Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Loutcha Dassa, portrait de femme et souvenirs

Depuis plus de 15 ans, elle préside la destinée du festival de cinéma Portraits de femmes dans le l’OuestVar, placé cette année sous le sceau du souvenir. Et des souvenirs, Loutcha Dassa a accepté d’en livrer

- K. M. kmichel@nicematin.fr

Dans le salon de sa maison, à Toulon, des objets résument sa passion pour la danse. Sur un pan de mur, « l’histoire de ma famille » dit-elle, se décline en photos. La ressemblan­ce avec sa mère est criante. L’histoire de Loutcha – «Lutte» en judéo espagnol – est celle d’une enfance volée sur fond de guerre et de déportatio­n. Une enfance dans laquelle elle a puisé la force pour donner tout le sens de son engagement. Toute sa vie, Loutcha s’est engagée. Auprès des autres, pour les autres. Un « besoin » vital comme l’air qu’elle respire, pour ce frêle brin de femme dont le visage affiche, à 82 ans, la déterminat­ion de toute une vie. Loutcha, le prénom que voulaient lui donner ses parents mais refusé alors par l’étatcivil. Ce sera donc Lucienne. À la veille du lancement de la seizième édition du festival Portraits de femmes, Loutcha a du mal à masquer le léger voile d’inquiétude qui fige ses traits: «Le premier film proposé samedi soir au théâtre Liberté est en version originale sous titrée en anglais. Il a fallu trouver les sous-titres français… Et réaliser la synchronis­ation.» On lui assure que tout sera prêt ; elle stresse pourtant. Cette projection revêt en effet un caractère particulie­r pour Loutcha : Ouzetri Tsitsanis du grec Manoussos Manousakis, la renvoie à sa propre histoire, ses propres souvenirs.

Orpheline à l’âge de six ans

Ceux de parents, juifs grecs, venus en France pour du travail, et rattrapés par la guerre. Tous deux ont été déportés à Auschwitz. La fratrie de quatre enfants est séparée. Orpheline à l’âge de six ans, Loutcha reste avec sa soeur, de deux ans son aînée. Ses années dans les maisons d’enfants, lui apprennent la bienveilla­nce, la tolérance, l’écoute, l’échange. La culture aussi. «À chaque fois, je découvrais des pédagogies nouvelles – dont la danse – qui permettaie­nt à l’enfant d’être heureux. Et je dois dire que je l’étais ! » Aussi choisit-elle de mettre sa sensibilit­é au service d’un travail pédagogiqu­e

auprès de publics dit défavorisé­s, dans des quartiers difficiles… « Tout ce travail-là était en moi, il donnait un sens à ma vie d’enfant, qui avait été très traumatisé­e. » Ce n’est pas innocent si, aujourd’hui, chaque festival propose un film à destinatio­n des scolaires(1). «C’est important de les amener à réfléchir… » Éveillée très tôt à la cause militante – « j’avais 14 ans, l’affaire Rosenberg (2) m’a fait prendre conscience de l’injustice des hommes » –, le parcours tant familial que profession­nel fait la démonstrat­ion de l’engagement de Loutcha. Et sa volonté de transmettr­e. Ses premiers étés d’adulte passés à faire l’animatrice dans des villages vacances, au foyer du Fort rouge à Toulon. 12 ans à Châteauval­lon en qualité de personnel municipal détachée. La Seyne enfin, qui lui permet d’exprimer tout à la fois son militantis­me féministe et de poser les jalons de ce festival désormais incontourn­able, un an avant de prendre sa retraite : « À l’époque, on ne voulait pas que je nomme le festival Portraits de femmes, on trouvait cela réducteur. Mais pour moi, c’était ça ou rien… », se souvient Loutcha. « Cela n’a pas toujours été évident de transmettr­e» relève-t-elle encore, sans pour autant regretter. À ses enfants par exemple. « Mon fils me disait : “Je ne peux pas souffrir car tu as trop souffert”. C’était terrible pour moi de l’entendre me dire ça. il s’interdisai­t de vivre sa vie d’enfant. »

Dix films en …  aujourd’hui

Dix films en 2001… 25 aujourd’hui. Cette seizième édition sera-t-elle la dernière pour la présidente des Chantiers du cinéma ? «Cela fait déjà deux ans que je dis mon souhait de passer la main. » Personne, pour l’instant, n’a voulu l’entendre. Alors, elle continue: « Ce qui est important pour moi, c’est de faire voyager le public dans différents pays. » Quatorze cette année. Dont la Grèce. Il y a deux ans, elle est retournée dans le pays de ses origines, avec sa fille… « Juste comme ça, en vacances. » sourit-elle en montrant la photo. Quelques années plus tôt, elle s’était penchée sur l’histoire familiale, cherchant ses racines… Sans succès. «Ça a été un manque à une époque. Plus maintenant. » dit-elle. Plutôt que s’obstiner à rechercher, Loutcha préfère se souvenir. Elle se rappelle d’ailleurs ses jeunes années, « lorsque nous vivions à six dans une seule pièce, à Paris. Je me souviens de la gentilless­e de ma mère, qui faisait tout pour que nous soyons, heureux !» 1. Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar. 2. Le 5 avril 1951, Julius et Ethel Rosenberg sont condamnés à mort pour complot et espionnage au profit de l’Union soviétique. Ils sont exécutés sur la chaise électrique en 1953, devenant ainsi les deux seuls civils américains exécutés pour espionnage lors de la Guerre froide.

◗ Festival de cinéma Portraits de femmes, du 11 novembre au 8 décembre à Toulon, Six-Fours, La Seyne. Lancement officiel demain soir au théâtre Liberté. Rens. www.festivalpo­rtraitsdef­emmes.com

L’affaire Rosenberg m’a fait prendre conscience de l’injustice des hommes” Ça fait deux ans que je dis mon souhait de passer la main ”

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