Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«T’es Français, tu me coûtes cher»

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« Mon grand-père italien venait tirer son plâtre, ici en France. Dans le bâtiment, il y a toujours eu un brassage de nationalit­és. C’est pas ça le problème. » La petite phrase d’un patron varois n’est pas anodine. Pas question de se faire taxer de rejet de l’étranger quand on dénonce les abus du travail détaché. « L’immigré marocain, italien, qui travaille sous contrat français, cela ne pose aucun problème. Mais le détachemen­t monte en puissance.» Ce n’est pas une vue de l’esprit. Les statistiqu­es officielle­s indiquent non pas une progressio­n, mais « une explosion » des détachemen­ts effectués dans le BTP varois.

+  % dans l’intérim détaché

Le nombre de déclaratio­ns de « prestation de services internatio­nal » a bondi de + 200 % dans le BTP varois, de 2014 à 2015, après des années de hausse régulière. Quant au travail détaché via une agence d’intérim, il s’emballe : + 500 %, en un an. Au bas mot. Résultat ? Sur les chantiers varois, 2 323 salariés détachés ont travaillé en 2015. En proportion, ils représente­nt un salarié sur 10. Et ont travaillé plus de 161 922 jours sur une année.

(1) « J’ai des chantiers, très gros, où mon client travaille avec une entreprise de travail temporaire qui fait venir des ouvriers du Portugal… mais aux conditions du Portugal. C’est ça la réalité ». Témoignage d’un acteur de ce marché, devenu concurrent­iel à l’échelle de L’Europe entière. Entre travail illégal et fraude au travail détaché, la limite est fine. Légalement, le travailleu­r détaché oeuvre via une entreprise non-française, domiciliée dans un pays de l’Union européenne. Ou bien via une agence d’intérim transnatio­nale. Le principe est un emploi, à salaire et à conditions de travail égal. Mais sur un chantier varois, des ouvriers ont des choses à raconter.

« Exploités douze heures par jour, c’est pas correct »

« Il m’est arrivé de voir des Portugais qu’on fait venir et qu’on exploite. Dix, douze, treize, quatorze heures par jour. Et en plus, on les fait revenir le samedi. C’est pas correct, c’est du n’importe quoi », enrage un salarié qualifié, qui a des années de métier au compteur. « Et après, on en met d’autres de côté. Toi, t’es Français, t’es trop cher. » Un intérimair­e renchérit. « Moi, je me suis fait licencier comme ça », affirmet-il. « [Le travailleu­r détaché] coûte moins cher et ne rechigne pas à travailler plus ».« Ça me fait concurrenc­e. On ne travaille pas avec les mêmes règles ! », s’exclame un autre, qui n’a encore jamais réussi à signer de CDI.

Le brassage de nationalit­és n’a jamais posé problème dans le BTP ”

Embellie… oui mais

Dans une agence d’intérim justement, on observe avec acuité un nouveau phénomène. Sandrine Vaillant est responsabl­e d’agences BTP Manpower sur Hyères, Toulon et Brignoles. « Il y a une embellie dans le BTP depuis 2015 et qui se confirme chaque année, analyse-t-elle. Ce qui reste surprenant, c’est que malgré cette croissance, la part du BTP dans l’intérim ne croît pas.» Ses observatio­ns montrent en creux que l’intérim qui progresse n’est pas celui de travailleu­rs embauchés sous droit français, mais l’intérim de travailleu­rs détachés, via des agences transnatio­nales. Une opportunit­é dont, visiblemen­t, certaines entreprise­s sont friandes. Jusque sur les chantiers du Var.

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