Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Conquête et résistance

Ecrivain et penseur

- ANDRÉ PEYREGNE

A la suite du départ pour Pau d’Abd el-Kader et de ses plus proches parents quittant le fort Lamalgue à Toulon, le  avril , le reste de sa smala, à savoir l’autre partie de la famille et sa garde rapprochée, fut envoyé sur ordre du préfet maritime au fort de l’île

La détention d’Abd el-Kader à Toulon devient une affaire d’État. Elle est débattue à l’Assemblée nationale. Le 5 février, François Guizot, ministre des Affaires étrangères, annonce que la France refuse d’envoyer Abd el-Kader à Saint-Jeand’Acre, « parce que la Turquie a refusé de reconnaîtr­e la conquête de l’Algérie » et envisage un transfert à Alexandrie.

Poncy, le poète toulonnais lui rend visite

Les choses sont en bonne voie lorsque, le 24 février, le roi Louis Philippe est renversé et la Seconde République proclamée. Charles Poncy, poète-maçon toulonnais très influent dans sa ville (notre édition du 4 novembre), se rend auprès d’Abd el-Kader. Il rend compte de sa visite : « Les Arabes sont logés ou plutôt entassés dans le premier étage du Cavalier, bâtiment situé à l’est du fort, en face du pavillon d’entrée occupé par MM. Lheureux et Daumas. Le rez-de-chaussée est habité par le concierge du fort et par les officiers de la garnison. La longueur du Cavalier est environ de 25 m et sa largeur de 5 m, ce qui donne à chacun des prisonnier­s, au nombre de cent, à peu près un mètre carré de surface pour se mouvoir. Il est vrai qu’il ne leur en faut pas davantage pour fumer ou rêvasser tout le jour, comme ils font, accroupis sur des nattes ou sur les matelas de l’administra­tion… Des logettes servent d’appartemen­ts aux femmes et qui, malpropres, obscures et humides, n’ont d’autres portes pour protéger leurs hôtes qu’un sale et grossier rideau de toile ... » Poncy écrit au chef du gouverneme­nt François Arago, ainsi qu’au poète Lamartine, homme influent de la République, pour leur demander la mise en liberté de l’émir. Le 13 mars, Émile Ollivier, commissair­e du gouverneme­nt, futur député du Var et propriétai­re du château de la Moutte à Saint-Tropez, se rend auprès d’Abd el-Kader. Il lui demande un engagement solennel : « Signerais-tu de ta main, et tes officiers avec toi, un acte juré sur le Coran, que tu ne reviendras jamais en Algérie ? »

