Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Jean-Claude Autran la mémoire dans la peau

Demain, ce scientifiq­ue à la retraite va recevoir la médaille de la Ville de La Seyne pour son travail documentai­re colossal sur l’histoire locale. Son père Marius était une autre référence en la matière

- MA. D. mdalaine@nicematin.fr

Jean-Claude Autran était-il prédestiné à se passionner pour l’histoire locale ? Le jour de sa naissance déjà, le 24 mai 1944, il se lie malgré lui à un des faits les plus marquants de l’identité seynoise. « Ma mère a dû aller accoucher dans la chartreuse de Montrieux à Méounes, car la maison familiale venait d’être en partie détruite par les bombardeme­nts. »Au total, 242 personnes mourront sous les bombes américaine­s en 1944. Une tragédie qui meurtrira la population des décennies durant. Plus de 73 ans après, Jean-Claude Autran se prépare à un événement nettement plus heureux : samedi à 18h, au fort Balaguier, il recevra la médaille de la Ville. Et les rares que cela étonne, de ce côté-ci de la rade, sont ceux qui pensaient qu’il la possédait déjà. Ces dixsept dernières années, ce retraité au savoir encyclopéd­ique, écouté tant par les béotiens que les savants, consulté par les élus, véritable bible de l’histoire locale et guide-conférenci­er impliqué dans une poignée d’associatio­ns, a plus fait pour la préservati­on de la mémoire seynoise que nombre de supposés historiens avant lui. À l’exception, sans doute, de son propre père. Tout le monde n’a pas eu la «chance» d’avoir eu des parents communiste­s ; Jean-Claude Autran,

si. Enseignant, résistant, élu PCF pendant 27 ans, révolution­naire invétéré, Marius Autran était une figure incontourn­able de La Seyne. En plus d’être celle, tutélaire, de centaines de militants de gauche. « Même si nos opinions politiques ont beaucoup divergé par la suite, je l’ai toujours admiré, nous confie son fils unique. Jeune, j’étais fasciné par cet homme qui haranguait

les foules. » L’écrivain aux dix ouvrages sur La Seyne, aussi, l’émerveille. « Ce n’était pas un historien, précise Jean-Claude Autran. Il n’avait pas cette rigueur documentai­re. Mais il savait raconter, mettre le ton et la couleur pour coucher ses souvenirs sur le papier.» Pour l’ensemble de son oeuvre, Marius obtiendra la médaille de la Ville… deux fois. Et l’estime éternelle de son fils qui, l’action politique mise à part - « Je n’aime pas les conflits » - marchera dans ses pas. Devenu adulte, Jean-Claude Autran vole d’abord de ses propres ailes, loin de la rue Staline, berceau de sa jeunesse. Docteur ès sciences naturelles, il devient chercheur à l’INRA, directeur de laboratoir­e et s’intéresse aux protéines des céréales. À son actif : 298 publicatio­ns. De Paris, Montpellie­r ou des USA, La Seyne est un mirage qui reprend forme deux ou trois fois par an seulement. Mais une brillante carrière plus tard, la retraite va le rappeler à ses premières amours. « Revenir dans la propriété familiale sonnait comme une évidence… » Dans les faits pourtant, le retour ne coule pas de source. « Je ne connaissai­s plus personne. Il aura fallu un événement, en réalité, pour que je me réimprègne de La Seyne. » Pour les 90 ans de Marius Autran, en 2000, il décide de lui « offrir » un site web qui accueiller­a une version numérique de ses livres, épuisés. « J’ai commencé à l’enregistre­r aussi, à scanner ses documents. Je m’y suis mis à fond. » Mais, à la mort du père, en 2007, Jean-Claude doit aussi assumer la perte ressentie par une ville entière. « Je me suis retrouvé propulsé en première ligne alors que je n’étais rien. Quelques semaines plus tard, moi, le grand timide, je donnais des conférence­s. » Il décide également de poursuivre le travail initié sur internet avec son arme fatale: «Un scanner qui numérise une page en 3 secondes. » Tout y passe : les archives familiales, celles de l’historien Louis Baudouin, d’associatio­ns, d’anonymes qui le solliciten­t, le quotidien Var-matin …Lesitedevi­ent

celui de « Marius et JeanClaude Autran », et sa croissance n’a plus de limites. Les rubriques s’accumulent, les messages des habitants aussi (7000!), tout heureux d’avoir déniché une mine d’infos sur l’inépuisabl­e

«roman» seynois. «Pour moi qui n’étais pas aussi doué pour l’écriture, c’était une façon de poursuivre le travail de mon père. » Une question sur le pourquoi du nom de la place des Esplageoll­es ? Sur la significat­ion du terme provençal “babouatte” ? À la recherche de la revue municipale de décembre 1972 ? Des résultats des élections cantonales de 1949 ? Le site http ://jcautran.free.fr et ses neuf gigaoctets de données sont là pour vous répondre. «On me dit souvent que je suis la mémoire de la ville. Faux: en réalité, c’est ce contenu virtuel qui est la mémoire », sourit ce vrai modeste. Car le savoir et l’appétit intellectu­el féroce de l’homme semblent proportion­nels à sa force de travail. « Je ne dors pas beaucoup, sourit-il. Mais personne ne réalise le temps que ça me prend. C’est inimaginab­le… » Avec l’âge, notre scientifiq­ue a dû apprendre à faire un peu le tri. « Par exemple, je connais mal le sujet “chantiers navals”. En revanche, Janas et Sicié, c’est un secteur qui m’intéresse. » Pourquoi? « C’est sans doute le coin de mon enfance qui a le moins changé. » Car si JeanClaude Autran se passionne autant pour le passé, c’est, réfléchit-il, « un peu par nostalgie de La Seyne d’autrefois ». Dans son bureau, des rayonnages fascinants remplis de milliers de livres historique­s, presque tous catalogués. Mais pas que. JeanClaude Autran est membre de la Société des sciences naturelles de Toulon et du Var depuis ses 14 ans et possède «un herbier avec 1800 planches.» Des pierres brillantes aussi, témoins de son intérêt ancien pour la minéralogi­e : « Mon violon d’Ingres d’adolescent ». Le passé, encore et toujours. Et l’angoisse de l’avenir ? « Oui, quand je pense à ce qu’il me reste à numériser… Je me sens une vraie responsabi­lité car je suis le seul à posséder certains documents. Alors je continue à copier des articles dont on peut se demander s’ils seront lus un jour ». Si ce n’est pour la gloire, au moins pour la postérité. Et le fameux devoir de mémoire ? « Ce n’est que du plaisir de mémoire », corrige-til, malicieux. Tout le plaisir est pour nous. Et pour La Seyne, évidemment.

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(Photo Dominique leriche)

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