Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Kathryn Bigelow: «Rien n’a changé»

- PROPOS RECUEILLIS PHILIPPE DUPUY pjdupuy@nicematin.fr

De Kathryn Bigelow (USA). Avec John Boyega, Will Poulter, Algee Smith. Durée :  h . Genre : drame. Notre avis :

ADETROIT

près la guerre en Irak (Démineurs )et la chasse à Ben Laden (Zero Dark Thirty), Kathryn Bigelow s’attaque aux violences policières et au racisme endémique de la société américaine, en faisant revivre un épisode particuliè­rement dramatique des émeutes raciales de 1967 à Détroit. Droite dans ses bottes malgré la polémique soulevée par le film dans son pays (une blanche était-elle légitime pour s’emparer d’un tel sujet ?), la réalisatri­ce la plus musclée d’Hollywood nous explique ses motivation­s…

Pourquoi ce film aujourd’hui ?

Après la mort de Michael Brown à Ferguson et l’acquitteme­nt du policier, je me suis dit : « On retourne  ans en arrière ». J’ai pris conscience que je devais saisir toutes les occasions de lutter contre les idées de suprématie de la race blanche et de racisme institutio­nnalisé. Il me fallait en parler, car pour moi ce sont des thèmes très importants.

La situation ne s’est-elle pas améliorée avec l’élection de Barack Obama ?

Rien n’a changé. Quand Obama a été élu, j’étais extrêmemen­t fière. Je pensais qu’on entrait dans une ère post-raciste, qu’on allait enfin s’occuper de lutter contre la pauvreté et la pollution… L’élection de Trump a tout arrêté. Nous repartons en arrière à toute vitesse.

Fallait-il faire durer aussi longtemps la scène du Motel ?

Ce que je montre à l’image est bien en dessous de ce que ces personnes ont vécu. Nous en avons longuement parlé avec trois des survivants. Ils nous ont raconté ce qu’ils avaient vécu minute par minute et je peux vous dire que les faits réels sont bien plus horribles que ce qu’on voit dans le film. Je voulais que le spectateur soit touché par l’horreur de cette brutalité. Il était très important qu’en voyant ce film on se dise : «Ça, ça ne peut pas être nous, ça ne sera jamais nous ».

Filmer la violence n’est-ce pas prendre le risque de la glorifier ?

Même si Detroit est un film difficile à regarder par moments, il ne simplifie pas, il ne glorifie pas, il ne dresse pas les blancs et les noirs les uns contre les autres. Ce qui est important, c’est de regarder ce qui s’est passé et d’en tirer des leçons. Bien sûr, je fais du spectacle, mais je raconte aussi une histoire qui a du sens. Je montre le contexte. Le film est fait pour expliquer ce qui s’est passé. C’est une réflexion sur ce que nous ne voulons plus. Detroit pose la question essentiell­e : « Et vous spectateur­s, maintenant, qu’est ce que vous allez faire ? »

Pourquoi ce titre ? Detroit n’est pas la seule ville des États-Unis à avoir connu ce genre de violences…

C’est une bonne question. Le titre peut effectivem­ent paraître stigmatisa­nt. Mais pour moi c’est une allégorie : Detroit symbolise toute la tension raciale aux États-Unis et dans le monde.

Avez-vous connu des difficulté­s pour faire le film ?

Honnêtemen­t, nous n’avons rencontré aucune résistance. Grace à la Loi sur l’accès aux sources, on a pu faire sortir toutes les archives, les photos de la police et les vidéos. Certaines étaient d’ailleurs tellement bonnes qu’elles sont dans le film. Même l’avocat qui défendait le policier nous a très largement ouvert ses dossiers. J’ai eu le sentiment qu’il y avait un véritable désir collectif de se soulager de ce poids terrible…

Diriez-vous que vous êtes une cinéaste engagée ?

Pour moi, le cinéma est une forme d’activisme. Je peux toucher un très large public avec des thèmes qui me sont chers. Démineurs a été très contesté à l’époque, car l’armée américaine était encore engagée en Irak. Même chose pour Zero Dark Thirty avec Guantanamo. Mais on ne peut pas rester sans rien faire, ni rien dire.

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