Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité

Mardi

Les maires sont remontés comme des pendules et la tenue de leur congrès annuel est l’occasion d’exprimer leurs revendicat­ions parfois justifiées et leur lassitude souvent incontesta­ble. Le maire est l’élu que les citoyens ont « sous la main » et ceux-ci ne se gênent pas pour les considérer comme le déversoir des exigences les plus diverses et des insatisfac­tions les plus farfelues. Il faut avoir assisté à une réunion de quartier pour constater la hargne avec laquelle on s’adresse à l’édile pour un nid-depoule qui tarde à être comblé ou le changement d’une ampoule de l’éclairage public ! Ce congrès est donc une superbe opportunit­é de défoulemen­t collectif et huer les ministres et le président de la République ne sert pas à grandchose, mais permet d’exercer, à peu de frais, une sorte de vengeance contre ceux que les maires – à vif – considèren­t injustemen­t comme des planqués. Sur le fond des dossiers, les compétence­s, la fiscalité, les méthodes de fonctionne­ment du bloc communal ont besoin d’être revisités de fond en comble tant tout cela dysfonctio­nne. Nier les gaspillage­s et la nécessité d’économies substantie­lles, réclamer à l’État toujours plus de dotations et d’emplois aidés, relève de la technique irresponsa­ble du sparadrap sur une plaie béante. Pour autant, ces réformes ne pourront se décider d’en haut et Emmanuel Macron ferait bien de méditer cette formule de Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour nous sans nous, est fait contre nous »…

Jeudi

Vous avez aimé l’affronteme­nt entre Médiapart et Charlie Hebdo? Vous allez adorer la polémique qui fait rage au sein de la sociologie française. Deux écoles s’y opposent pour expliquer les raisons de la montée d’un intégrisme musulman qui dépasse maintenant largement quelques poches de radicalité. Les uns, à la suite de Pierre Bourdieu, imputent la montée de l’islamisme aux discrimina­tions sociales et économique­s qui frappent certaines population­s d’origine immigrée. Les autres contestent cette vision purement «victimaire » de la sociologie et privilégie­nt une approche culturelle. En tout cas, les chiffres, repris par le journal Le Monde et donnés dans la revue Le Débat par Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS, amènent de l’eau au moulin des tenants de cette approche culturelle. Galland et ses collaborat­eurs ont enquêté auprès des lycéens des quartiers populaires et comparé leurs opinions sur un certain nombre de marqueurs sociétaux comme l’homosexual­ité, l’égalité hommesfemm­es

ou encore la laïcité, selon leur sentiment d’appartenan­ce à une religion. % des jeunes musulmans considèren­t l’homosexual­ité comme anormale, alors que cette approche n’est partagée que par % des catholique­s et % des sans-religion. Seulement % des jeunes maghrébins ne sont pas d’accord pour considérer que la place des femmes est principale­ment à la maison contre % des jeunes d’origine française. % des jeunes d’origine maghrébine s’opposent à l’interdicti­on du voile à l’école contre % des lycéens catholique­s ou sans-religion. L’étude() est très fouillée sur d’autres items et rend compte d’une véritable rupture idéologiqu­e avec les valeurs de la République chez de nombreux jeunes de culture musulmane, rupture qui non seulement perdure mais s’amplifie d’une manière d’autant plus étonnante qu’elle concerne des personnes jeunes. Les sociologue­s Gérald Bronner et Étienne Géhin dénoncent, eux, la « culture de l’excuse » et les théories de la domination qui, à la suite de Pierre Bourdieu, déresponsa­bilisent l’individu en expliquant cette rupture uniquement par les discrimina­tions sociales et économique­s réelles ou ressenties. Inutile de vous dire que les partisans de la sociologie « critique » et ceux de la sociologie « analytique » sont en pleine effervesce­nce et que les noms d’oiseaux volent de part et d’autre. Cette querelle pourrait être considérée comme une nouvelle bataille d’experts destinée à occuper quelques savants Cosinus un peu allumés. Ce serait un tort car en politique comme en médecine, on

ne fait de bonne thérapeuti­que qu’avec un bon diagnostic et les phénomènes de relégation qui minent la société française seront réglés de manière bien différente selon les explicatio­ns que l’on en donne.

Vendredi

Le remaniemen­t ministérie­l est tout à fait intéressan­t, non pas sur la politique gouverneme­ntale qui ne changera pas d’un iota mais sur ce qu’il dit de la gestion des ressources humaines telle que la conçoit Emmanuel Macron. Les députés de La République en marche s’étaient émus d’avoir un ministre qui soit en même temps chef du parti macronien ? Il les a promptemen­t envoyés au bain et Castaner reste au gouverneme­nt. Le porte-parolat confié à un fidèle du premier cercle, Benjamin Griveaux ? Sur ces postes éminemment politiques, pas question de jouer l’ouverture. Une nouvelle secrétaire d’État à Bercy, Delphine Gény-Stephann, totalement inconnue, pur produit de la technocrat­ie, alors que tant de jeunes députées rêvaient de se faire appeler Madame la ministre ? Qu’elles restent à faire les pom-pom girls au Palais Bourbon, ce qui compte, c’est la compétence. Un socialiste de  ans, Olivier Dussopt, espoir du PS, en charge de la Fonction publique ? Le parti de la rue de Solferino avait déjà une balle dans le ventre, un bon coup derrière les oreilles en forme de débauchage devrait accélérer l’agonie. Et puis, sur le mode du supplice chinois, faire lanterner tout ce joli monde médiatico-politique pendant une semaine pour faire croire qu’il pourrait y avoir la surprise d’un remaniemen­t plus large et l’on imagine les bruits de couloir, les supputatio­ns, les fausses nouvelles, l’attente angoissée – le portable vissé à l’oreille – dans l’attente d’un appel de Matignon qui ne viendra jamais. Décidément, les grands fauves, et Macron est de ceux-là, m’étonneront toujours par le raffinemen­t de leur cruauté.

Samedi

Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes. C’est à nouveau l’occasion de dénoncer les assassinat­s, les viols, les agressions qui frappent spécifique­ment les femmes. De dénoncer la négation de leur dignité d’êtres humains par l’esclavage, la prostituti­on, les mariages forcés dont elles fournissen­t les gros contingent­s. De dénoncer les inégalités qui les frappent même dans les pays les plus développés. De dénoncer la montée des intégrisme­s religieux qui fait reculer leurs droits de plusieurs siècles. Emmanuel Macron prononce à l’Élysée un discours de bonne tenue pour lancer la grande cause nationale dédiée à l’égalité entre les hommes et les femmes. Pourquoi ai-je ressenti un sentiment de décalage terrible cette semaine devant les discussion­s byzantines sur l’écriture inclusive, la propositio­n d’installer une statue représenta­nt un sexe féminin sur le campus de l’université de Poitiers au motif de combattre les inégalités, l’instaurati­on de journées du « matrimoine »... alors qu’en Iraq, on s’apprête à autoriser le mariage, le viol devrait-on dire, de fillettes de  ans et que l’on apprend qu’à Agen, une fillette de  mois a été violée puis tuée par le couple parental ? Certes, les luttes pour les droits humains ne peuvent faire l’impasse sur les analyses intellectu­elles et les manifestat­ions symbolique­s, mais il est des polémiques qui parfois desservent les meilleures causes. 1. À paraître en avril prochain aux Presses universita­ires de France.

« En politique comme en médecine, on ne fait de bonne thérapeuti­que qu’avec un bon diagnostic. »

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