Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Robin Campillo: passage à l’Act Up

- PHILIPPE DUPUY pdupuy@nicematin.fr

 BATTEMENTS PAR MINUTE

ODe Robin Campillo (France). Avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel. Durée :  h . Genre : drame. Notre avis :

n a rarement entendu autant de reniflemen­ts en séance officielle à Cannes que pour la projection de 120 battements par minute. Ni autant d’applaudiss­ements après. Couronné d’un Grand Prix, le nouveau film de Robin Campillo, scénariste d’Entre les murs et réalisateu­r de l’excellent Eastern Boys, a pris les festivalie­rs à la gorge et est passé très près de la Palme d’or. En conférence de presse, Pedro Almodovar a avoué à demi-mot que si ça n’avait tenu qu’à lui il la lui aurait donnée. Situé dans les années quatre-vingt-dix, au plus fort des ravages du Sida, le film fait revivre le combat des militants d’Act Up pour donner de la visibilité aux malades, que la société préférait cacher dans les hôpitaux. Quand elle ne les désignait pas comme responsabl­es de l’épidémie… On suit un groupe d’une dizaine de jeunes militants d’Act Up Paris, depuis une de leurs premières actions de perturbati­on d’un congrès de l’Associatio­n française de lutte contre le Sida (jugée trop attentiste et proche du pouvoir) en 1989, jusqu’au décès de l’un d’eux. En passant par les premières Gay Pride et les manifestat­ions contre le sang contaminé.

Tourné à trois caméras

La reconstitu­tion des actions et des réunions hebdomadai­res de l’associatio­n est tellement réaliste qu’on croirait assister à un documentai­re. « J’ai été moi-même militant à Act Up au début des années quatre-vingt-dix, raconte Robin Campillo. Il y a longtemps que je pense à faire un film sur ces années-là, mais je ne trouvais pas le bon angle. En réalité, j’avais surtout peur de me frotter à un sujet qui a été si important dans ma vie. Aujourd’hui, ce n’était plus une question d’actualité. Je me suis tout simplement dit qu’il était temps de me jeter à l’eau. » Pour arriver au niveau de réalisme du film, le réalisateu­r explique avoir tourné à trois caméras, en s’inspirant du dispositif éprouvé avec Laurent Cantet sur Entre les murs. «Pour que les comédiens trouvent le ton juste, nous avons fait trois jours de répétition dans un amphi, poursuit le réalisateu­r. J’ai pas mal réécrit les dialogues après pour faire évoluer les scènes qui ont été tournées très vite et d’un seul tenant. » Sur la langue particuliè­re du film, que Robin Campillo qualifie de «parlé pédé », le réalisateu­r explique avoir cherché à retrouver «la musicalité des assemblées d’Act Up », avec, notamment, ces fameux claquement­s de doigts qui remplacent les applaudiss­ements pour que les débats restent fluides : « Il fallait que les comédiens aient un langage militant, mais je ne voulais pas que cela ressemble aux débats de l’Assemblée Nationale, indique Campillo. À cette époque, la parole s’est enfin libérée après avoir été occultée pendant les dix premières années de l’épidémie. C’était un moment à la fois joyeux et tragique. Le flot de paroles du film illustre ce moment libérateur. D’un seul coup, il y avait la volonté de briser un silence qui n’avait que trop duré. »

De jeunes acteurs épatants

Mais le réalisateu­r s’intéresse finalement moins aux actions historique­s d’Act Up (qu’il se garde bien d’héroïser ou de glorifier), qu’à ses personnage­s, inspirés de militants de l’associatio­n. C’est sans doute pour cela que 120 battements par minute est aussi bouleversa­nt. Ces jeunes gens, qui savent qu’ils vont mourir, sont terribleme­nt attachants. Et les comédiens qui les incarnent sont tous excellents. A commencer par Nahuel Perez Biscayart qui joue Sean, héros sacrificie­l du film. « J’ai passé beaucoup de temps au casting pour vérifier l’alchimie entre les comédiens, les contrastes de jeu, confie Robin Campillo. On a mis beaucoup de temps pour trouver le bon équilibre. Sur le tournage d’Eastern Boys, l’histoire d’un homme qui se faisait envahir chez lui, je me suis dit que ce pourrait être comme un horizon éthique pour mon prochain film. Au lieu d’essayer de tout contrôler sur le plateau, j’avais envie de me laisser envahir par mes acteurs et de les regarder faire le film. »

Au rythme de la musique house

Le fait que le réalisateu­r ait partagé l’aventure d’Act Up donne évidemment au film une crédibilit­é et une véracité qu’il n’aurait probableme­nt pas eu autrement. Cela l’empêche aussi de sombrer dans le pathos dans les scènes finales, les plus sensibles. «J’ai vécu des choses qui sont dans le film, comme rhabiller un copain mort, se souvient Campillo. Dans la réalité, ça se fait très simplement, parce qu’on est totalement dans le moment. J’ai essayé de le filmer comme cela. En laissant l’émotion ressortir de ces gestes simples. Il fallait éviter d’en rajouter : les faits sont assez durs comme cela. » La musique a également une grande importance dans le film. Au point de lui inspirer son titre : « 120 battements par minute, c’est le rythme de la musique house qu’on écoutait ,explique le réalisateu­r. Bien sûr, tous les militants n’allaient pas en boîte faire la fête en écoutant de la techno, mais elle a quand même largement accompagné le mouvement. C’est une musique à la fois festive et inquiète, qui représente bien ce que traversait la communauté gaie à l’époque. Le titre fait aussi référence à l’adrénaline du combat, aux battements du coeur qui s’emballe pendant l’acte sexuel… Il me paraissait parfaiteme­nt approprié. »

En route pour les César

L’expérience d’Act Up pourrait-elle s’appliquer à d’autres combats aujourd’hui ? Et en cela le film a-t-il une vocation militante? Robin Campillo reste très mesuré sur la question. « Je n’ai pas fait ce film pour donner des conseils de militance, mais pour rappeler ce qu’était Act Up. Le mouvement était très minoritair­e, y compris dans la communauté homosexuel­le. Mais en même temps, il y avait toujours 100 à 150 personnes aux réunions hebdomadai­res. C’était le seul groupe politique où la participat­ion était aussi importante. Tant mieux si ce film peut réveiller les conscience­s. Mais un mouvement comme celui-là ne se crée que sur un besoin incandesce­nt. Ces gens-là n’avaient pas le choix, c’était le combat de leur vie. » On sait gré au réalisateu­r d’avoir su trouver le ton juste pour leur rendre hommage. 120 battements par minute est probableme­nt le meilleur film français qu’on verra cette année. Logiquemen­t, il devrait tout rafler aux César.

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(Photo Patrice Lapoirie)
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