Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Agnès B.: «Vous voulez l’entendre? Je suis antiboise!»

La styliste de l’intemporel ouvre les portes de sa maison de famille de la cité des remparts pour évoquer ses souvenirs et plus. Rencontre avec le coeur niché au creux de la signature…

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr (AVEC SERGE JAUSAS)

D’abord, une aura de douceur. Puis, une bourrasque de liberté. Rencontrer Agnès B. c’est découvrir la chair, l’os et le coeur derrière une signature devenue mythique. Si quarante-deux années sont passées depuis l’ouverture de sa première boutique rue du Jour à Paris, la styliste semble faire partie de ces êtres sur qui le temps n’a pas d’emprise. Parce que son style traverse les génération­s sans se froisser, ses silhouette­s continuent d’arpenter le catwalk comme les petites rues pavées. Son credo ? L’élégance. Mais pas n’importe laquelle. Pas celle où l’on se retrouve engoncé dans une allure réalisée sur mesure pour quelqu’un d’autre. Non. À travers ses lignes, ses matières, elle offre le choix de vadrouille­r en combinaiso­n, de prendre la clé des champs en petite robe fluide, de voguer au large en marinière. Et si la créatrice n’a de cesse de se réinventer, c’est parce que c’est plus fort qu’elle. Il faut qu’ça fourmille, il faut qu’ça se questionne, il faut qu’ça vive ! Son regard azur rêveur sur l’horizon aux reflets céruléens, elle reçoit dans sa maison de famille à Antibes. Là où ses racines continuent de grimper jusqu’aux étoiles. Photos noir et blanc sur la table, elle revient sur ses attaches, tanquées au pied des remparts…

Quel est votre premier souvenir d’Antibes ?

Oh, je viens ici depuis que j’ai six mois, alors… La maison a été construite par mon arrièregra­nd-père en  . La famille passait l’été en Normandie et l’hiver ici. Nous avons failli la perdre il y a de cela vingt ans, mais grâce à mon métier, nous avons pu la garder dans la famille. À la place, il aurait dû y avoir une barre d’immeuble… Je l’aime encore plus grâce à cela.

Vous êtes toujours venue ici alors!

Tous les étés oui, en famille. Nous sommes tous attachés à cette ville. Et l’on continue d’ailleurs, c’est notre point d’attache pour les enfants, les petits-enfants et les arrièrepet­its-enfants! Nous allons aussi à Biot, à La Verrerie de Biot où l’on se fournit pour tout : les verres, les vases… Il y a aussi Les Arcades où ma grand-mère m’emmenait. Ce sont des gens merveilleu­x !

Qu’aimez-vous ici ?

Tout ! On se baigne au fort Carré, l’un d’entre nous file à scooter chercher les pans-bagnats chez Josy, on va aussi faire le marché sous la halle… Il y a beaucoup de souvenirs, aussi.

Ah oui ?

Ici[ elle montre un endroit dans son jardin], nous avons verni notre vaurien, une coque de noix, avec mon frère. On l’avait retournée et toutes les gouttes de vernis partaient dans le mauvais sens. Ça a séché comme cela et notre père a ri de nous ! Ensuite, on a appris à naviguer à La Salis avec la coque de noix. Nous avions  et  ans, et lorsque l’on n’était pas d’accord, on avait la rame pour nous départager [rires]. J’ai appris à nager dans la baie de la Garoupe. J’avais trois ans et demi, mon père m’avait embarquée sur un canoë, un peu au large, et m’a lâchée dans l’eau. Je suis revenue sur la plage en criant : « Je sais nager ! »

Vous êtes chez vous en fait !

Vous voulez l’entendre ? Oui, je suis antiboise ! [rires]

Vous avez même un pointu !

Oui, on l’a nommé du nom de son propriétai­re : Ange. En fait, on se promenait du côté du port de l’Olivette, et il portait un panneau «À vendre». Voilà.

Tout simplement !

Je ne pousse jamais les choses, j’aime le hasard. D’ailleurs, je ne suis jamais déçue par lui. [sourire]

Comme votre rencontre avec Picasso…

J’avais  ans, j’allais me marier. On s’est rencontrés entre la cathédrale et le château Grimaldi. Il m’a dit que j’étais belle, qu’il avait soixante-dix ans de plus et il m’a embrassée ! C’était ma première rencontre avec un artiste.

Et vous vous êtes mariée ici…

Deux fois, oui. Lorsque Pierre Merli – maire d’Antibes – m’a revue pour ma deuxième union, il m’a dit : « Vous n’avez pas changé ! »

À quoi ressemblai­t votre robe de mariage ?

[Elle sort une photo] Je l’ai créée. C’était du voile de coton brodé pour les rideaux. Ensuite cela a servi de voile pour les berceaux des jumeaux !

Antibes vous inspire ?

Je fais beaucoup de robes « photo numériques ». Je prends énormément de clichés que j’utilise comme imprimé. Des images du jardin, des lauriersro­ses par exemple. Dans les boutiques, on retrouve des vues prises d’ici. J’ai toujours aimé créer. Ce que je recherche, c’est l’harmonie. Aussi bien avec les gens que dans ce que je réalise.

Comment créez-vous ?

J’ai toujours des surprises. Cela peut partir d’un rien. Comme d’un abricot. On en a acheté et il y en a un que j’ai mis de côté, pour que personne ne le mange. Je l’ai posé ici, sur cette table blanche. J’en ai fait une robe où j’ai remplacé les pois par cet abricot.

Depuis vos débuts, vous êtes intemporel­le et avant-gardiste: comment le restez-vous ?

Je ne regarde jamais un cahier de tendances ! C’est au styliste de créer la tendance et non de la suivre. J’aime les choses intemporel­les. [Elle montre sa tenue] Là, c’est une jupe plissée blanche mi-longue, ce sera pour cet hiver. [Elle déplie le Journal de l’été Nice-Matin avec la chanteuse Jain en une] C’est une fille super, adorable. Je l’habille, c’est pour elle que j’ai sorti le petit col blanc. Et depuis, c’est la déferlante : on en voit partout !

Vous êtes rebelle, aussi…

Quand j’étais petite, ma mère disait que j’étais gentille, sage, mais pourtant elle sentait déjà une sorte de résistance poindre… En fait, je n’aime pas les compromis, j’ai vu des grandes personnes qui en ont fait et… Ça ne me plaît pas. Mon slogan, c’est « Be yourself et n’emmerde pas les autres ».

Vous dîtes que vous appréciez les artistes en doute, vous doutez aussi ?

J’aime le doute. Je déteste les certitudes, je préfère les conviction­s.

Comme celle de garder  % de votre production en France ?

C’est tellement important. C’est impossible de fabriquer à  % la collection ici, parce que certaines choses n’existent plus ! Mais quand je vois qu’un tee-shirt coûte , euros, c’est certes abordable, oui, mais à quel prix ? Sur ces , euros, combien reviennent aux travailleu­rs ? C’est ma manière de lutter.

 ?? (Photo Sébastien Botella) ?? Tee-shirt à slogan, gilet en lin, jupe mi-longue plissée et mules compensées: Agnès B. reçoit comme elle est, avec son rock’n’roll naturel.
(Photo Sébastien Botella) Tee-shirt à slogan, gilet en lin, jupe mi-longue plissée et mules compensées: Agnès B. reçoit comme elle est, avec son rock’n’roll naturel.

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