Droit de cuissage
Il y a l’homme Harvey Weinstein. Carrure de grizzly et regard de prédateur. Arrogant, autoritaire, dominateur. Mais aussi talentueux, inventif, audacieux. Admiré, craint et détesté. Tout cela n’est pas incompatible. Et au total, un parfait exemple de pervers sexuel. Il y a les victimes. Belles, célèbres, adulées. Et non moins victimes pour autant. Et même doublement, lorsqu’à la souffrance d’avoir été harcelées, agressées, violées parfois, s’ajoute celle d’avoir gardé le silence, ou pire d’avoir cédé. Ecoutez l’actrice Asia Argento : « Si j’avais été une femme forte, je lui aurais shooté dans les couilles et je me serais enfuie. Mais je ne l’ai pas fait et je me sens responsable. » Elle avait ans à l’époque des faits. Quand on est une apprentie comédienne, on ne shoote pas dans les couilles d’un magnat de Hollywood. Et puis il y a le cadre, le décor où s’inscrit cette sordide histoire. Hollywood, donc. L’usine à rêve. Objet de tous les fantasmes, lieu de tous les excès, de toutes les folies. Hollywood où tout se sait mais où l’on préfère ne pas savoir. Cela s’appelle l’omerta. Car les frasques du satrape de Miramax étaient un secret de polichinelle. Tous ne connaissaient pas les détails ; mais tous avaient eu vent de ses méthodes. C’était matière à commérages et blagues égrillardes. Un sujet qu’on évoquait à mots couverts, dans l’entre-soi du milieu, avec des clins d’oeil et des sourires entendus. On se souvient de l’acteur Seth MacFarlane lançant aux nominées pour l’oscar du second rôle féminin : « Félicitations ! Vous n’avez plus besoin de faire semblant d’être attirées par Harvey Weinstein. » Rires dans la salle. Depuis que le grand déballage a commencé, la cité du cinéma bat sa coulpe et se livre à un examen de conscience d’autant plus douloureux que Hollywood, c’est aussi le sanctuaire du « libéralisme » à l’américaine, La Mecque de la bien-pensance et du politiquement correct. Weinstein en était un bon représentant, qui professait des idées progressistes et soutenait financièrement le Parti démocrate, contribuant comme il se doit aux campagnes d’Obama et de Hillary Clinton. La droite américaine n’a pas manqué l’occasion d’accabler le camp démocrate et de dénoncer le pharisaïsme de cette gauche « morale », toujours prête à donner des leçons qu’elle ne s’applique pas à elle-même. La contre-attaque n’ira sans doute pas très loin. Nul n’a oublié l’enregistrement où Trump se vantait d’user de son pouvoir pour « attraper les femmes par la chatte ». Il n’est pas moins vrai que le scandale Weinstein agit comme un révélateur : il montre ce qu’on ne voit jamais sur la photo. L’envers du décor. Les dessous sales du Hollywood glamour. Car il faudrait être naïf ou hypocrite pour soutenir que le cas Weinstein soit unique. Tous les connaisseurs de ce petit monde merveilleux savent ce que la légende cache de turpitudes et de secrets étouffés. Des Weinstein, l’Hollywood de l’âge d’or en a connu beaucoup : producteurs, metteurs en scène, comédiens, dont la gloire reste gravée dans le ciment du Walk of fame, et qui ne reculaient devant aucune bassesse pour mettre les femmes à leurs pieds (ou les hommes, c’est selon). Weinstein est leur héritier, qui peut se « vanter » d’avoir aligné autant de films majeurs que de victimes à son tableau de chasse. Et c’est pour cela que tout le monde s’est tu. Le pouvoir est un aphrodisiaque. La réussite, un gage d’immunité. Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour le cinéma. Le monde politique n’est pas moins riche en figures de grands prédateurs sexuels. Lorsque dans un milieu clos, secrétant ses propres codes et ses hiérarchies, le pouvoir arbitraire des uns croise la vulnérabilité de celles et ceux qui aspirent à être reconnus, le droit de cuissage n’est jamais très loin. Telle est la très immorale morale de l’affaire Weinstein.