Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Derrière le cas Wauquiez

- Par CLAUDE WEILL

En politique, la foudre ne tombe jamais tout à fait par hasard. Et ce n’est sans doute pas fortuit si Laurent Wauquiez, grandissim­e favori à la présidence des Républicai­ns, se trouve aujourd’hui piégé par une embarrassa­nte polémique sur ses droits à la retraite. Rappelons l’affaire : promu maître des requêtes au Conseil d’Etat en avril , l’actuel président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est mis en détachemen­t en juillet de la même année, quand il a été élu député. Cette situation, qui perdure depuis  ans, lui permet de cumuler ses droits à la retraite pour un emploi qu’il a exercé moins de trois mois. Elle vient d’être prolongée jusqu’en . Que Wauqiez se soit fait une spécialité de dénoncer « l’assistanat » ,ce « cancer de la société » ; que son style et son ambition sans frein lui aient valu d’innombrabl­es inimitiés dans la classe politique : tout cela n’est pas étranger aux dimensions prises par cette « affaire », qui a aussitôt embrasé les réseaux sociaux et les couloirs de l’Assemblée. Il n’empêche… Qu’on aime ou pas Laurent Wauquiez, sa pratique est tout à fait légale, et même banale. On ne dressera pas ici la liste des éminents dirigeants qui ont passé de longues années à empiler des points de retraite sans jamais mettre les pieds dans leur administra­tion. Si quelques-uns, comme Bruno Le Maire dès , ont décidé de quitter la Fonction publique, renonçant d’euxmêmes à ce qu’ils considérai­ent comme un privilège de « caste » , ils n’ont guère été suivis. Comme disait le général de Gaulle, il y a des femmes à barbe, mais ce n’est pas la majorité du genre. Dès lors que Laurent Wauquiez s’acquitte dûment de ses cotisation­s, il est dans la même situation que tout fonctionna­ire détaché dans l’exercice d’un mandat électif. Etant précisé que les choses ont changé avec la loi dite « Cahuzac » : désormais, les députés n’ont plus droit au régime du détachemen­t ; ils doivent se mettre en disponibil­ité. La différence est de taille. Disons pour faire court qu’un fonctionna­ire détaché continue à bénéficier de ses droits à l’avancement et à la retraite ; en disponibil­ité, il les perd. Mais cette restrictio­n s’applique aux parlementa­ires, pas aux élus locaux Donc pas à Laurent Wauquiez, qui est président de région. Pas député. « Légal » veut-il dire « moral » ? Ou plutôt : ce qui est licite est-il légitime aux yeux de l’opinion ? C’est une autre question. C’est même la question. Et c’est bien le débat (cela ne vous rappelle rien ?) qui resurgit aujourd’hui, dans un pays où il reste tant à faire pour « restaurer la confiance dans la vie politique » (selon l’intitulé de la réforme qui vient tout juste d’être votée). Car enfin, s’il est normal que la loi prévoie des aménagemen­ts pour permettre aux fonctionna­ires de jouir pleinement de leurs droits de citoyens, sans contreveni­r à la neutralité du service public (la plupart des pays européens ont d’ailleurs des législatio­ns comparable­s), ce système doit être bordé. Il comporte un risque bien connu : c’est de créer de fait un « double standard » démocratiq­ue, une « distorsion de concurrenc­e » entre salariés du public et du privé, qui eux n’ont droit à rien, ni détachemen­t, ni disponibil­ité. Il conviendra­it d’y remédier : non en supprimant les garanties des premiers mais en renforçant celles des seconds. Il n’y a pas de raison que ceux qui se consacrent au service de leurs concitoyen­s soient pénalisés dans leur carrière. Mais surtout, les mêmes règles ne peuvent valoir pour tous : pour les élus de base aux mandats précaires, comme pour ceux, sortis des grands corps de l’Etat, bardés de diplômes et de statuts, qui cumulent déjà tant d’atouts. Un droit que rien ne justifie, ça s’appelle un privilège.

« Qu’on aime ou pas Laurent Wauquiez, sa pratique est tout à fait légale, et même banale. »

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