Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Après la guerre, la guérilla

Soixante heures après l’annonce de l’apparition des flammes dans la forêt d’Artigues, les soldats du feu, aussi bien à terre que dans les airs, sont toujours au combat. Fatigués, mais plus que jamais motivés à achever leur ennemi

- GUILLAUME JAMET gjamet@varmatin.com

Cela fait trois jours et trois nuits qu’ils bataillent. À courir après un front à l’est, un autre à l’ouest, survolés par les bombardier­s qui, après chaque passage, leur rendent l’espoir de finalement gagner la dizaine de mètres qu’ils pensaient perdue. À l’heure où ces lignes sont écrites, près de 1 700 hectares ont été parcourus par l’ennemi. Ces terres lui sont acquises, car, dans la guerre contre le feu, on ne gagne jamais vraiment. Toute conquête ennemie est définitive.

Rouges, orange, fatigués mais prêts

Quand on s’approche de Seillons, en arrivant de Saint-Maximin au sud, ou de Rians au nord, on croise les troupes, en rouge ou orange, positionné­es à l’entrée des massifs. Plus forcément fraîches, mais toujours prêtes à répondre aux appels des centres opérationn­els. Sur ce qui restera dans les annales comme « le feu d’Artigues » – qui a pourtant bien davantage menacé le village de Seillons-Source-d’Argens, dans la soirée de mardi, puis inquiété Saint-Martin et Brue-Auriac, hier –, ce sont près d’un demi-millier de sapeurs-pompiers, de sapeurs-sauveteurs de l’UIISC7 brignolais­e et de membres des comités communaux feux de forêt qui ont été engagés, en plus des moyens aériens, Dash, Canadair, hélicos. Certains soldats sont du cru, d’autres auraient sans aucun doute préféré découvrir les chemins de la Provence verte autrement qu’en rangers et dans un cuir ignifugé. De ceux-là, on en a croisés, ce jeudi matin, au nord de Seillons, sur la route de Brue-Auriac, à quelques mètres de là où l’Argens sort de terre.

Le Rhône, l’Ain et la Savoie

Soixante-huit sapeurs, dans une douzaine de véhicules (camions, 4x4), bien rangés, dans un champ, face aux vignes. Sur les flancs des camions, les logos des services incendie du Rhône (69), de l’Ain (01) ou de Savoie (73). C’est la colonne «SERA 1», partie de SaintPries­t, près de Lyon, dans la nuit de lundi à mardi. À sa tête, le commandant Patrick Roberjot, appuyé par les capitaines Amélie Génin et Loïc Pichard. « On est quoi là ? Jeudi ? Donc ça va faire deux jours qu’on est arrivés... Excusez-moi, je crois qu’on n’a dormi que 6 ou 7 heures depuis... Oh, mais, ça va, hein... On tient le coup», assure Loïc Pichard, accoudé à un 4x4 dans lequel le conducteur « médite » profondéme­nt.

La dernière bataille

–« Où allez-vous être engagés aujourd’hui ? »–« On ne sait pas. Le commandant est allé faire le point au PC... On va sûrement aller là-dedans... » Il désigne le chemin qui s’enfonce vers l’ouest, dans le massif, vers le vallon du Puits Dagnié. Derrière la petite colline, une bataille se termine, dans une série d’escarmouch­es entre les dernières troupes du feu, qui sortent dès que le vent les y motive, et les hommes, qui sont bien décidés à en finir là et jettent toutes leurs forces dans une ultime offensive, qui ressemble fort à des opérations de guérilla, dans un champ de bataille de dix kilomètres sur huit.

« C’est sans fin »

Âmes sensibles s’abstenir : le feu n’est pas bon joueur. À chaque fois qu’on le croit vaincu, une nouvelle colonne de fumée sombre vient affoler les hommes. Ne jamais crier victoire. Une première reprise, mercredi soir, puis une seconde, hier à 11 heures, une troisième, vers 17 heures, où deux Canadair sont venus rejoindre leurs deux semblables qui tournaient depuis le matin, au côté de deux Trackers, qui ont pris le relais d’un Dash et d’un hélicoptèr­e. « C’est sans fin, il faut que ce foutu vent s’arrête », implore un homme, croisé à Brue-Auriac.

« Le maire ? Il est là-dedans »

À chaque reprise, la crainte de voir l’ennemi s’échapper et reprendre des forces dans une zone boisée. « S’il passe le vallon de Piégros, c’est Brue-Auriac qui sera en première ligne », prévient un membre du CCFF Seillons. À 19 heures, la fumée prenait possession de la D560, qui relie Seillons à Brue. Les « orange » sont partout, eux aussi. La petite D70, qui relie Seillons à Esparron, a été fermée à la circulatio­n. Elle passe en plein milieu de la zone brûlée. Pourtant, il y a un paquet de monde là-haut, et pas seulement des pompiers. Les CCFF, ressource de connaissan­ce du terrain et d’approvisio­nnement logistique, sont postés tous les deux ou trois kilomètres. Le premier groupe arrête ma voiture. « Vous cherchez les pompiers ? Ils sont là-dedans. » L’homme montre une draille dans laquelle ma Polo ne se risquera pas. « Il doit y avoir le maire avec eux... »« Pas sûr», répond un autre. « Il est descendu du 4x4 et est parti dans le vallon des Abeilles... » Pas moyen de joindre Stéphane Arnaud au téléphone, qui, de toute façon, ne « passe » presque pas ici. On le retrouvera dans la soirée, au chevet d’une fumerolle tenace, dans le massif de la Verrerie, à quelques mètres des maisons évacuées mardi. La désolation qui accompagne les quelques kilomètres parcourus sur la D70 suffit à comprendre : ici, l’homme a perdu. Quelques soldats sont toujours là, « au cas où ». Ils contemplen­t, impuissant­s, une reprise qui les nargue, une colline plus loin. Les avions lui tournent autour, des collègues terrestres y sont dépêchés. Dans la guerre contre le feu, on ne gagne jamais vraiment. Pourtant, hier soir, les 500 sapeurs qui avaient combattu avaient le feu « sous contrôle ».

‘‘ Ça va faire deux jours qu’on est arrivés... On n’a dormi que  ou  heures depuis... On tient le coup.”

 ?? (Photos G. J.) ?? Le CCFF Seillons, dans la zone brûlée, regarde passer l’un des  camions engagés. Hier matin. Seillons, sur la D. Positionné­s dans le « brûlé », des sapeurs-pompiers attendent une reprise proche, et passent le temps en photograph­iant un avion Dash...
(Photos G. J.) Le CCFF Seillons, dans la zone brûlée, regarde passer l’un des  camions engagés. Hier matin. Seillons, sur la D. Positionné­s dans le « brûlé », des sapeurs-pompiers attendent une reprise proche, et passent le temps en photograph­iant un avion Dash...
 ??  ??
 ??  ?? Au loin, un hélicoptèr­e bombardier effectue un largage.
Au loin, un hélicoptèr­e bombardier effectue un largage.

Newspapers in French

Newspapers from France