Cirques, le sens du combat en «milieu hostile»
Étrange un cirque sans spectateurs… Sans applaudissements, fous rires et tintamarre. Voici pourtant la scène découverte en ce beau mois d’octobre sous les doux auspices du Mourillon, à Toulon. Site en bord de mer, propice à l’installation de la ménagerie du cirque de Saint-Pétersbourg, ce jour-là au repos. À l’accueil, Radu Nepotu. Âgé de 27 ans, cet ex-avocat moldave a tout largué pour devenir le directeur du renommé cirque russe désormais dans le giron du géant français Medrano. Discours aiguisé, sens du dialogue, il n’élude aucune question au moment d’aborder les difficultés de la profession tout en ouvrant volontiers enclos et loge à notre photographe. « Nous n’avons rien à ‘‘ cacher. Avec 250 villes par an et un chapiteau de 1 500 places qui remplit, notre cirque se porte bien », confesse-t-il. À Toulon (avant Nice en novembre), la location des lieux revient à 6 000 pour € les neuf jours de présence. « C’est un espace public que nous louons chaque année à la ville. Étant donné nos installations, il nous faut 3 500 m2 minimum », calcule-t-il. Serein et sûr de ses capacités à manager 75 personnes et tout une ménagerie, dont trois éléphants d’Asie, il ne craint pas vraiment le courroux des associations anti-cirques… « Ici ils ne sont pas venus manifester. On a avant tout affaire à des minorités qui sont en train de casser la culture française… Nous, nous voyons le visage des enfants. Leur sourire. Où vont-ils aller s’il n’y a plus d’animaux ? », interroge-t-il sans tomber dans le pathos.
Parkings glauques et déchetteries...
Mon père est né dans une caravane. Il mourra dans une caravane”
« Les associations nous mettent des coups de bâton sur la tête, mais je laisse faire, ça fait le buzz, sauf si on dit que je maltraite mes animaux !», se cabre pour sa part Franck Muller. De passage dans le golfe de SaintTropez avec son chapiteau de 400 places, il n’a toujours pas digéré la sortie d’AndréJoseph Bouglione en mai dernier arguant que « la plupart des cirques traitaient mal leurs animaux » « Ce n’est pas bien de balancer la profession. Tous les cirques ont déposé plainte contre lui et même la famille Bouglione se désolidarise. Il a été acheté par 30 millions d’amis et les associations ! », grimace Franck Muller dont le cirque a lui-même fait couler pas mal d’encre cet été (lire par ailleurs) En tournée onze mois sur douze, sa caravane peuplée de quarante bêtes continue pourtant à parcourir quelque 10 000 km et sa troupe à assurer deux cents spectacles par an. « Il y aura toujours des cirques avec animaux. Et tant qu’il y aura des enfants, je ne me fais pas de soucis pour la pérennité de notre profession », poursuit-il. Les parkings glauques des zones commerciales, le terrain à proximité de déchetterie « où ça pue », il a tout
connu. Résultat de la pression foncière et de terrains de plus en plus rares pour s’installer. « Comme dans chaque métier nous rencontrons des problèmes, mais chez nous le nombre de villes a tendance à augmenter chaque année. Et nous travaillons pas mal avec les comités d’entreprise », explique Radu Nepotu qui organise même des soirées gratuites au profit d’associations caritatives.
En « hivernage» vers Nîmes
Mais que deviennent les cirques lorsqu’ils ferment leurs guichets et remballent leur piste aux étoiles ? « La période la plus porteuse va de septembre à mai. De mai à début juillet nous stoppons donc les représentations. C’est davantage des vacances que du chômage technique. Les artistes rentrent au pays tandis qu’animaux et matériel demeurent dans la région de Nîmes », poursuit le Moldave qui, pour sa part, a trouvé son bonheur à Toulouse. Face aux détracteurs de tous poils, la posture est claire. Con-ti-nu-er ! « Mes enfants sont des saltimbanques. Ils se battront pour prendre la suite. Mon père est né dans une caravane. Il mourra dans une caravane ! », argue, bravache, le Muller en chef aux antipodes des cirques dits « contemporains ». « La pression, les crédits, les employés, la vie de famille... À force d’être provoqués, j’ai peur qu’un jour ça finisse mal... Qu’un directeur de cirque pète les plombs ou sorte une arme... En plus, ils savent qu’on a le sang chaud !», conclut-il en citant l’exemple d’un confrère qui a craqué lors d’une altercation en Corse. Le genre de spectacle dont chacun se passerait bien. La talentueuse spécialité qui consiste à faire passer du rire aux larmes doit demeurer celle du clown sous chapiteau. Non pas la triste réalité d’un drame humain lié à une « cocotteminute » prête à exploser.
Ils savent qu’on a le sang chaud. Un jour j’ai peur que ça finisse mal...”