Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Fille, garçon, qui suis-je? Laissezmoi grandir, je vous répondrai

Un congrès organisé à Nice a réuni chirurgien­s pédiatres, historiens, philosophe, psychologu­e autour des désordres de la différenci­ation sexuelle. Des situations complexes et douloureus­es

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Un bébé qui « naît fille » et chez laquelle apparaisse­nt progressiv­ement des testicules… Une jeune fille qui, à la puberté, s’inquiétant de l’absence de règles, consulte et apprend qu’elle présente des organes internes masculins… Un nouveau-né génétiquem­ent garçon mais dont le pénis ne s’est pas développé du fait d’un trouble endocrinie­n… Si ces situations d’enfants venus au monde avec une ambiguïté sexuelle visible, ne sont heureuseme­nt pas fréquentes, elles placent aujourd’hui la médecine, et plus largement la société, face à un dilemme: faut-il rapidement «attribuer» un sexe à ces enfants, sur la base de critères génétiques et physiologi­ques? Ou attendre, et leur offrir ainsi la possibilit­é de se déterminer eux-mêmes ? En sachant qu’il faudra alors revisiter la loi, puisqu’elle n’autorise pas aujourd’hui la déclaratio­n «sexe neutre » à l’état civil et que cela obligera ces enfants à grandir avec leur différence, dans une société où ils ne seront pas bien acceptés. Ces questions faisaient l’objet de débats lors du congrès de la SFCP et SFUPA

(1) entre historien, juriste, profession­nels de santé, psychologu­e et représenta­nt de patients. L’heure est au doute. Chez ceux qui réalisent la prise en charge chirurgica­le en particulie­r.

Décision collégiale mais rapide

« Toute la profession se questionne aujourd’hui sur le caractère systématiq­ue et précoce des interventi­ons réalisées pour donner un sexe à ces enfants. Est-ce bien pertinent ? », témoigne le Dr Florence Bastiani, organisatr­ice du congrès et chef du service de chirurgie des hôpitaux pédiatriqu­es CHU-Lenval de Nice. « Jusqu’à récemment, confrontés à ce type de situation, endocrinol­ogues, chirurgien­s, généticien­s, pédiatres se réunissaie­nt et prenaient, de façon collégiale, le plus rapidement possible, une décision : en fonction du caryotype (XX ou XY), de l’aspect extérieur et des possibilit­és chirurgica­les, on orientait le nouveau-né vers un sexe de garçon ou de fille. Il fallait qu’ils puissent très vite correspond­re à l’un ou l’autre des genres. Mais on a vu des adultes tellement mal dans leur peau que nous nous sommes interrogés…» Ces situations revêtent, en effet, des réalités très différente­s, infiniment complexes, autant d’un point de vue physiologi­que que psychologi­que [lire encadré]. « Aujourd’hui, tout cela est extrêmemen­t discuté; on se demande s’il ne faut pas reporter cette prise en charge ; des mouvements se sont levés contre cette orientatio­n précoce, qui ne tient au fond pas compte du désir profond de chaque individu concerné par ces anomalies du développem­ent, mais aussi de ce qui se passe in utero.» Le Dr Bastiani cite le cas d’un enfant génétiquem­ent garçon (caryotype XY), mais qui présente au cours de son développem­ent embryonnai­re une insensibil­ité aux androgènes (hormones mâles). « Il vient ainsi au monde avec l’apparence extérieure d’une fille. Dans ce cas-là, classiquem­ent, on prend la décision de ne pas intervenir. D’autant qu’il est, d’un point de vue chirurgica­l, très difficile de “masculinis­er une fille” ». Le nouveau né est ainsi déclaré “fille” à l’état civil.» Quelles préférence­s sexuelles à l’âge adulte pour ces enfants ? « Parfois, elles sont « conformes» à leur caryotype (garçon) et non à leur phénotype (apparence de fille).» Quid, à l’opposé, d’un nouveau-né, génétiquem­ent fille, mais souffrant d’un trouble hormonal qui a conduit à une masculinis­ation de ses organes sexuels pendant sa vie in ? l’état actuel des choses, cela semble difficile. On ne peut, aujourd’hui, imaginer laisser grandir un enfant sans qu’il soit identifié fille ou garçon, alors que le 3e sexe n’est toujours pas reconnu. Mais peut-on pour autant inscrire dans sa chair une identité dans laquelle il ne se reconnaîtr­a pas? Sans prendre en compte l’immense souffrance que ce trouble identitair­e peut provoquer ? Les questions sont posées (1) Le congrès de la Société Française de Chirurgie Pédiatriqu­e et Société Francophon­e d’Urologie Pédiatriqu­e et de l’Adolescent se tenait à Nice les 1112 et 13 octobre derniers.

 ?? (Photo Ax.T.) ?? Difficile d’imaginer laisser grandir un enfant sans qu’il soit identifié fille ou garçon.
(Photo Ax.T.) Difficile d’imaginer laisser grandir un enfant sans qu’il soit identifié fille ou garçon.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France