Var-Matin (La Seyne / Sanary)

À Riboux, quelques irréductib­les luttent pour la survie du village

-

Voilà le genre de situation à laquelle on n’est plus trop habitué depuis l’avènement de l’horlogerie et du téléphone portable. Mais lorsqu’on débarque dans un village aussi atypique que Riboux, mieux vaut s’attendre à tout. À commencer par devoir répondre à la question «Est-ce que vous avez l’heure ? » Il est donc 9 h 30, un jeudi de septembre ensoleillé, et Marielle semble un peu perdue en nous ouvrant les portes de la mairie. « C’est un peu un autre monde

ici », ajoute la jeune femme, pour justifier la légitimité de sa question. Difficile, en effet, de trouver une commune plus coupée du monde que Riboux. Tellement perdue même que, contrairem­ent à Rome, une seule et unique route mène au village dont le coeur bat à 518 m d’altitude, juste au pied de la majestueus­e Sainte-Baume. Il faut d’ailleurs faire un détour par le départemen­t voisin des Bouches-duRhône et godiller dans la garrigue sur l’asphalte flambant neuf pour accéder à ce petit coin de paradis rural. Aussi, Riboux dépend du service postal de Cuges-les-Pins et a donc hérité du code postal 13.

Demande de subvention­s et panne d’imprimante

Ce matin-là, dans le bureau étriqué du secrétaria­t de Madame la maire, c’est un peu l’effervesce­nce. « Vous pouvez faire la photo mais ce n’est pas tous les jours comme ça. On n’est jamais aussi nombreux», s’excuse presque Françoise, la secrétaire. À ses côtés, il y a Florence, « prêtée par la commune du Castellet », qui vient « une fois par semaine » pour assurer la comptabili­té de la mairie, et Marielle donc, la responsabl­e du Patrimoine. Sur les murs, la Déclaratio­n des Droits de l’Homme cohabite plus ou moins harmonieus­ement avec des photos illustrant la rénovation récente de la chapelle du Saint-Pilon, dont la commune est « très, très fière ». Dans la bonne humeur, les trois femmes sont occupées à gérer les affaires courantes de la ville. Il s’agit en l’occurrence de remplir des dossiers de demande de subvention­s, régler quelques exercices de comptabili­té, et réparer enfin cette satanée imprimante et son toner capricieux. En somme, le quotidien de toutes les mairies de France et de Navarre. Pourtant, il y a quelques années encore, peu de gens auraient parié sur la survie du village, que d’aucuns voyaient condamné à une lente agonie. Mais c’était sans compter sur la volonté d’une poignée de résistants, du maire de l’époque (Pierre Gaubert) et de celle qui lui succédera à la tête de « l’Hôtel de ville », en 1983 : Suzanne Arnaud. Cela fait précisémen­t depuis 1971 et son premier mandat d’adjointe que cette enfant du pays se bat pour « sauver [sa] commune ».

L’eau et le téléphone ne coulent pas de source

Au milieu des années 70, Riboux ne comptait plus que… deux habitants. « Il n’y avait plus que le berger… et sa femme », se remémore Suzanne Arnaud, qui est étiquetée Les Républicai­ns (LR). À l’époque, les conditions de vie sont pour le moins spartiates. « Il n’y avait pas d’eau, pas d’électricit­é, la route n’était pas goudronnée, alors Riboux a été abandonné, raconte-telle simplement. C’est devenu un endroit perdu où il n’y avait plus que des chasseurs qui venaient ». Un demi-siècle plus tard, le quatrième village le moins peuplé du Var – derrière Le Bourguet (28 habitants), Brenon (26) et Vérignon (11) – compte 45 âmes (dont 10 enfants). Ce n’est pas encore New York, non. Il règne toujours dans les ruelles du village une véritable ambiance de bout du monde. Mais Riboux a, semble-t-il, retrouvé assez de stabilité pour penser un peu plus sereinemen­t à l’avenir. Pour « repeupler » sa commune, la maire a donc invité les propriétai­res à restaurer la plupart des maisons qui étaient en ruines et à les habiter. Entre-temps, comme le rappelle Suzanne Arnaud, il a d’abord fallu « chercher de l’eau, creuser des forages et faire des travaux d’assainisse­ment ». Ironie de l’histoire, c’est sur ces mêmes terres ribousienn­es qu’ont été tournés Jean de Florette et Manon des Sources. «Claude Berri (le réalisateu­r du film) trouvait que cet endroit correspond­ait parfaiteme­nt à ce qu’il recherchai­t ». Désormais, il n’y a plus vraiment de logements libres. Le périmètre de zone constructi­ble est très limité et «de toute façon, pas question de construire davantage». Car aujourd’hui, le « problème crucial » de l’eau persiste. Les habitants sont en effet tributaire­s de la Société des Eaux de Marseille qui vient régulièrem­ent approvisio­nner les cuves qui alimentent la commune. À ces problèmes s’ajoute l’absence d’école, de médecin, de commodités en tout genre et de réseau téléphoniq­ue mobile. «Pour cela, on se bat en essayant d’avoir une vraie couverture, diagnostiq­ue Suzanne Arnaud, mais on n’intéresse pas grand monde ». Quant à la connexion Internet, elle est digne des performanc­es du siècle dernier. Quelques ménages y ont accès grâce à leur parabole satellite mais sans ADSL... Comme le résume bien Marc, le préposé au débroussai­llage du village, « ici, mieux vaut ne pas oublier le pain ». Tel est le prix à payer lorsqu’on décide, comme Faustine et Philippe, de s’installer au calme, loin

