Législatives au XIXe : campagnes piégées
Sous les Deuxième et Troisième Républiques, les campagnes n’ont pas été de tout repos dans notre région : scandales, trahisons, agitations, accusations, duels faisaient partie de la campagne
On se plaint, parfois, de la violence des campagnes électorales d’aujourd’hui, des trahisons, des compromissions, des marchandages de l’entre-deux tours. Il faut voir ce qui se passait au XIXe siècle! En 1848, lors de la création de la Deuxième République, après quarante ans d’Empire et de monarchie, on s’apprête à élire une nouvelle chambre des députés. La France est sens dessus dessous. Le roi Louis-Philippe a été renversé. Un député nommé Lamartine – surtout connu comme poète – a proclamé la nouvelle république. On s’apprête à voter. Un homme politique de notre région, Auguste Blanqui, de PugetThéniers, qui veut remplacer le drapeau tricolore par le drapeau rouge, prend la tête de manifestations à Paris pour demander au gouvernement un report des élections afin que, partout dans le pays, le peuple ait le temps d’assimiler les idées nouvelles portées par les candidats révolutionnaires sur l’organisation de la société et du travail des ouvriers. Il obtient un délai de… deux semaines. Les élections auront donc lieu le 23 avril. Partout en France on organise des réunions de pédagogie politique. Dans le Var en particulier. À Toulon, Draguignan, Brignoles, fleurissent les clubs républicains. Dans les cafés des villages, on lit en public la presse de gauche. À Tourves, on lit le Populaire. Le peuple est déboussolé, ne sait que faire.
Ils allaient voter avec le curé
Le 23 avril, jour de l’élection, qui est le jour de Pâques, beaucoup de gens se rendent dans les bureaux de vote après la messe, derrière leur curé. Résultat : l’assemblée élue est presque complètement conservatrice.
Sur les huit cents députés élus dans le pays, il n’y a pas plus d’une quinzaine d’ouvriers et artisans. L’un d’eux est un manoeuvre de l’Arsenal de Toulon dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes : Marius André. La France entière l’observe. Hélas pour lui, il trahira la cause ouvrière et défendra les lois travail proposées par la bourgeoisie. Il ne sera jamais réélu. La Deuxième République ne dura que quatre ans, et fut remplacée en 1 852 par le Second Empire. À l’avènement de la Troisième République, en 1870, les élections législatives se déroulent dans un climat encore plus chaotique. La France vient de perdre la guerre contre les Allemands. Paris est occupé par l’ennemi, ainsi que quarante-trois départements. Le gouvernement français a été obligé de s’installer à Tours et Gambetta a dû quitter en ballon la capitale assiégée. Quatre cent mille soldats français sont encore prisonniers et plusieurs milliers de réfugiés français n’ont pu rentrer chez eux. C’est dans ces conditions que les élections législatives sont organisées. Elles se déroulent le 8 février 1871. Le scrutin, à l’époque, est majoritaire à un tour : la liste arrivée en tête remporte l’intégralité
des sièges. Les candidats peuvent se présenter dans plusieurs départements à la fois, choisissant après leur élection celui auquel ils voudront être rattachés. Deux «personnages» sont élus à Toulon : l’ingénieur Charles Brun, concepteur d’un des tout premiers sous-marins, le « Plongeur », et l’activiste républicain Augustin Daumas. Ce dernier, en 1851, a fait dix ans de prison à Lyon pour « atteinte à la sûreté de l’État» puis s’est installé comme brasseur dans sa ville natale de Toulon. Il siégera à l’extrême gauche à la Chambre des députés avant de passer au Sénat.
