Attentats : l’indemnisation des victimes revue et critiquée
Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme a reconnu le « préjudice d’angoisse » et celui « d’attente », que réclamaient les avocats. Mais ces derniers s’offusquent des montants alloués
Avancée majeure » selon le gouvernement, « faute politique » pour les avocats de victimes du 14-Juillet. Les nouvelles mesures du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), dévoilées lundi soir, ont suscité hier des réactions diamétralement opposées. Décryptage en cinq actes.
Le Fonds de garantie, comment ça marche?
Créé en 1986 pour indemniser les victimes d’attentats, le Fonds a vu ses compétences élargies aux infractions de droit commun. Financé par une taxe sur les contrats d’assurance de biens, « il met en oeuvre la solidarité nationale pour les victimes d’infractions et d’attentats » ,explique à Nice-Matin son directeur général, Julien Rencki. Le budget n’est donc pas abondé par l’Etat. Reste que ses représentants sont majoritaires au sein du conseil d’administration. Or c’est celui-ci qui vient de rendre ses arbitrages, en accédant à deux demandes des avocats de victimes. Sur le principe, du moins...
Préjudice d’angoisse et d’attente : ce qui change
Le FGTI reconnaît désormais le « préjudice d’angoisse de mort imminente » pour les victimes directes d’un attentat. Pour les personnes décédées, entre 5 000 et 30 000 euros, selon les cas, seront versés à leur succession. Les victimes blessées percevront quant à elles 2000 à 5000 euros, en fonction de l’expertise médicale. Autre nouveauté : le « préjudice d’attente et d’inquiétude » pour les proches des victimes décédées. Ceux-ci percevront à ce titre entre 2000 et 5000 euros. Une manière de reconnaître la souffrance endurée par l’entourage. En revanche, le Fonds réduit le champ du « préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme », désormais limité aux seules personnes « directement visées par l’attentat ». Selon le FGTI, cette disposition ne s’appliquera que pour les attentats futurs.
Le gouvernement salue un pas important
Lundi soir, alors que la garde des Sceaux venait de boucler sa visite à Nice, son ministère a publié un communiqué saluant « une avancée majeure ». Pour ses services, la décision du Fonds « consacre la volonté de l’Etat de garantir une réparation effective et intégrale aux victimes d’attaques terroristes, en particulier pour celles qui sont le plus gravement atteintes. Cette décision (..) permettra au FGTI de remplir, dans la durée, sa mission d’indemnisation au nom de la solidarité nationale. » Autrement dit : le Fonds choisit de réduire le périmètre d’indemnisation pour mieux aider les plus durement touchés.
Pourquoi les avocats de victimes sont scandalisés
« Ce n’est pas une avancée du tout, mais une diminution de ce qui existait ! » Me Gérard Chemla, avocat d’une centaine de personnes dans le dossier de l’attentat de Nice, se dit outré par les arbitrages du FGTI. Joint par Nice-Matin, l’avocat parle « d’aumône » à propos des indemnités de 2000 à 5000 euros : «Au mieux, on va nous donner dix fois moins qu’aux victimes des accidents de Puysseguin ou d’Allinges ! » Quant aux 30 000 euros alloués au titre du préjudice d’angoisse « dans les cas extrêmes », Me Chemla juge ce montant « honteux ». Même indignation pour Me Eric Morain, également avocat de victimes du 14-Juillet. Il dénonce « des sommes incroyablement basses. Au regard de l’ampleur des attentats, de l’émoi national et international suscités, on aurait pu espérer des chiffres adaptés à la jurisprudence, voire au-delà. Mais non... On va filer un smic et demi à une victime et lui dire “Merci, circulez !” L’Etat est en train de faillir à sa mission. Il est en train de lâcher les victimes. » Les deux avocats annoncent que leurs clients pourraient saisir la justice civile, afin d’obtenir des indemnisations plus conséquentes. Me Morain rapporte ce mail reçu, ce matin, d’une cliente dépitée : « Nous ne valons donc rien ? » Face à cette fronde, le directeur du FGTI remet les choses dans leur contexte. « Ce qui a été décidé hier [lundi] s’ajoute à l’existant. L’indemnisation des victimes en France est l’une des plus complètes au monde. Et le droit français repose sur l’indemnisation intégrale des préjudices. » Outre les nouvelles mesures, les victimes physiques ou psychiques perçoivent déjà une indemnisation individualisée, ainsi qu’un forfait de 30 000 euros au titre du « préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme ». Pour Julien Rencki, « dire que les blessés n’auraient que 2000 à 5000 euros est donc inexact ». S’il exprime « infiniment de respect pour les victimes et leur souffrance » ,ilremarque que « les avocats connaissent très bien ces règles... » Pour le directeur du FGTI, « l’attentat de Nice marque un tournant » .Depuis, il a obtenu le relèvement de la taxe versée par les contribuables (5,90 euros au lieu de 4,30 euros) et recruté une dizaine de collaborateurs, qui se rendent chaque mois à Nice. Après l’atentat du 14-Juillet, le Fonds de garantie a reçu 3 100 demandes d’indemnisation – un niveau comparable au 13-Novembre. 1850 ont été prises en charge, 620 sont en attente de justificatifs et 650 ont essuyé un refus.
Enquête sur le crash RioParis : la colère de l’avocat d’une famille varoise
Huit ans après le drame, l’enquête reste suspendue à une nouvelle expertise qui se fait attendre. Un nouveau délai a été accordé « au détriment des familles de victimes », selon Me Guidicelli. A un moment donné, il faut siffler la fin de la partie. » Me Jean-Claude Guidicelli, avocat au barreau de Toulon, ne décolère pas de voir s’éterniser la procédure judiciaire ouverte après le crash du vol Rio-Paris en juin 2009. L’avocat de la famille de Clara Mar Amado, hôtesse de l’air varoise figurant parmi les 228 victimes, dénonce un délai accordé par les juges d’instruction à des experts qui étaient chargés de remettre un nouveau rapport avant le 3 septembre dernier. Selon France Bleu Orléans, si ces experts n’ont pas remis leurs conclusions à temps, c’est faute d’avoir obtenu des documents demandés auprès de Air France et de Airbus. Ces deux sociétés sont par ailleurs mises en examen dans cette dramatique affaire. « C’est une situation ubuesque, réagit Me Guidicelli, avec ces expertises et contre-expertises, on est dans l’ergotage alors qu’il y a des éléments de fond dans le dossier [justifiant la tenue d’un procès]. Pendant ce temps, les familles de victimes attendent indéfiniment de pouvoir entamer leur travail de deuil. C’est scandaleux. »