« Si ça touche une personne sur Terre, ça me suffit » Interview
Basée à Angoulême, Marie Deschamps, dessinatrice en résidence à Toulon, présentera, à la prochaine fête du livre du Var, son ouvrage numérique Drôles d’Oiseaux
Diplômée de l’École des Gobelins, la dessinatrice Marie Deschamps basée à Angoulême présentera à Toulon son nouvel ouvrage, Drôles d’Oiseaux. Particularité : il sera numérique. Rencontre sur le cours Lafayette autour d’un petit noir.
Quel a été le point de départ de Drôles d’Oiseaux?
C’est un projet qui tournait en boucle dans ma tête, mais qui n’était pas prévu, comme plein d’autres qui ne verront jamais le jour. Il est aujourd’hui lié à la résidence artistique que j’ai obtenue à Toulon. J’ai répondu à une annonce de candidature à un projet numérique mais je ne m’attendais pas à être choisie : je suis en résidence d’écriture mais moi, je ne sais pas écrire, je dessine !
Vous ne vous sentez pas auteure ?
Je ne viens pas de l’univers du livre, je me suis laissée embarquer dans cette aventure. Ce sont des évidences, amplifiées par les outils modernes, qui viennent à moi. D’ailleurs, je ne m’impose jamais rien. Si ça se trouve, personne n’y trouvera son compte.
Votre ouvrage est en cours de réalisation. Qu’allez-vous présenter à la Fête du livre du Var, du au novembre?
C’est la grande question : comment présenter un travail qui progresse, et non pas un objet fini ? Il est possible que je sois moi-même l’objet de partage de l’oeuvre. Il faudra s’en contenter... (sourire) Cela dit, je me sens tellement à l’aise que j’aurai peut-être terminé le projet plus tôt que prévu. Ça, c’est surprenant. Ici, tout est très fluide. J’ai une totale liberté. Et Drôles d’Oiseaux est une métaphore de la liberté.
Est-ce vraiment une histoire pour enfants ?
Pour moi, ce n’est même pas une histoire. C’est un tableau, muet, plus ou moins long, de ma conception de la liberté, qui passe par le détachement de la relation matérielle qu’on a au temps, manger, dormir ou s’habiller quand on veut. Drôles d’Oiseaux, c’est le quotidien d’un enfant sur la route de l’école, qui croise un oiseau tombé du nid ; un lien va se créer entre eux, mais il sera contraint par le quotidien, pesant, enfermant, sclérosant (...). Moi, je n’ai pas de réveille-matin. Et c’est la base : se réveiller quand c’est l’heure, pas quand on me le dit parce que c’est pratique et maîtrisable.
Pensez-vous que les enfants pourront comprendre le message ?
Mon envie, c’est d’offrir, à travers mes propositions, la liberté d’apprendre à son rythme et à sa manière. Mon livre n’est pas la vérité. D’ailleurs, il n’intéressera pas tout le monde, et j’en suis fière. Mais il est numérique, accessible à tout le monde, quels que soient l’heure, la culture, la langue ou l’âge. Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais si ça peut toucher une seule personne, à l’autre bout de la Terre, ça me suffit.
Comment avez-vous construit l’ouvrage ?
Je ne fonctionne qu’à l’inspiration, elle s’impose à moi. Je dessine des successions d’images qui s’enchaînent en écriture automatique. Je ne travaille pas mon dessin, je ne le regarde pas, je laisse faire. Cela peut venir dans le train, tôt ou tard peu importe. Je n’ai même pas d’horaire pour manger... Pour moi, dessiner, c’est juste
être disponible. Je suis le miroir de mes émotions. En revanche, je ne sais pas retranscrire les rythmes, les retournements de situation... Mes personnages n’ont même pas de nom!
Grâce au numérique, quelle expérience apportez-vous au lecteur ?
Celle de lire une image qui a une profondeur audiovisuelle. Cela amène de vraies réflexions à la lecture, à ce qu’elle implique. L’écran, c’est aussi % de son, et il y a du son dans la lecture. On ne lit pas pareil en bibliothèque ou enfermé dans sa chambre, dans le salon avec les frangines... Drôles d’Oiseaux m’impose une manière de construire une narration propre. Quand je pense une image sur papier, j’utilise le blanc pour marquer le silence, l’absence de trace. Quand je la pense sur écran, le vide, c’est le noir. Rien que ça, c’est dingue !