À Nice, l’élection de Garibaldi invalidée
À Nice, on est heureux de retourner aux urnes lors de ce scrutin de février 1871. On se souvient des grandes manifestations patriotiques et des monumentaux défilés de drapeaux tricolores qui avaient eu lieu, onze ans plus tôt, lors du référendum pour le rattachement de la ville à la France. Mais, cette fois-ci, les choses ont changé. Garibaldi est élu. Il est pour le retour de Nice à l’Italie ! Son élection est invalidée par Paris en raison de sa nationalité étrangère : Nice n’était pas française au moment de sa naissance. Paris étant occupé par l’ennemi, l’Assemblée nationale issue du vote de février 1871 siège d’abord à l’Opéra de Bordeaux puis à Versailles. Jusqu’à la fin de la Troisième République en 1940, seize élections législatives vont ensuite se succéder. Elles mettront en évidence certaines personnalités hors norme. Des «parachutés» en particulier. Le plus célèbre d’entre eux est Clemenceau. Se présentant dans le Var en 1885, il est mis en ballottage. Il doit son élection au désistement du candidat modéré Jules Roche. Triomphalement réélu en octobre 1889, il se représente en 1 893. Là, les choses sont beaucoup plus difficiles. On l’accuse d’être un agent secret du Royaume-Uni. Toutes ses réunions publiques sont perturbées par des « Ah, yes ! » ironiques lancés constamment par l’auditoire. On met aussi en évidence ses liens avec l’homme d’affaires Herz, l’un des principaux responsables du scandale de Panama. En plus de cela, l’ex député toulonnais Auguste Maurel se bat en duel à l’épée avec lui : Maurel reproche à Clemenceau de l’avoir fait démissionner de son poste de député en lui promettant un poste de ministre qu’il ne lui donnera pas par la suite ! Résultat : Clemenceau perd les élections de 1 893 (lire l’encadré).
: un parachuté à Puget-Théniers
Autre «parachuté» célèbre des élections de 1877 dans notre région: le duc Louis Decaze, ancien ministre des affaires étrangères du président Mac Mahon, candidat à Puget-Théniers, dans les Alpes-Maritimes, lors des élections du 14 octobre. Il a une grande influence en Europe jusqu’en Russie, a été décoré de nombreux ordres étrangers mais, pensant qu’il ne serait pas réélu à Paris, il a décidé de se présenter dans les Alpes-Maritimes. Il l’emporte. En 1893, PugetThéniers voit arriver un autre candidat d’origine étrangère, le banquier hollandais Raphaël Bischoffeim. Tombé amoureux de la Côte d’Azur, il a financé la construction de l’observatoire de Nice ainsi que beaucoup d’infrastructures dans les villages du haut-pays : rues, fontaines, et même les toilettes publiques. Il en est à son troisième mandat, ayant été élu à Nice en 1881 et 1889. Au Parlement, Raphaël Bischoffsheim retrouve deux personnages hors norme issus de notre région: le baron Flaminius Raiberti, de Nice, et Maurice Rouvier, élu à Grasse.
« Ce jeune a de
l’avenir », dit Raphaël Bischoffsheim en parlant du premier avec son accent hollandais. Il ne se trompe pas : ce jeune homme qui a été élu député en 1890 à l’âge de 28 ans sera par la suite ministre de la guerre en 1920, puis de la marine en 1922. Flaminius Raiberti n’ayant pas que des amis, un chroniqueur parisien ironisera sur lui : « Il ne connaît de la marine que ce qu’il a vu aux régates de Nice et de Cannes ! » Maurice Rouvier, lui, élu de Grasse, est un cas d’école d’homme politique à rebondissements. Il a été ministre du commerce dans le gouvernement de Jules Ferry. Battu en 1885 aux élections législatives dans les Bouchesdu-Rhône, il s’est présenté dans les Alpes-Maritimes avec le soutien du maire de Nice, Alfred Borriglione. En 1887, le président de la République Jules Grévy le nomme président du Conseil (équivalent de premier ministre aujourd’hui). Pris dans un scandale d’attributions de décorations, il est contraint de démissionner. Mais le revoilà ministre des finances en 1889. Mis en cause lors du scandale de Panama – lequel scandale a valu sa place de député à Clemenceau dans le Var (voir plus haut) - il doit à nouveau démissionner. Il est réélu à Grasse en 1893. Il retrouve en 1902 son poste de ministre des finances. Il sera à nouveau président du Conseil en 1905 et 1906. Son premier gouvernement durera un peu plus d’un an. Mais le second chutera au bout... de dix-sept jours ! Cela à cause d’une affaire liée aux inventaires des biens liés à la séparation de l’Église et de l’État. Cette affaire causera
deux morts violentes dans des églises du Nord et de la Loire. Maurice Rouvier abandonne alors tout poste au gouvernement, se rabattant sur ses deux fonctions de député de Grasse et président du Conseil général des Alpes-Maritimes. C’était l’époque où les députés passaient leur temps à renverser les gouvernements. Un jour viendrait où une république assurerait plus de stabilité au pays : ce sera le 4 octobre 1958 notre Cinquième République.
1871 : Garibaldi est élu. Il est pour le retour de Nice à l’Italie ! Son élection est invalidée par Paris en raison de sa nationalité étrangère : Nice n’était pas française au moment de sa naissance.