Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Calypso Rose: «J’ai survécu pour que ma voix soit entendue»

- FRANCK LECLERC

La reine du calypso est «une fille des îles», comme elle dit, qui a voyagé dans le monde entier pour chanter. En profitant de sa notoriété pour continuer, à 77 ans, de porter des messages. Son concert dans le jardin de l’olivaie de Beaulieu-sur-Mer a fait souffler les alizés sur les Nuits Guitares, samedi soir.

Vous n’êtes plus tout à fait une jeune fille. Mais quelle énergie!

Et pourtant je reviens de loin. Il y a quelques années, j’ai traversé deux cancers. L’un au sein, le second à l’estomac. La dernière fois, j’ai passé dix-neuf jours en soins intensifs. Un jour, ne pouvant plus respirer, j’ai appuyé sur l’alarme et je ne me souviens de rien d’autre. À mon réveil, j’avais perdu deux litres de sang et mes poumons ne fonctionna­ient plus. J’ai fait trois arrêts cardiaques. Dieu m’a remenée à la vie. Pour apporter de la joie aux gens, partout dans le monde. J’ai aussi survécu pour que ma voix soit entendue.

Parmi vos combats, les violences faites aux femmes…

Après avoir passé neuf mois dans le ventre d’une femme, je ne comprends pas comment un homme peut lever la main sur sa compagne. J’ai toujours trouvé terrible d’entendre qu’une femme avait été brutalisée ou violée. Partout où je chante, c’est un message que je veux porter.

Vous-même avez été abusée ?

J’avais dix-huit ans. Je rentrais d’un meeting politique et trois individus étaient assis au coin de la rue. Au moment où je les dépassais, j’ai entendu des pas derrière moi. J’ai couru, ils m’ont rattrapée en me menaçant d’un couteau. J’ai eu un poignet brisé, deux côtes cassées. Impossible d’oublier. Depuis, je n’ai jamais pu supporter l’idée d’une relation sexuelle avec qui que ce soit.

N’avez-vous pas été mariée ?

Ce n’était pas un mariage d’amour. C’était pour les papiers. J’ai épousé un citoyen américain originaire des Îles Vierges. Il était gay, nous avons vécu comme frère et soeur. Je l’accompagna­is dans les clubs de Porto Rico où il jouait car c’était un musicien. Quand il était mourant, j’ai pris soin de lui.

Pourquoi vivre à New York ?

Je vis aux États-Unis depuis . Chez moi, à Trinidad-et-Tobago, quand un homme épouse une étrangère, celle-ci acquiert automatiqu­ement la nationalit­é trinidadie­nne. Mais quand une femme épouse un étranger, elle est obligée de le suivre dans son pays. J’ai profité de tous les micros que l’on me tendait dans les Caraïbes, de la Barbade au Guyana en passant par Sainte-Croix, pour attirer l’attention sur cette loi absurde et injuste. Il faut croire que cela ne choque personne car elle n’a jamais été abrogée.

Tobago ne vous manque pas ?

Bien sûr. Je pense souvent à mon île et à ces soirées où, enfant, je préparais la limonade pour mon père qui rentrait de la pêche – il avait deux bateaux. Mais je rends grâce aux États-Unis qui m’ont accueillie. Je dois au système de santé et aux hôpitaux américains d’être encore en vie aujourd’hui.

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(Photo F. L.) La reine du calypso en clôture des Nuits Guitares, à Beaulieu-sur-Mer.

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