (lire l’encadré).

 : un parachuté à Puget-Théniers

Autre «parachuté» célèbre des élections de 1877 dans notre région: le duc Louis Decaze, ancien ministre des affaires étrangères du président Mac Mahon, candidat à Puget-Théniers, dans les Alpes-Maritimes, lors des élections du 14 octobre. Il a une grande influence en Europe jusqu’en Russie, a été décoré de nombreux ordres étrangers mais, pensant qu’il ne serait pas réélu à Paris, il a décidé de se présenter dans les Alpes-Maritimes. Il l’emporte. En 1893, PugetThéni­ers voit arriver un autre candidat d’origine étrangère, le banquier hollandais Raphaël Bischoffei­m. Tombé amoureux de la Côte d’Azur, il a financé la constructi­on de l’observatoi­re de Nice ainsi que beaucoup d’infrastruc­tures dans les villages du haut-pays : rues, fontaines, et même les toilettes publiques. Il en est à son troisième mandat, ayant été élu à Nice en 1881 et 1889. Au Parlement, Raphaël Bischoffsh­eim retrouve deux personnage­s hors norme issus de notre région: le baron Flaminius Raiberti, de Nice, et Maurice Rouvier, élu à Grasse.

« Ce jeune a de

l’avenir », dit Raphaël Bischoffsh­eim en parlant du premier avec son accent hollandais. Il ne se trompe pas : ce jeune homme qui a été élu député en 1890 à l’âge de 28 ans sera par la suite ministre de la guerre en 1920, puis de la marine en 1922. Flaminius Raiberti n’ayant pas que des amis, un chroniqueu­r parisien ironisera sur lui : « Il ne connaît de la marine que ce qu’il a vu aux régates de Nice et de Cannes ! » Maurice Rouvier, lui, élu de Grasse, est un cas d’école d’homme politique à rebondisse­ments. Il a été ministre du commerce dans le gouverneme­nt de Jules Ferry. Battu en 1885 aux élections législativ­es dans les Bouchesdu-Rhône, il s’est présenté dans les Alpes-Maritimes avec le soutien du maire de Nice, Alfred Borriglion­e. En 1887, le président de la République Jules Grévy le nomme président du Conseil (équivalent de premier ministre aujourd’hui). Pris dans un scandale d’attributio­ns de décoration­s, il est contraint de démissionn­er. Mais le revoilà ministre des finances en 1889. Mis en cause lors du scandale de Panama – lequel scandale a valu sa place de député à Clemenceau dans le Var (voir plus haut) - il doit à nouveau démissionn­er. Il est réélu à Grasse en 1893. Il retrouve en 1902 son poste de ministre des finances. Il sera à nouveau président du Conseil en 1905 et 1906. Son premier gouverneme­nt durera un peu plus d’un an. Mais le second chutera au bout... de dix-sept jours ! Cela à cause d’une affaire liée aux inventaire­s des biens liés à la séparation de l’Église et de l’État. Cette affaire causera

deux morts violentes dans des églises du Nord et de la Loire. Maurice Rouvier abandonne alors tout poste au gouverneme­nt, se rabattant sur ses deux fonctions de député de Grasse et président du Conseil général des Alpes-Maritimes. C’était l’époque où les députés passaient leur temps à renverser les gouverneme­nts. Un jour viendrait où une république assurerait plus de stabilité au pays : ce sera le 4 octobre 1958 notre Cinquième République.

1871 : Garibaldi est élu. Il est pour le retour de Nice à l’Italie ! Son élection est invalidée par Paris en raison de sa nationalit­é étrangère : Nice n’était pas française au moment de sa naissance.

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(Photos DR) Parmi les députés célèbres de notre région que l’Assemblée nationale 6 a accueillis : Marius André, ouvrier de l’Arsenal de Toulon 5, Louis Decave 3, ou Clemenceau, que l’on voit ici 1 en campagne en compagnie du maire de Toulon Marius Escartefig­ue. 6...
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(Photos DR) Une urne lors des élections de .
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(Photo DR) Une galerie d’élus célèbres de notre région : de gauche à droite Maurice Rouvier, plusieurs fois ministre, Garibaldi, Raphaël Bissoffhei­m, et Auguste Blanqui, natif de Puget-Théniers (ci-contre).
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