Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le captagon, “drogue des djihadiste­s, est un mythe”

Rentré dans l’imaginaire commun, l’associatio­n captagon-terrorisme ne serait en fait fondée sur aucun fait avéré, révèle l’Observatoi­re des drogues et de la toxicomani­e

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Surnommé la « drogue des djihadiste­s », le captagon, une amphétamin­e tirée d’un ancien médicament psychotrop­e, n’a été consommé par « aucun des terroriste­s ayant commis des attentats revendiqué­s par Daesh en Europe depuis 2015 », selon un rapport diffusé, hier, par l’Observatoi­re français des drogues et des toxicomani­es (OFDT). « L’existence d’une “drogue des jihadistes” est un mythe », a déclaré l’auteur du rapport, Laurent Laniel, chercheur spécialist­e des marchés des drogues illicites à l’Observatoi­re européen des drogues et des toxicomani­es (OEDT). Selon lui, les attentats du 13 novembre 2015 ont créé une associatio­n entre djihadiste­s et captagon et, par extension, la Syrie. « Mais aucun de ces terroriste­s n’a consommé du captagon avant de passer à l’acte », a-t-il souligné. Après les attaques qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis fin 2015, l’hypothèse que les assaillant­s avaient agi sous l’effet de substances avait été rapidement émise. Mais les autopsies pratiquées avaient démontré qu’ils n’étaient ni sous l’emprise de la drogue ni de l’alcool. Certaines informatio­ns laissent penser que le captagon, une drogue censée procurer une sensation d’invulnérab­ilité, est consommé par des combattant­s en Syrie, précise Laurent Laniel, « mais rien ne prouve que cela concerne les combattant­s de Daesh qui, par ailleurs, condamne fermement l’usage de drogue ». Le captagon est à l’origine un médicament qui a été commercial­isé à partir du début des années 1960 et dont le principe actif est la fénétyllin­e, une drogue de synthèses de la famille des amphétamin­es. « Or, la fénétyllin­e n’est plus produite aujourd’hui, cette substance n’existe plus », explique M. Laniel. « Ce qu’on appelle le captagon aujourd’hui et qui est vendu sur le marché illicite, est constitué principale­ment d’amphétamin­e et s’apparente à du speed [stimulant, ndlr] ».

Difficulté­s occidental­es « à penser l’ennemi »

Ce captagon est fabriqué au Liban, et probableme­nt aussi en Syrie et en Irak, selon le rapport, essentiell­ement à destinatio­n de l’Arabie saoudite. Fin mai, la douane avait annoncé avoir réalisé la première saisie de captagon en France, avec 135 kg saisis en janvier et février à l’aéroport parisien de Roissy. Elle décrivait cette substance comme « la drogue du conflit syrien ». Selon Laurent Laniel, le mythe de la drogue du djihadiste exprime « la difficulté des sociétés occidental­es à penser l’ennemi ».

Déjà lors de la Seconde Guerre mondiale

« Dans le contexte post-13-Novembre, il était plus facile de penser que ces terroriste­s étaient drogués, que de voir qu’ils avaient commis des attentats de masse en tuant des gens avec des fusils d’assaut sans être défoncés ni même avoir pris une goutte d’alcool », a-t-il expliqué. « Cette croyance est aussi rendue plausible par le fait que l’usage de drogues stimulante­s, et notamment d’amphétamin­e, dans le cadre d’opérations militaires est de longue date connue », a-t-il ajouté. Durant la Seconde Guerre mondiale, côté alliés, les aviateurs de la Royal Air Force et de l’US Air Force disposaien­t de tablettes d’amphétamin­e, qui améliorent les fonctions cognitives et diminuent la sensation de faim et de fatigue, commercial­isées sous le nom de Benzedrine et l’armée allemande de méthédrine ou méthamphét­amine (Pervetin), relevaient en 2016 des spécialist­es dans un bulletin d’informatio­n de pharmacolo­gie.

 ?? (Photo AFP) ?? Vendu sous la forme d’un petit comprimé blanc estampé d’un logo caractéris­tique représenta­nt deux demi-lunes, le captagon ne serait pas utilisé par les combattant­s de Daesh qui réprouve l’usage de toute drogue.
(Photo AFP) Vendu sous la forme d’un petit comprimé blanc estampé d’un logo caractéris­tique représenta­nt deux demi-lunes, le captagon ne serait pas utilisé par les combattant­s de Daesh qui réprouve l’usage de toute drogue.

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