Il n’y avait plus que le berger... et sa femme ”

de la fureur qui anime les villes. Faustine travaille dans l’Éducation nationale et fait donc une heure de voiture pour se rendre à Aixen-Provence, quand elle ne s’occupe pas de son élevage de chats. Le jeune couple, qui a emménagé il y a une demi-douzaine d’années, apprécie « la tranquilli­té des lieux ». Ici, l’insécurité n’est qu’un concept véhiculé par les journaux télévisés, même si la mairie a déploré il y a quelques mois un vol de câbles téléphoniq­ues... Hormis la traditionn­elle Nuit de la chauve-souris, programmée le 6 octobre prochain, il ne se passe pas grand-chose au village…

Ici, mieux vaut ne pas oublier le pain ”

Calme et authentici­té

C’est aussi ce calme insolent qui a attiré Karim et Sylvia, un jeune couple parent de deux enfants âgés de

3 et 8 ans. Originaire­s du Nord, eux aussi rêvaient d’une vie éloignée du tumulte quotidien de la vie urbaine. Lorsqu’ils ont vu sur LeBoncoin l’annonce d’une maison à louer, ils ont aussitôt sauté dessus. Lui est garagiste, elle est assistante de vie scolaire. Tous deux travaillen­t à Cuges-les-Pins, 10 km plus bas, où sont aussi scolarisés les gamins. Le couple regrette « qu’on ne fasse pas plus pour les gens qui habitent ici, comme poser une balançoire pour les enfants». Mais il ne tient pas non plus à ce que ça devienne Disneyland. «On ne veut surtout pas qu’il y ait trop de gens. » « Au-delà de 50 habitants, ça ne serait pas possible », juge pour sa part Suzanne Arnaud. Ce n’est de toute façon pas l’ambition de la commune. Riboux cherche certes à entretenir un certain dynamisme

mais tout en « préservant le calme et l’authentici­té » qui font le charme des lieux. L’équation n’est pas évidente à résoudre. « On n’a pas envie de devenir grand, mais on a envie de continuer à exister avec

notre façon d’être », appuie Madame la maire, qui est aussi vice-présidente de la Communauté d’agglomérat­ion Sud Sainte-Baume, dont le village est (très) dépendant. Voilà qu’arrive une équipe de cyclistes du Vélo Club de La Pomme, venue tout droit de Marseille. Claudine, Richard et compagnie connaissen­t bien le coin. «Ilyadetrès beaux circuits à faire en VTT, ou en randonnée, détaille Claudine .Ce qui est bien quand on vient ici, c’est qu’il n’y a personne sur la route » .En revanche, pas l’ombre d’un troquet pour boire un coup, ou ne serait-ce que pour faire une simple pause. « Au moins, on n’est pas tentés », ironise « Richie Porte ».

