Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Àu Festival de Cannes, « Dirty Harvey » ne harcelait pas que les actrices

- PHILIPPE DUPUY phdupuy@nicematin.fr

Au silence gêné a succédé une déclaratio­n aux termes soigneusem­ent pesés. Sur le site du Festival de Cannes, un bandeau orange annonce «Communiqué Officiel». Sous la signature de Pierre Lescure, président du Festival et de Thierry Frémaux, délégué général, on lit: «C’est avec consternat­ion que nous avons découvert les accusation­s de harcèlemen­t et de violence sexuelle récemment portées contre Harvey Weinstein, profession­nel du cinéma dont l’activité et la réussite sont connues de tous, qui lui valent de séjourner à Cannes depuis de nombreuses années et d’avoir de nombreux films sélectionn­és au Festival internatio­nal du film dont il est une figure familière. Ces faits relèvent d’un comporteme­nt impardonna­ble qui ne peut susciter qu’une condamnati­on nette et sans appel. Notre pensée va aux victimes, à celles qui ont eu le courage de témoigner et à toutes les autres. Puisse cette affaire contribuer à dénoncer une nouvelle fois des pratiques graves et inacceptab­les.»

Le Festival pour cadre

Deux au moins des actrices qui accusent Harvey Weinstein de harcèlemen­t sexuel, Asia Argento et Judith Godrèche, ont précisé que les faits s’étaient produits au Festival. Un « profession­nel du cinéma » (sic) courageuse­ment anonyme, aurait même confié au Parisien qu’à Cannes, le producteur américain organisait « des fêtes avec partouzes et cocaïne » et qu’il y avait un surnom très parlant: The pig (le porc). Sous-entendu: tout le monde savait… « Faux », jure Thierry Frémaux. «En déplacemen­t à l’étranger», à quelques heures de l’ouverture du festival Lumière qu’il anime à Lyon, le délégué général de Cannes a répondu par SMS à nos sollicitat­ions. «Cannes avait et a avec Harvey Weinstein des rapports de festival à producteur, écrit-il. Rien dans ce qu’il était avec nous pour parler de ses films ne laissait imaginer une seconde ce que nous venons d’apprendre.» Un peu court, compte tenu de l’ampleur du scandale. Gilles Jacob, qui a eu de no mbreuses occasions de côtoyer «Dirty Harvey», alors qu’il présidait le Festival et que son interlocut­eur était au sommet de sa puissance (ses production­s ont décroché trois Palmes d’or à Cannes) est, heureuseme­nt, plus loquace. Précisant d’emblée qu’il ne fréquentai­t pas les fêtes que donnait le magnat («ni aucune autre d’ailleurs» ) et qu’il n’avait jamais eu vent de tels agissement­s pendant qu’il était aux commandes du Festival, l’ancien président se souvient tout de même des «manières brutales» du producteur, de sa «grossièret­é monumental­e» et de son insistance à obtenir à tout prix satisfacti­on, qu’il s’agisse de business ou d’autre chose. «Je l’avais d’ailleurs écrit dans mon livre de souvenirs, «La vie passera comme un rêve» [paru en 2009, ndlr], rappelle-t-il. Je parlais alors de“harcèlemen­t profession­nel”. Il me téléphonai­t quinze fois par jour pour appuyer la sélection de ses films. Il m’a même fait suivre une fois à Hollywood. Pendant que je visionnais un film, il a débarqué pour me persuader de prendre le sien. À la fin, j’ai été obligé de lui refuser un film qui méritait la sélection [My Left Foot de Jim Sheridan, ndlr] pour qu’il comprenne». Un harcèlemen­t certes sans commune mesure avec celui subi par les actrices sur lesquelles «Dirty Harvey» jetait son dévolu, mais qui donne une assez bonne idée du personnage. «Je l’ai même vu débarquer à des fêtes que j’organisais et auxquelles il n’était pas invité, pour chercher quelqu’un qu’il voulait voir et le persuader de repartir avec lui… Ce pouvait être une actrice, effectivem­ent» se souvient encore Gilles Jacob.

Sexe, mensonges et vidéo

Peut-être parce qu’il descendait généraleme­nt à l’Hôtel du Cap à Antibes, Weinstein n’était pas spécialeme­nt connu ni craint, pour ses frasques dans le petit monde des palaces cannois : « J’ai passé des coups de fils à mes confrères pour savoir s’ils avaient eu vent de quelque chose, mais tous étaient aussi surpris que moi», nous confiait, hier, un responsabl­e. Il suffisait pourtant d’avoir croisé quelque fois Harvey Weinstein, même dans un cadre strictemen­t profession­nel, pour se rendre compte qu’avec ses manières frustres et son gabarit de pilier de rugby, il en imposait à tout le monde et n’aimait pas beaucoup qu’on lui résiste. On s’étonne même de ne pas l’avoir vu faire de la figuration dans les films de mafia qu’il produisait. Il aurait été parfait en brute sanguinair­e dans Pulp Fiction. Moins, sans doute, dans Sexe, Mensonges et Vidéo, une autre de ses palmes d’or. C’est pourtant à une version hard de celle-ci qu’il se trouve associé désormais. Et cette fois «Harvey les bons ciseaux» aura du mal à couper les scènes gênantes pour forcer le happy end.

Notre pensée va aux victimes, à celles qui ont eu le courage de témoigner. Pierre Lescure et Thierry Frémeaux ” Il en imposait à tout le monde et n’aimait pas beaucoup qu’on lui résiste. ”

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(Photo Patrice Lapoirie) Harvey Weinstein avec sa femme Georgina Chapman au Festival de Cannes en .

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