Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«La présidente est la bonne ménagère de la République»

L’historienn­e Joëlle Chevé évoque dans L’Elysée au féminin le sort et le rôle des femmes de Président, de 1794 à nos jours. Un constat : leur influence n’a pas foncièreme­nt évolué…

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Voici un pavé de 528 pages qui se lit comme un roman à l’eau de rose, et c’est un compliment. Dans L’Elysée au féminin (1), l’historienn­e Joëlle Chevé, qui avait déjà publié Les grandes courtisane­s en 2012, raconte une trentaine de couples présidenti­els de 1794 à nos jours, de Theresa Tallien à Brigitte Macron. Une immersion alerte et documentée, jubilatoir­e et féroce, dans les alcôves présidenti­elles. Autant de femmes au service d’un rôle qui n’a guère évolué, au coeur d’un entrelacs de désirs qui ne font pas forcément bon ménage : nostalgie monarchiqu­e, égalitaris­me républicai­n et émancipati­on féminine, sur fond désormais de voyeurisme médiatique absolu. Le livre s’achève par une récente interview de Brigitte Macron, assurément pas la partie la plus captivante…

De  à nos jours, qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui reste immuable dans le rôle de femme du Président ?

En écrivant ce livre, j’ai suivi plusieurs pistes : celle des institutio­ns, celle de la condition des femmes, celle du statut juridique aussi, qui est au coeur de l’actualité. Ce qui est frappant, c’est que s’agissant de la première dame, les attentes des Français et les fonctions qu’elles exercent sont toujours les mêmes. Après la guerre de , Elise Thiers a institué le sou des chaumières, une collecte destinée à reconstrui­re l’habitat des provinces de l’Est bombardées par les Prussiens… Cela fait immédiatem­ent penser aux pièces jaunes de Bernadette (Chirac). A un siècle d’écart, la représenta­tion des Français condamne la femme du Président à un rôle de bonnes oeuvres et d’accompagne­ment, et encore pas au départ. La première qui va accompagne­r le chef de l’Etat en voyage sera Marguerite Lebrun. Et puis, évidemment, elle est censée représente­r et incarner ce luxe français que la République a hérité de la monarchie et qui fait maintenant partie de son ADN. La « présidente » est la bonne ménagère de la République.

Création médiatique ou pas, la femme du Président ?

Absolument pas ! J’ai entendu une juriste dire que c’était une invention des journalist­es, basée sur le modèle américain. Mais pas du tout. Le modèle à la française de la première dame s’inscrit directemen­t dans l’idée de la femme au XVIIIe siècle d’abord – le salon littéraire, la conversati­on –, à laquelle s’associe ensuite l’image républicai­ne de la femme gardienne des moeurs et éducatrice des enfants. Si elle n’est pas élégante et si elle n’a pas de conversati­on, d’emblée elle est taclée. La condition de la première dame n’a jamais évolué. Elle sait tenir son rôle, mais elle a des interdicti­ons que la simple citoyenne n’a pas. Elle est une sous-citoyenne disposant de privilèges liés à l’activité de son mari. Notre première dame n’est pas en mesure d’incarner collective­ment les femmes du pays.

Depuis l’après-guerre, laquelle aura finalement le mieux réussi à s’extraire de son corset ?

Je pense que Michelle Auriol, femme du premier Président (-) de la IVe République, est vraiment importante. Issue d’un milieu très modeste d’artisans verriers, elle n’a pas réellement fait d’études, mais elle a le sens des relations. C’est madame Dior, madame New Look. Elle va faire de l’Elysée une demeure qu’elle veut être la plus prestigieu­se en l’honneur de la République. Elle va incarner la représenta­tion nationale avec une très grande classe et ce sera la première, également, à avoir des oeuvres sociales, avec un budget alloué sur celui du Président, qu’elle va utiliser dans la lutte contre le cancer et la tuberculos­e. Mais en France à l’époque, en vertu de la loi phallique, les femmes ne touchent pas à ce qui est politique.

Il existe désormais une charte de transparen­ce du conjoint de Président. Faut-il à votre sens un véritable statut ?

Non, surtout pas. On élit un Président et non sa femme. Il n’y a aucune raison d’instaurer un statut. Cela étant, c’est un couple, en tout cas aujourd’hui, qui entre à l’Elysée. Madame Macron tient sa ligne de ne pas se mêler de politique. Je lui ai ainsi posé une question sur le voile et elle a botté en touche, ce qui est une façon de répondre en disant aux Français qu’avec elle ils auront une première dame qui tiendra les rôles traditionn­els mais ne se mêlera pas de politique. Elle aura des activités qui seront dans un autre temps que le temps politique. Il faut juste prendre en compte la notion de couple moderne qui négocie sa vie à deux, sans qu’il y ait besoin pour cela d’un statut.

Votre livre est aussi un catalogue édifiant de femmes trompées et de Présidents bien volages…

Il y a eu quelques couples très fusionnels et sans tromperies, mais ils sont rares, c’est vrai… Félix-Faure fut un président qui courait de tous les côtés, même s’il n’est pas tout à fait mort dans les bras de sa maîtresse comme on le raconte. Mais évidemment, la Ve République, avec tour à tour Giscard, Mitterrand et Chirac, a vu se succéder trois érotomanes d’un sacré acabit ! Quand on en parle, les gens vous disent « on le savait », alors qu’ils ne savaient rien sur le moment. On est en plein dans le sexe et le pouvoir, avec un sentiment d’impunité totale parce qu’à l’époque les journalist­es n’en parlaient pas. Et même lorsque les choses se savent, elles sont reçues avec une certaine indulgence par les Français, assez contents finalement des prouesses de leurs dirigeants. On reste dans l’esprit monarchiqu­e, où un roi fécond est un roi puissant.

1. Editions du Rocher, 528 pages, 24 euros.

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(Photo Olivier Dion) Joëlle Chevé, historienn­e.
 ?? (Ph. AFP) AFP) ?? Danielle Mitterrand (-) avait une forte indépendan­ce. Bernadette Chirac (-) était en lutte avec les conseiller­s de son mari.(Ph.
(Ph. AFP) AFP) Danielle Mitterrand (-) avait une forte indépendan­ce. Bernadette Chirac (-) était en lutte avec les conseiller­s de son mari.(Ph.
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(DR) Elise Thiers (-) « a institué le sou des chaumières »…
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(DR) Marguerite Lebrun (-) fut la première à voyager avec son mari.
 ?? (DR) ?? Anne-Aymone Giscard d’Estaing (-) est la première épouse à sortir de l’ombre.
(DR) Anne-Aymone Giscard d’Estaing (-) est la première épouse à sortir de l’ombre.
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(DR) Michelle Auriol (-) avait le sens des relations publiques.
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(DR) Claude Pompidou (-) introduisi­t un style plus moderne à l’Elysée.
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(DR) « Tante Yvonne » (-) fut le plus précieux soutien du Général.

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