Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Vence : sa patiente décède du cancer, un homéopathe suspendu

- C. CIRONE

Sur le bureau de leur avocate, le portrait souriant de leur mère, partie à l’âge de 52 ans. C’était le 18 mars 2013. Claudie Ferraton décédait des suites d’un cancer du sein. Ses enfants, Laura et Paul Albertini, n’ont jamais fait leur deuil. Ils dénoncent les errances du dernier médecin traitant de cette Vençoise. Car à leurs yeux, « une faute grave a été commise... » Le Conseil national de l’ordre des médecins de Paris est du même avis. Selon les conclusion­s de sa commission disciplina­ire, le Dr D., homéopathe établi à Peymeinade, a « gravement compromis la santé de sa patiente ». Depuis août 2016, le Dr D. ne peut plus exercer. Il a été suspendu pour deux ans. La famille de Claudie Ferraton lui reproche d’avoir eu recours à l’homéopathi­e pour traiter cette patiente atteinte d’un cancer avancé.

Vingt-huit injections dans le sein

La tumeur a été diagnostiq­uée en mai 2010. Un mois plus tard, Claudie Ferraton entamait un cycle de chimiothér­apie au centre hospitalie­r de Grasse. « Elle les a très mal supportées. Ça l’a mise dans un état pitoyable », se remémorent Laura et Paul. Leur mère décide alors de stopper net les soins traditionn­els. Elle a déjà commencé à consulter le Dr D. Simple accompagne­ment, au départ. Mais au fil des mois, le praticien devient son médecin traitant. Et son unique référent. Le praticien lui prodigue un traitement à base de radis noir, chardon marie, noyer, desmodium et arnica. Il procède en outre à 28 injections de Viscum album - du gui - au niveau du sein atteint de la tumeur. « À la fin, son sein était tout atrophié et coulait... C’est à ce moment-là que sa famille lui a fait réaliser son état, et qu’elle a consulté d’autres médecins », se souvient Laura. En novembre 2011, Claudie Ferraton se rend à l’hôpital Princesse-Grasse de Monaco. « On nous a dit que le stade était très avancé. Qu’il lui restait trois mois... », s’étrangle sa fille. Le Dr D. a-t-il failli dans l’informatio­n de sa patiente ? C’est ce qu’a conclu le conseil de l’ordre. Mais lui a-t-il fait croire que l’homéopathi­e pouvait soigner son cancer ? Ses enfants en sont persuadés. « Elle avait entière confiance en lui. Mais quand on est atteint d’un cancer, on a envie de croire à tout... Clairement, il lui a fait croire qu’il allait la soigner. Mais il aurait dû alerter ! Au lieu de cela, il a laissé mourir l’une de ses patientes... »

« Du charlatani­sme »

Le Dr D., lui, conteste toute faute grave. À ses Me Girard-Gridel avec Laura et Paul, présentant la photo de leur mère Claudie. dires, il n’a jamais prétendu soigner le cancer par l’homéopathi­e. Mais Me Delphine Girard-Gridel, l’avocate cannoise qui a déposé plainte du vivant de Claudie Ferraton en 2012, estime que sa patiente a été induite en erreur. L’avocate en veut pour preuve la mention apposée sur les ordonnance­s : « Traitement à visée oncologiqu­e » .Autrement dit, destiné à traiter le cancer. « Il est fautif dans le sens où il a fait croire à sa patiente qu’il la soignait pour son cancer, assène Me Girard-Gridel. Et il n’a jamais fait de test élémentair­e d’évolution de la maladie, avec des bilans sanguins, des marqueurs, des échographi­es, mammograph­ies ou pet scan ... . C’est du soin illusoire, du charlatani­sme. » Le conseil de l’ordre n’est pas aussi catégoriqu­e. Il reproche en revanche au Dr D. « de pas avoir donné une informatio­n loyale à sa patiente, de ne pas l’avoir informée sur son état réel, de ne pas avoir fait appel à des tiers compétents alors que lui n’est pas cancérolog­ue », énumère l’avocate de la famille. « Il ne nous a jamais alertés. Jamais un coup de fil ! Sinon, vous pensez bien qu’on aurait emmené notre mère direct en chimio... », s’indigne Laura Albertini. Visé par une sanction disciplina­ire, le Dr D. encourt à présent une condamnati­on devant la justice civile. Mais Laura et Paul, engagés dans cette bataille judiciaire aux côtés de leur beaupère Michel, entendent en clarifier le sens. «On ne veut pas que ce qui nous a touché se reproduise pour d’autres. C’est une démarche de sensibilis­ation, pas un combat contre la médecine homéopathi­que. Cela peut être très adapté à certains cas, comme un petit rhume. Mais pour une maladie telle que le cancer, cela ne doit venir qu’en complément. »

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(Photo François Vignola)

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