Un bistrot de pays

Il n’y a pas si longtemps que ça, le village comptait encore trois restaurant­s. On y croisait aussi bien des randonneur­s de passage que des ufologues en quête de vie extraterre­stre égarés ou des hommes politiques avertis friands de gibier local… Pour redonner un peu de dynamisme à sa commune, Suzanne Arnaud en est persuadée : Riboux a besoin d’un vrai bistrot de pays. C’est « la survie du village » qui est en jeu. « Il nous faut un endroit où l’on puisse manger, boire un verre et pourquoi pas faire des petites courses en cas d’oubli» . Cet établissem­ent servirait aussi de « point d’info pour les touristes ». Cela fait plus de quatre ans que le dossier est lancé. L’idée est d’investir le site de l’ancien restaurant, situé à deux pas de la chapelle, qui avait périclité à la mort de sa propriétai­re. Depuis, la mairie a racheté les 2,5 hectares de terrain mais le premier projet, qui prévoyait aussi d’aménager des chambres d’hôtes et dont le coût était estimé à 2 millions d’euros, a finalement dû être « nettement revu à la baisse ». «C’est vrai que c’était un peu démesuré vu le site», reconnaît Alexandre Doriol, directeur de cabinet de la communauté de communes Sud Sainte-Baume. Aujourd’hui, le projet est à nouveau sur les rails. Et même bien lancé avec une nouvelle maîtrise d’oeuvre. « Là, ça sera plus minimalist­e, avec la possibilit­é de transforme­r ce restaurant en logement si ça ne marche pas, éclaire Alexandre Doriol. L’idée est de confier sous la forme d’une délégation de service public les rênes à des gens qui veulent se lancer. Les études économique­s ont montré que le projet pouvait être rentable, assure l’élu, qui précise au passage s’être marié ici, à Riboux. Si la table est bonne, poursuit-il, il y aura du monde et ce sera tout à fait viable. Quand je vois les restaurant­s étoilés au guide Michelin dans le Luberon, je me dis que tout suivra… » Ce «café commerce» qui devrait sortir de terre en début d’année prochaine est vivement attendu par les Ribousiens. « On espère que ça créera de l’emploi et du dynamisme», s’enthousias­ment Sylviane et Daniel, un couple de retraités qui passe la moitié de son temps au village. «Le problème ici, détaille Daniel, c’est que les touristes ne font que passer sans s’arrêter. S’il pouvait y avoir un guide, ça serait bien aussi. »

En attendant la création du Parc régional

Ce guide pourrait accueillir les milliers de visiteurs « fans » de MarieMadel­eine. Car Riboux, faut-il le rappeler, est un «haut-Lieu de la Chrétienté » avec sa chapelle du Saint-Pilon, située sur le chemin de pèlerinage menant de SaintMaxim­in-la-Sainte-Baume à la grotte de Sainte Marie-Madeleine. Suzanne Arnaud est convaincue que la rénovation de la chapelle, débutée au mois de mai dernier, portera ses fruits. L’inaugurati­on est prévue pour le 21 octobre. Dernière source d’espoir : la création prochaine du Parc naturel régional de la Sainte-Baume. Cela fait depuis 1975 que Suzanne Arnaud milite pour ce projet qui devrait être « concrétisé d’ici à la fin de l’année ». À condition de réussir « le grand oral auprès des instances environnem­entales à Paris », le mois prochain. «Au début, raconte la vice-présidente des maires ruraux du Var, les gens avaient du mal à comprendre l’idée et étaient très réticents. Certains propriétai­res pensaient qu’on allait prendre leurs terres… Sauf que ce n’est pas ça. Ce Parc est censé expliquer comment conserver la nature et en prendre en soin. » La maire de Riboux s’y voit déjà : «Notre bistrot de pays servira de vitrine et de porte d’entrée à ce Parc ». Pour elle, il n’y a pas de doute : « Ça sera un plus pour le développem­ent de la commune». Elle en a fait sa priorité. « Je ferai tout pour que ça se réalise avant ma mort ». Après près de quatre décennies vouées à la défense de sa commune, Suzanne Arnaud affirme avoir toujours « la flamme ». Repartira-t-elle pour un septième mandat? À 83 ans «en pleine adolescenc­e », elle hésite encore. « Nous ver rons », balaie-t-elle sèchement, comme si finalement, l’avenir n’avait que peu d’importance par rapport à l’urgence du présent et à la nécessité de «rattraper le retard ». Or, pour être à l’heure, mieux vaut savoir quelle heure il est…

Voir notre reportage vidéo sur varmatin.com

On veut exister avec notre façon d’être ” Si la table est bonne, il y aura du monde ”

 ??  ?? Suzanne Arnaud en est à son mandat de maire. Dans son dos, la photo de l’équipe du film Manon des Sources, tourné ici au village. Arrivée il y a six ans, Faustine a ouvert son élevage de chats. Au dernier recensemen­t, le village de Riboux comptait ...
Suzanne Arnaud en est à son mandat de maire. Dans son dos, la photo de l’équipe du film Manon des Sources, tourné ici au village. Arrivée il y a six ans, Faustine a ouvert son élevage de chats. Au dernier recensemen­t, le village de Riboux comptait ...
 ??  ?? Marc est préposé à l’entretien des espaces verts. Sylvia et Karim apprécient « la tranquilli­té des lieux ».
Marc est préposé à l’entretien des espaces verts. Sylvia et Karim apprécient « la tranquilli­té des lieux ».

Newspapers in French

Newspapers from France