Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Le harcèlemen­t est déjà une forme de violence»

La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, travaille à l’élaboratio­n d’une loi citoyenne contre « les violences sexistes et sexuelles »

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Elle a lancé hier soir, depuis son secrétaria­t d’État, la Journée internatio­nale de lutte contre les violences faites aux femmes. Un «Orange day» porté par les Nations unies, qui revêt, cette année, la force et le poids d’une parole « libérée » depuis l’affaire Weinstein. Cela sera-t-il suffisant pour abaisser le seuil de tolérance face au harcèlemen­t et plus encore, aux violences dans la société française ? Entretien avec la jeune féministe qui, aujourd’hui, sera aux côtés d’Emmanuel Macron lors du lancement de la grande cause du quinquenna­t : l’égalité hommesfemm­es.

Aujourd’hui débute la campagne  de l’ONU de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous vous dîtes que… ?

Je me dis que l’on a beaucoup de travail et en même temps, que nous sommes à un tournant. La société est prête à écouter les femmes qui parlent des violences qu’elles subissent. On doit, aujourd’hui, faire en sorte que le soufflet ne retombe pas, et agir pour maintenir ce sujet à l’agenda du débat public.

La parole des femmes se libère ; il faut ensuite que l’appareil législatif suive pour répondre à ces violences, les prévenir… Quelles mesures comptez-vous mettre en place ?

Mais vous avez raison, le législateu­r doit suivre. On a constaté une hausse de  % des plaintes déposées en gendarmeri­e pour violences sexuelles ces dernières semaines. Cela signifie aussi que les mots lancés sur les réseaux sociaux sont suivis de plaintes, les affaires seront judiciaris­ées. Dès ma nomination, j’ai demandé au Premier ministre de porter une loi contre les violences sexistes et sexuelles, pour mieux condamner et mieux prévenir ces violences. Nous travaillon­s aussi à une grande campagne de communicat­ion pour sensibilis­er la société à ce que sont les violences sexuelles. Notre objectif est d’abaisser le seuil de tolérance de ces violences dans la société.

Quand on voit le nombre d’affaires rendues publiques, c’est difficile de se dire que « personne ne savait » non ?

Oui, tout à fait. C’est la raison pour laquelle nous devons redéfinir le seuil de tolérance de ces violences dans la société : que les femmes puissent parler librement et que l’on explique aux hommes ce qui n’est pas permis de faire. C’est aussi en ce sens que nous voulons verbaliser le harcèlemen­t de rue. Pour que les lois de la République le disent noir sur blanc.

Le harcèlemen­t de rue pose la question de la flagrance. Comment former des policiers, des agents de sécurité pour les sensibilis­er ?

Effectivem­ent, nous sommes en train de construire la définition du harcèlemen­t de rue. J’ai installé un groupe de cinq députés de différents groupes politiques chargés de définir le harcèlemen­t et c’est ce qui permettra aussi de mieux le sanctionne­r. Nous travaillon­s en parallèle avec les forces de l’ordre pour qu’elles-mêmes puissent s’emparer de la définition et que l’on puisse tendre vers la verbalisat­ion. Il y a le flagrant délit d’une part, c’est vrai, mais d’autre part cette loi doit devenir un outil pédagogiqu­e pour redéfinir ce que l’on tolère ou pas.

Que faire pour renforcer les politiques de protection des femmes dans les quartiers où les agressions verbales et le harcèlemen­t sont

beaucoup plus importants ? Une étude de la Fondation JeanJaurès et de l’Ifop montre que le sentiment d’insécurité, de peur à l’égard des violences sexuelles, est très également réparti sur le territoire, dans les quartiers dits sensibles, les villes comme dans les zones rurales. Il n’empêche : la police de sécurité du quotidien sera répartie en fonction des besoins. Besoins qu’il appartient au ministre de l’Intérieur de définir selon les lieux les plus ciblés. On peut penser aux abords des gares notamment.

Enfin, la société est prête à écouter ” Nous devons redéfinir le seuil de tolérence”

Du harcèlemen­t à la violence physique… Comment éviter d’en arriver là ?

