Fille, garçon, qui suis-je? Laissezmoi grandir, je vous répondrai
Un congrès organisé à Nice a réuni chirurgiens pédiatres, historiens, philosophe, psychologue autour des désordres de la différenciation sexuelle. Des situations complexes et douloureuses
Un bébé qui « naît fille » et chez laquelle apparaissent progressivement des testicules… Une jeune fille qui, à la puberté, s’inquiétant de l’absence de règles, consulte et apprend qu’elle présente des organes internes masculins… Un nouveau-né génétiquement garçon mais dont le pénis ne s’est pas développé du fait d’un trouble endocrinien… Si ces situations d’enfants venus au monde avec une ambiguïté sexuelle visible, ne sont heureusement pas fréquentes, elles placent aujourd’hui la médecine, et plus largement la société, face à un dilemme: faut-il rapidement «attribuer» un sexe à ces enfants, sur la base de critères génétiques et physiologiques? Ou attendre, et leur offrir ainsi la possibilité de se déterminer eux-mêmes ? En sachant qu’il faudra alors revisiter la loi, puisqu’elle n’autorise pas aujourd’hui la déclaration «sexe neutre » à l’état civil et que cela obligera ces enfants à grandir avec leur différence, dans une société où ils ne seront pas bien acceptés. Ces questions faisaient l’objet de débats lors du congrès de la SFCP et SFUPA
(1) entre historien, juriste, professionnels de santé, psychologue et représentant de patients. L’heure est au doute. Chez ceux qui réalisent la prise en charge chirurgicale en particulier.
Décision collégiale mais rapide
« Toute la profession se questionne aujourd’hui sur le caractère systématique et précoce des interventions réalisées pour donner un sexe à ces enfants. Est-ce bien pertinent ? », témoigne le Dr Florence Bastiani, organisatrice du congrès et chef du service de chirurgie des hôpitaux pédiatriques CHU-Lenval de Nice. « Jusqu’à récemment, confrontés à ce type de situation, endocrinologues, chirurgiens, généticiens, pédiatres se réunissaient et prenaient, de façon collégiale, le plus rapidement possible, une décision : en fonction du caryotype (XX ou XY), de l’aspect extérieur et des possibilités chirurgicales, on orientait le nouveau-né vers un sexe de garçon ou de fille. Il fallait qu’ils puissent très vite correspondre à l’un ou l’autre des genres. Mais on a vu des adultes tellement mal dans leur peau que nous nous sommes interrogés…» Ces situations revêtent, en effet, des réalités très différentes, infiniment complexes, autant d’un point de vue physiologique que psychologique [lire encadré]. « Aujourd’hui, tout cela est extrêmement discuté; on se demande s’il ne faut pas reporter cette prise en charge ; des mouvements se sont levés contre cette orientation précoce, qui ne tient au fond pas compte du désir profond de chaque individu concerné par ces anomalies du développement, mais aussi de ce qui se passe in utero.» Le Dr Bastiani cite le cas d’un enfant génétiquement garçon (caryotype XY), mais qui présente au cours de son développement embryonnaire une insensibilité aux androgènes (hormones mâles). « Il vient ainsi au monde avec l’apparence extérieure d’une fille. Dans ce cas-là, classiquement, on prend la décision de ne pas intervenir. D’autant qu’il est, d’un point de vue chirurgical, très difficile de “masculiniser une fille” ». Le nouveau né est ainsi déclaré “fille” à l’état civil.» Quelles préférences sexuelles à l’âge adulte pour ces enfants ? « Parfois, elles sont « conformes» à leur caryotype (garçon) et non à leur phénotype (apparence de fille).» Quid, à l’opposé, d’un nouveau-né, génétiquement fille, mais souffrant d’un trouble hormonal qui a conduit à une masculinisation de ses organes sexuels pendant sa vie in ? l’état actuel des choses, cela semble difficile. On ne peut, aujourd’hui, imaginer laisser grandir un enfant sans qu’il soit identifié fille ou garçon, alors que le 3e sexe n’est toujours pas reconnu. Mais peut-on pour autant inscrire dans sa chair une identité dans laquelle il ne se reconnaîtra pas? Sans prendre en compte l’immense souffrance que ce trouble identitaire peut provoquer ? Les questions sont posées (1) Le congrès de la Société Française de Chirurgie Pédiatrique et Société Francophone d’Urologie Pédiatrique et de l’Adolescent se tenait à Nice les 1112 et 13 octobre derniers.