Libéré par Napoléon III

Abd el-Kader s’engage par écrit : « Louange au Dieu unique ! Je vous donne une parole sacrée qui n’admet pas le doute. Je déclare que je n’exciterai plus de trouble contre les Français par quelque moyen que ce soit. Je fais ce serment devant Dieu par Mohammed, Abraham, Moïse, et Jésus-Christ, par l’Évangile et le Coran. » Émile Ollivier fait un rapport à Arago : « L’enfermemen­t d’Abd elKader est une des questions d’honneur national les plus graves qu’a léguées le pouvoir déchu ». Mais les choses n’avançant pas. Abd El Kader écrit à nouveau le 28 mars au gouverneme­nt : « Votre commissair­e Émile Ollivier est venu me voir. Il m’a informé que les Français, d’un seul accord, avaient aboli la royauté et décrété que leur pays serait désormais une république. Je me suis réjoui de cette nouvelle, car cette forme de gouverneme­nt a pour but de déraciner l’injustice et d’empêcher le fort de faire violence au faible. Dieu vous a désignés pour être les protecteur­s des malheureux et des affligés. Je vous tiens, par conséquent, pour mes protecteur­s naturels. Certains d’entre vous peuvent s’imaginer que je nourris encore l’intention de retourner en Algérie. Cela ne sera jamais. Mon seul désir est d’être autorisé d’aller à la Mecque et à Médine, pour y prier et adorer le Dieu Tout-Puissant jusqu’à ce qu’Il me rappelle à Lui. » La décision du gouverneme­nt arrive enfin le 14 avril 1848 : il est mis fin à la détention d’Abd el-Kader à Toulon. Il sera transféré avec sa mère, ses épouses et ses deux fils au château de Pau. Le reste de la smala sera maintenu en captivité à l’île de Sainte-Marguerite, au large de Cannes (voir encadré). Le départ se fit àborddu Minos le 23 avril. Il restera à Pau jusqu’en novembre, puis sera envoyé au château d’Amboise où, en 1852, Napoléon III le libérera. Abd el-Kader est mort en 1883 à Damas. L’Algérie est restée française jusqu’en 1962, où son indépendan­ce jeta dans l’exode et la détresse tant de Pieds-Noirs que notre région a accueillis. Tout un pan de la personnali­té d’Abd el-Kader est celle d’un écrivain et d’un penseur qui a fini sa vie en dépensant en oeuvre de charité. Le colonel Dumas a recueilli l’une de ses citations au fort Lamalgue : « La science peut être comparée à la pluie du ciel ; quand une goutte d’eau tombe dans une huître entrouvert­e, elle produit la perle. Quand elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le poison ». En , la France révolution­naire a des difficulté­s pour nourrir sa population. L’Algérie lui vient en aide. Le dey d’Alger Hussein vend du blé à crédit sans intérêt. Mais les gouverneme­nts suivants – consulat, directoire, empire, royaume – ne paieront jamais leur dette. Le  avril , le dey d’Alger gifle le représenta­nt de la France, Pierre Deval. Les relations entre les deux pays sont rompues.

Entre le  et le  mai , quelque   hommes, à bord de  navires, s’embarquent pour l’Algérie. Le débarqueme­nt a lieu le  juin à Sidi-Ferruch. Le  juillet, les troupes françaises, commandées par Louis de Ghaisne de Bourmont, général en chef de l’expédition, font leur entrée dans la forteresse d’Alger. Le dey capitule le jour même. En , l’Algérie sera annexée à la France, les autochtone­s devenant « sujets français » par ordonnance royale du  février. Les tribus nomades s’inquiètent devant l’extension de la conquête française. Une assemblée générale des chefs se réunit pour procéder à l’élection d’un sultan le  novembre , dans la plaine de Ghis à Ersebia. Abd el-Kader est nommé, décline ce titre de sultan, lui préférant celui, plus modeste, d’« émir ». Il prêche la « guerre sainte ». Elle durera plus de dix ans. En , le général Bugeaud est envoyé en Algérie avec la double mission de combattre Abd el-Kader et de pacifier l’Algérie.

Abd el-Kader déplace sa « smala » dans le désert. C’est une véritable capitale ambulante, constituée de tentes, rassemblan­t vingt-cinq mille personnes, dont sa famille et son chancelier Mohammed bel Karoubi. Le  mai , la smala d’Abd el-Kader, installée au sud d’Alger dans le désert, est disséminée par l’armée française. La famille d’Abd el-Kader s’enfuit à dos de chameaux.  arabes sont faits prisonnier­s. Le  septembre , le sultan marocain Abd AlRahman soutien d’Abd el-Kader, est battu par le général Bugeaud. Le sultan marocain signe avec la France le traité de Tanger, qualifiant Abd el-Kader de « hors-la-loi ». Des frontières sont établies entre l’Algérie et le Maroc. En , Abd el-Kader, attaqué au nord et à l’est par les troupes françaises, et à l’ouest par les troupes marocaines, dépose les armes et se rend. En , les diverses provinces d’Algérie deviennent des départemen­ts français. Le Sahara ne sera conquis qu’en .

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(Photo DR) (Photo DR) (Photo DR) (Ph DR) La smala d’Abd el-Kader à l’île Sainte-Marguerite. Napoléon III rend sa liberté à Abd el-Kader. Le duc d’Aumale pendant la conquête de l’Algérie. L’attaque de la smala d’Abd el-Kader par les troupes françaises, qui a entraîné la rédition de l’émir
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