Le double défi
C’est un risque calculé, mais un risque tout de même. Le discours que prononcera, cet après-midi, Emmanuel Macron dans l’hémicycle de Versailles – boudé par une petite minorité de députés – est, en fait, un double défi : défi institutionnel et défi politique. Défi institutionnel : pour la première fois sous la Ve République, un président de la République s’exprimera la veille du discours de politique générale de son Premier ministre. Rien d’anticonstitutionnel dans cette concomitance, plaident les spécialistes de droit constitutionnel. Il ne faut pas y voir, ce que certains y voient tout de même, un affront fait à Edouard Philippe : les deux têtes de l’exécutif se sont évidemment accordées, sans qu’il y ait combat, sur ce calendrier. Emmanuel Macron reprochait à son prédécesseur, François Hollande, de ne pas avoir tout au long de son quinquennat, indiqué assez souvent, ni assez précisément, aux Français dans quel sens il les amenait, et quelle vision de l’avenir, même immédiat, était la sienne. Le nouveau Président veut au contraire, d’entrée de jeu, imposer aux Français sa propre conception de la présidence, qu’il veut inscrite dans le droit fil des institutions de la Ve République. Il a raréfié sa parole depuis son élection. Les députés ont été élus et, après quelques turbulences, opposition et majorité se sont installées sur leurs bancs et se sont réparti, avec quelques ratés, le travail dans les commissions parlementaires. L’équipe gouvernementale a tenu son premier séminaire ce dernier week-end. La machine est lancée, il est temps de dire où elle veut aller. Au Président, donc, de le faire. Et au Premier ministre de donner, le lendemain, leur feuille de route à ses ministres et à la majorité. C’est là qu’arrive le deuxième défi : le défi politique. Car on peut se demander, tout de même, si l’autorité d’Edouard Philippe, chef de la majorité, ne souffrira pas du discours présidentiel qui précédera le sien de tout juste vingt-quatre heures. L’opposition scrutera le moindre petit écart entre les deux discours, et en fera une divergence fondamentale. Si, au contraire, Edouard Philippe emploie les mêmes termes, au mot près, que le Président, elle en conclura que le Premier ministre n’existe pas. Et de dénoncer l’hyper présidentialisation, la monarchie républicaine, le « pharaonisme » même, dans lesquels Emmanuel Macron compte inscrire son action pendant le quinquennat. La majorité, elle, risque de ne voir, dans le discours de politique générale d’Edouard Philippe qu’une redite de l’allocution présidentielle. L’arme essentielle du Président, dans ce calendrier si tendu, tient à la faiblesse de son opposition. A gauche, tandis que Mélenchon, absent aujourd’hui à Versailles, menace déjà de faire de la rue l’arbitre des décisions présidentielles, Benoît Hamon atteint les sommets de l’inconséquence en démissionnant du PS qu’il avait mené, ou plutôt mal mené, à la présidentielle. A droite, la déchirure entre les Républicains « orthodoxes » et les « constructifs » se réglera sans doute au couteau lors du bureau politique prévu pour le juillet. Emmanuel Macron, hyper Président ou pas, en profite pour tailler sa route.
« L’opposition scrutera le moindre petit écart entre les discours de Macron et de Philippe. »