Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La survie de la forêt varoise passe par sa valorisati­on Interview

Le chercheur Michel Vennetier analyse les effets du changement climatique sur la forêt méditerran­éenne et ouvre le débat sur le devenir de nos espaces naturels

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

Michel Vennetier est chercheur à l’Institut National de Recherche en Sciences et Technologi­es pour l’environnem­ent et l’agricultur­e, à Aix-en-Provence. Spécialist­e des questions de dépérissem­ent de la forêt et de changement climatique, il dresse un constat assez noir mais propose des solutions porteuses d’espoir.

Quel rôle le réchauffem­ent climatique joue-t-il dans les incendies ?

Il y a toujours eu des sécheresse­s et des incendies durant ces sécheresse­s, avant même l’apparition de l’Homme. Les feux sont nécessaire­s au maintien de certains écosystème­s car les espèces s’y sont habituées. Certaines se régénèrent après comme le pin d’Alep. Si le sol n’est pas nettoyé par le feu, il ne peut pas se régénérer. Un tas d’autres espèces communes des forêts méditerran­éennes dépendent du feu pour se développer, comme certains genêts, les cistes et de nombreuses plantes herbacées. Si le réchauffem­ent climatique contribue fortement aux incendies en France et dans le monde, il est surtout responsabl­e du risque croissant de grands feux lors des années de sécheresse, notamment dans l’arrière-pays méditerran­éen.

À quel rythme la forêt peut-elle survivre à ces feux ?

Nous avons fait une étude dans les Maures sur la répétition des feux. Tant qu’elle ne brûle pas plus que tous les  ans, la forêt se régénère à l’identique car le sol a retrouvé sa fertilité, le nombre d’espèces est le même. En l’absence de changement climatique, un feu tous les  ans n’a pas d’impact écologique à long terme. Mais si on dépasse un feu tous les  ans, il y a un effondreme­nt du fonctionne­ment de l’écosystème. De plus, l’essentiel du CO fixé par la forêt est stocké sous forme d’humus dans le sol. Or les feux détruisent chaque fois une partie de ce stock, qui repart sous forme de CO dans l’atmosphère. Il y a un seuil critique à ne pas dépasser.

Quelles sont les conséquenc­es si on le dépasse ?

La forêt va produire moins de biomasse, fixer moins de CO et donc moins contribuer à la lutte contre l’effet de serre. C’est un cercle vicieux.

Quel rôle joue le sol ?

La faune du sol représente plus de  % de la biodiversi­té animale. Les vers de terre, essentiels à l’aération du sol et à sa résistance à l’érosion, sont la première biomasse animale terrestre. Ils jouent un rôle clé dans le fonctionne­ment du sol des Maures et de l’Esterel. Sur un mètre carré d’humus forestier, il y a plus d’espèces de microfaune (cloportes, acariens, collembole­s, nématodes…) que d’animaux supérieurs sur toute l’Europe, et ils sont jusqu’à un million d’individus. Et même plusieurs centaines de millions pour les protozoair­es ! Dans un gramme d’humus forestier, il y a plus de bactéries et de champignon­s que d’espèces d’animaux et de végétaux sur la planète.  % de la biodiversi­té est cachée, on ne la voit pas. Or c’est elle qui permet à l’eau de s’infiltrer dans le sol, de ne pas ruisseler.

Indépendam­ment des incendies, le réchauffem­ent climatique joue-t-il sur la régénérati­on postincend­ies ?

Là où la forêt a brûlé en , il a y a eu une très belle régénérati­on juste après, mais les sécheresse­s successive­s, dues au réchauffem­ent climatique, ont fini par tuer beaucoup des rejets nés après les incendies. Et là où on a eu un feu en , précédé par cinq années de sécheresse, la régénérati­on de la forêt est faible. Les chênes liège, surtout, sont morts en masse.

Quelle interpréta­tion en faites-vous ?