Mais le harcèlemen­t est déjà une forme de violence ! Cela fait partie des violences sexistes et sexuelles. Avant, on appelait cela les violences faites aux femmes. Moi, je tiens à appeler cela violences sexistes et sexuelles pour rendre visible le système qui amène à ces violences. Mais, je n’oublie pas les violences psychologi­ques que l’on appelle l’emprise, ni les violences économique­s et administra­tives. Dans le cadre du tour de France pour l’égalité hommes-femmes, j’avais rencontré une femme prisonnièr­e de son mari puisqu’il lui avait volé son passeport. Sans pièce d’identité, elle n’était plus libre de ses mouvements.

Il y a déjà beaucoup de lois pour lutter contre la violence faite aux femmes. Pourquoi pensezvous que votre action fera bouger les choses plus que les précédente­s ?

D’abord, c’est la première fois que l’on fait une loi citoyenne contre les violences sexistes et sexuelles. J’ai proposé au Premier ministre de poursuivre le travail de consultati­on, lancé par Emmanuel Macron durant la campagne. Nous avons lancé ensemble un tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes pour écouter massivemen­t les témoignage­s. Cela nous permet de mieux construire cette loi avec des experts, des pédopsychi­atres etc., de travailler concrèteme­nt sur ce qui manque : le harcèlemen­t de rue, l’allongemen­t du délai de prescripti­on pour les mineurs, la création d’un âge en dessous duquel on considère qu’un enfant ne peut pas être consentant et que tout acte avec un adulte serait forcément un viol.

Sur ce point avez-vous tranché ?

Pas encore. Le Haut Conseil à l’égalité recommande  ans. Personnell­ement, je recommande  ans, le même âge que la majorité sexuelle. Il y aurait une cohérence. Pour l’heure, nous poursuivon­s les consultati­ons. C’est un débat très ouvert.

Samedi dernier, lors du conseil de LaREM, vous avez annoncé la mise en place d’un protocole de prévention contre la violence sexuelle au sein de votre mouvement

C’est primordial ! Je crois qu’il faut commencer par balayer devant sa porte, si vous me passez l’expression. La République en marche compte plusieurs centaines de milliers de militants et d’adhérents et il y a partout, dans toutes les sphères de la société, un risque de harcèlemen­t sexuel. Je pense que c’est de notre responsabi­lité d’identifier ce risque et d’agir pour faire en sorte que le harcèlemen­t sexuel ne prolifère pas. On est un mouvement jeune, mais pas immature. À nous de faire preuve de responsabi­lité et de prendre à bras-le-corps cette question. C’est de notre responsabi­lité de le faire.

Vous parlez d’abaisser le seuil de tolérance dans la société. Quand espérez-vous un seuil proche de zéro ?

Je souhaitera­is déjà qu’il baisse considérab­lement. On voit que l’on a énormément de mal à faire baisser les chiffres des violences : une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint ; ce chiffre ne baisse pas quels que soient les moyens et les engagement­s des politiques publiques. Cela montre bien combien l’État doit donner une impulsion, dont doit se saisir, ensuite, toute la société pour arriver à une tolérance zéro. À la fin du quinquenna­t, nous espérons avoir obtenu des premiers résultats.

Il y a une quinzaine de jours, les candidates à l’élection de Miss Pérou ont dénoncé les violences faites aux femmes en défilant en bikini sur une scène. N’y a-t-il pas un véritable paradoxe ?

On peut y voir une forme de sexisme, c’est vrai. Mais, je préfère me dire que le mieux est l’ennemi du bien. Et c’est déjà un énorme progrès que dans un concours de beauté les femmes en profitent pour véhiculer ce message. Il faut sortir du dogmatisme et du manichéism­e et se dire que toutes les actions qui permettent de toucher un public très large sur les violences faites aux femmes sont bonnes à prendre.

1. Un attaché parlementa­ire LaREM fait l’objet d’une plainte pour harcèlemen­t sexuel. Il a été contraint de démissionn­er.

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(Photo AFP) Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

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