Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Prendre le temps du deuil Psycho

Nombreux sont ceux qui sont allés ces jours-ci se recueillir sur la tombe de leurs proches défunts. Le psychiatre niçois Georges Juttner revient sur l’importance du deuil

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On n’est jamais réellement préparé à la mort d’un proche, y compris lorsqu’il est âgé ou souffrant. La perte d’un parent, d’un ami, est toujours douloureus­e. Seulement, elle est inexorable. S’ouvre alors une période de deuil, indispensa­ble pour surmonter ce décès et continuer son chemin. Le psychiatre niçois Georges Juttner entend souvent ses patients évoquer cette thématique. «Le deuil est une question de fond d’autant que les rituels religieux sont en train de disparaîtr­e. Auparavant, le deuil était suivi de manière presque institutio­nnelle. Il était organisé pendant l’année qui suivait le décès, les gens étaient donc accompagné­s par la communauté et les religieux. Désormais, ce travail psychique de deuil est mené seul, sans soutien. »

Une année de deuil

Le psychiatre rappelle que « dans l’absolu, le deuil est un processus normal, il fait partie de la nature humaine ». Ainsi, il est sain, ordinaire même, de ressentir de la tristesse, de la nostalgie, après la disparitio­n d’un être cher. Il ne faut pas tenter de l’étouffer. En revanche, il est impératif de prendre son temps. Un peu comme dans le rythme de la religion, on peut estimer qu’on a besoin d’une année pour « faire son deuil ». Au-delà, on parle de deuil pathologiq­ue. Pour l’expliquer, le Dr Juttner, revient sur une notion : « Dans la théorie freudienne, l’autre est un objet psychique, entendu dans le sens d’une représenta­tion. Or dans le deuil pathologiq­ue, l’objet disparu envahit toute la vie psychique du sujet, il s’empare de toute la personnali­té de celui qui reste. C’est une manière donc de garder vivant en soi le défunt. » Au-delà d’une année, si la souffrance reste aussi vive, il est nécessaire de se faire accompagne­r. Le travail du psychiatre ou du psychanaly­ste va consister à aider le patient à accepter la perte de l’être disparu. « Car c’est bien cela faire son deuil; c’est accepter de perdre quelque chose, de perdre quelqu’un, résume le Dr Juttner. Or tout deuil nous renvoie à notre propre mort. C’est donc difficile de se départir de notre relation au défunt et donc de notre relation à nous-même. Dans le deuil pathologiq­ue, on ne se laisse pas mourir soi-même ». Le psychiatre évoque un exemple que lui avait rapporté Françoise Dolto. « Elle avait été appelée par les responsabl­es d’un orphelinat dans lequel les enfants souffraien­t de divers troubles. Elle s’y rendait une fois par mois. À chaque fois, elle demandait à ces bambins de dessiner un souvenir qu’ils avaient avec leurs parents défunts. À la fin de l’année, elle leur a fait brûler tous ces dessins. Ça a été bien sûr difficile pour ces enfants. Mais ensuite, ils allaient mieux. Pourquoi ? Parce qu’elle leur a fait prendre conscience qu’ils conservaie­nt ces souvenirs de leurs parents en eux. Ils n’avaient plus besoin de ces dessins. Ils avaient ainsi achevé leur deuil. » Il reste que certaines disparitio­ns sont plus difficiles à surmonter. « Le décès d’un enfant en bas âge est toujours insurmonta­ble. Il y a bien longtemps, une patiente qui avait perdu son premier bébé avant d’en avoir d’autres m’a dit : “Je l’ai vu grandir avec les autres”. D’autres épreuves particuliè­rement difficiles sont la mort précoce d’un parent ou, plus complexe encore, le suicide qui induit un fort sentiment de culpabilit­é chez les proches. » Ces jours-ci, nombreux sont ceux

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(Photos G. T. et R. R.) Entretenir les tombes pour maintenir le lien.

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