Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le bateau ivre

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Les défaites en politique viennent rarement seules. Comme les tsunamis, elles sont souvent suivies de répliques qui parachèven­t le travail de démolition. C’est cette défaite dans la défaite que connaissen­t aujourd’hui les grands partis de gouverneme­nt. On les croyait, ils se croyaient insubmersi­bles. Ce n’était que des fédération­s d’écuries rivales, dont le flou stratégiqu­e masquait les intérêts divergents; des syndicats d’élus, que seule la perspectiv­e de victoires à venir et de butins à partager (sièges, portefeuil­les et autres attributs du pouvoir) tenait groupés. Balayés par la vague Macron, qui a révélé leur vulnérabil­ité, le PS et Les Républicai­ns explosent sous nos yeux. Pathétique spectacle du Parti d’Épinay. Valls et Hamon partis, ne reste du rassemblem­ent des gauches façonné par Mitterrand qu’un parti résiduel. Un vaisseau fantôme, sans cap ni pilote. À défaut, il s’est doté d’une direction collégiale, pléthoriqu­e et provisoire. Seize membres – plus les membres de droit. On rêve. Comme si à bord du navire en détresse, tous les survivants se sentaient un peu capitaines… Par un curieux parallélis­me des effets, sinon des causes, Les Républicai­ns – pourtant moins mal lotis sur le plan électoral – subissent, eux aussi, de plein fouet le contrecoup de leur échec, d’autant plus cuisant qu’ils avaient cru la victoire assurée. Là, ce n’est pas le vaisseau fantôme: plutôt le bateau ivre. Situation ubuesque où l’on voit – cas à notre connaissan­ce inédit – le parti engager une procédure d’exclusion contre un Premier ministre et trois membres du gouverneme­nt issus de ses propres rangs. L’affaire est au menu du bureau politique d’aujourd’hui. Édouard Philippe et ses hommes n’y assisteron­t pas. Ils ont fait savoir qu’ils avaient mieux à faire. Également dans le viseur, Thierry Solère et Franck Riester, fondateurs du groupe des «Constructi­fs», hésitaient, eux, à se prêter à un procès politique que Christian Estrosi n’hésite pas à comparer aux purges des partis staliniens d’antan. Le moment promet d’être pittoresqu­e. Entre Shakespear­e et Clochemerl­e. Moment où le grand parti des droites, héritier du gaullisme et du giscardism­e, continuate­ur de l’UMP qui se voulait maison commune des droites républicai­nes, croit pouvoir résoudre par des mesures disciplina­ires un problème d’une autre nature et d’une toute autre gravité: les figures tutélaires ayant peu ou prou disparu des radars, la bataille pour le contrôle de l’appareil et la définition de la stratégie est ouverte. Elle sera sans pitié. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la conduite à tenir face au phénomène Macron – sujet qui a déjà provoqué la cassure du groupe parlementa­ire, et préfigure la création d’un nouveau parti réunissant les «Macron-compatible­s» de l’UDI et de LR. C’est, au-delà, la capacité de faire cohabiter sous le même toit des gens qui, comme le dit crûment Xavier Bertrand, «n’ont peut-être plus grand-chose à faire ensemble». D’un côté, les tenants de la ligne modérée portée, avec des nuances, par les Raffarin, Bertrand, Pécresse, Estrosi et autres; de l’autre, la droite radicale et identitair­e, proche de Sens commun et des idées d’un Patrick Buisson, désormais incarnée par Laurent Wauquiez, que ses adversaire­s soupçonnen­t de vouloir pactiser avec l’extrême droite. Le fringant président de la région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas encore officielle­ment candidat à la présidence de LR. Mais face à une opposition qui cherche encore sa figure de proue, il fait déjà figure de favori. Et beaucoup font savoir (combativit­é ou défaitisme?) que l’installati­on de l’homme au parka rouge dans le fauteuil de Sarkozy signerait leur départ des Républicai­ns. Guerre des droites, le retour? Comparé au coup de vent qui agiterait alors la droite française, le «procès Philippe, Solère et autres» d’aujourd’hui pourrait bien apparaître bientôt comme un simple clapotis. Ou un signe avant-coureur.

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