D’un côté la répétition de la sécheresse rend l’écosystème beaucoup plus vulnérable au feu. Et de l’autre, les dégâts de la sécheresse sur la végétation, qui a repoussé après des feux à répétition, ont été plus considérab­les. La répétition des feux rend le milieu plus vulnérable à la sécheresse. Avec le réchauffem­ent climatique, on aura des canicules plus fréquentes, le milieu sera plus sensible aux feux et il y aura plus d’incendies qui rendront la végétation plus sensible à la sécheresse. Cette interactio­n entre la répétition des feux et la répétition des sécheresse­s risque de détruire la forêt plus gravement et plus rapidement que les pires sécheresse­s ou incendies occasionne­ls.

Quels autres dégâts le réchauffem­ent climatique produit-il sur la végétation méditerran­éenne ?

Il fait dépérir la forêt, le chêne-liège dans les Maures, le chêne blanc et le pin sylvestre dans l’arrière-pays.

Dans quelles proportion­s ?

On termine une étude sur le pin sylvestre. La moitié des arbres sont dans un état de dépérissem­ent avancé.  % d’entre eux ont perdu la moitié de leurs aiguilles. Les autres ont des aiguilles plus petites. C’est signe de mauvaise santé.

Sont-ils plus vulnérable­s aux attaques des ravageurs ?

Oui, c’est la porte ouverte aux insectes. Les chenilles procession­naires, qui détestent le froid, prolifèren­t avec le réchauffem­ent climatique et affaibliss­ent encore plus ces arbres.

Une forêt en mauvaise santé favorise-t-elle la propagatio­n des incendies ?

Le risque vient de la forêt non entretenue, du repli des activités pastorales. L’enfricheme­nt généralisé des paysages, c’est du risque d’incendie. Les années sèches produisent de la biomasse morte qui augmente le risque d’incendie sur  à  ans. Si on ne gère pas la forêt, cela va conduire à une situation explosive.

Que peut-on faire ?

Il y a une polémique sur les centrales à biomasse. Mais il y a un intérêt majeur à utiliser le bois comme biomasse-énergie pour limiter le risque d’incendies. Il faut éclaircir les forêts, sélectionn­er les plus beaux arbres et les conserver, éliminer les autres. On a mesuré les taux de mortalité des pins sylvestres. Là où il y a eu beaucoup de mortalité à cause de la sécheresse, les arbres qui restent ont une croissance accélérée car ils ont moins de concurrent­s et plus de forces. Ceux qui sont morts étaient en souffrance depuis longtemps suite à des sécheresse­s plus anciennes. L’intérêt d’éclaircir est multiple : Les arbres restants résistent mieux à la sécheresse, les autres produisent du bois d’oeuvre (poutres), du papier ou du bois énergie ; on utiliserai­t moins de charbon et de pétrole ; on limiterait le risque d’incendies et leur violence avec une forêt moins dense ; enfin on va régénérer les forêts car même si l’espèce s’est adaptée au climat plus chaud cela ne veut pas dire que les arbres actuels vont résister longtemps à la sécheresse, il faut que de jeunes arbres prennent leur place car ils n’auront connu que le nouveau climat et y seront plus adaptés que les vieux.

Y a-t-il d’autres pistes ?

On peut favoriser l’essor naturel d’autres espèces, comme les chênes verts, l’érable de Montpellie­r, des arbustes comme les filaires, qui résisteron­t plus longtemps au changement climatique. Le pin sylvestre a peu d’avenir à long terme. Profitant de la gestion et des éclaircies, on pourrait introduire de façon ponctuelle et disséminée des espèces adaptées au climat futur dans les zones de dépérissem­ent, le cèdre par exemple. Et compter sur leur dynamique naturelle dans le futur.

La survie de la forêt passe donc par sa gestion, sa valorisati­on…

La moitié des pins sylvestres de nos forêts sont dans un état de dépérissem­ent avancé ”

On peut faire des choses positives, qui ont un intérêt écologique et économique. Il y a un bénéfice mutuel à éclaircir la forêt et à mieux la gérer, la valoriser économique­ment. Si on le propose aux propriétai­res, ils seront plus motivés. C’est le moment de pousser en ce sens. On ne peut pas mettre la nature sous cloche. Ce serait la condamner à terme.

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(Photo Catherine Tailleux) L’interactio­n entre la répétition des feux et la répétition des sécheresse­s risque de détruire la forêt plus gravement et plus rapidement que les pires sécheresse­s ou incendies occasionne­ls.

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