Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’amiral Prazuck: «Il est temps de penser à un second porte-avions»

Le chef d’état-major de la Marine était à Toulon ce mercredi. En marge d’une visite à bord du Languedoc, l’une des plus modernes frégates, il nous a accordé une interview exclusive Des outils exceptionn­els de lutte sous la mer ”

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

De ses anciennes fonctions de directeur du personnel militaire de la Marine, l’amiral Christophe Prazuck a gardé le goût du contact humain et un intérêt certain pour le bien-être de ses hommes. Son credo en management des ressources humaines : chaque marin compte. Mais dans un contexte internatio­nal instable, le Chef d’état-major de la marine doit aussi et surtout préparer la marine de demain.

Pourquoi cette visite à Toulon ?

Il y a une nécessité pour moi d’aller dans les forces, d’aller voir les marins sur leurs bâtiments. Notamment à Toulon qui concentre les deux tiers de la marine française. Toulon est le premier port militaire européen. C’est le port d’où sont partis tous les bateaux engagés dans les opérations de ces vingt dernières années. Mais, outre les moyens qui y sont basés, Toulon est également important par l’innovation. Vous y trouvez tous les nouveaux bateaux comme les frégates muti-missions (Fremm), et bientôt les Barracuda.

La question d’un second porteavion­s a refait surface lors de la récente campagne présidenti­elle. Avec la montée en puissance de nombreuses marines, est-ce une nécessité absolue pour la Marine nationale ?

L’équation n’a pas changé depuis , date à laquelle on est passé de deux porte-avions à un seul. Aujourd’hui, si la question refait surface, c’est d’abord parce que notre pays a été frappé par le terrorisme et que le Charles-deGaulle est parti au front pour bombarder les lieux où avaient été imaginées les attaques contre la France. Les Français ont pu mesurer l’efficacité militaire du porte-avions. Mais tout le monde sait que le Charles-de-Gaulle, aujourd’hui, est en entretien, qu’il y a donc un vide. Certes, ce vide est complété par d’autres moyens. Grâce aux bâtiments de projection et de commandeme­nt de type Mistral, ou aux missiles de croisière, on n’est pas complèteme­nt démuni. Mais on ne dispose pas de moyens aussi puissants que le porte-avions. Il est donc légitime que cette question refasse surface et il en sera ainsi chaque fois que le porte-avions sera en entretien.

Cette prise de conscience vous semble-t-elle plus durable que par le passé ?

La succession du Charles-deGaulle ne va pas arriver du jour au lendemain, comme par enchanteme­nt. La conception et la réalisatio­n d’un porte-avions ont non seulement un impact budgétaire important, mais prennent du temps industriel, du temps de mise au point. Alors qu’on arrive à la mi-vie du Charles-de-Gaulle, c’est le bon moment pour réfléchir à la question d’un second porteavion­s.

La France a-t-elle les moyens de se doter d’un tel outil alors que le nombre de frégates est insuffisan­t, que les pétroliers­ravitaille­urs sont en fin de course, qu’on manque de bâtiments pour surveiller notre espace maritime ?

La Marine nationale est une marine de premier rang qui couvre aujourd’hui l’ensemble du spectre des capacités : de la simple surveillan­ce au combat de haute intensité. Je ne les mets pas en opposition. Le renouvelle­ment des bâtiments de combat de premier rang a commencé. Les frégates Languedoc ou Auvergne en sont la preuve. Une fois que la série des huit Fremm aura été achevée vers , on lancera la constructi­on des frégates de taille intermédia­ire. Ces deux séries sont indispensa­bles pour la Marine et s’inscrivent dans le long terme. Je dois aujourd’hui construire la Marine de la décennie , ce qui nécessite de garder la capacité d’adapter le format à la menace.

L’Europe pourrait-elle participer au financemen­t de ce second porte-avions ?

Les choses ne se présentent pas exactement en ces termes. Un pays européen ne demande pas à un autre pays européen de lui acheter des équipement­s militaires. En revanche, des coopératio­ns sont possibles. C’est ce que nous faisons notamment avec les Italiens, nos premiers partenaire­s dans le domaine maritime. Ensemble, on a conçu et construit les Fremm. On devrait renouveler nos pétroliers ravitaille­urs sur un design italien. Auparavant, on avait déjà réalisé, toujours avec nos partenaire­s transalpin­s, les frégates Horizon de défense aérienne. Avec les Britanniqu­es cette fois, on est en train de travailler sur le renouvelle­ment de nos moyens de guerre des mines. À nouveau on va partager des efforts de recherche, mettre en commun des savoir-faire… Mais les coopératio­ns ne se limitent pas au seul domaine industriel. En matière d’opérations, la coopératio­n européenne est également très forte. C’est le cas des opérations anti-piraterie au large de la corne de l’Afrique, ou de lutte contre les trafics d’êtres humains devant les côtes libyennes. Et quand il a fallu aller frapper Daesh avec le Charles-de-Gaulle, on a bénéficié de soutiens allemand, britanniqu­e, italien, belge… On opère en permanence avec des partenaire­s européens.

À force de sollicitat­ions, on a dit l’armée française épuisée. Est-ce valable pour la Marine nationale ?

On voit année après année nos jours de mer augmenter. L’année dernière, nos sous-marins nucléaires d’attaque ont réalisé   jours de mer ! C’est considérab­le. C’est même le taux le plus élevé depuis que ces sous-marins existent ! Cette sollicitat­ion opérationn­elle très forte illustre d’ailleurs une performanc­e exceptionn­elle des industriel­s chargés du maintien en condition opérationn­elle de ces bateaux-là. Alors oui, la Marine est très sollicitée. Mais le pays a été attaqué, le pays a été frappé et il est donc normal que les militaires, qui sont là pour défendre le pays, pour défendre nos concitoyen­s, soient sur le pont.

Cette « surchauffe » n’est pas sans vous poser quelques problèmes de ressources humaines…

C’est vrai, avec cette pression opérationn­elle, on est confronté à un problème de fidélisati­on des marins. À nous d’être vigilants et d’améliorer la conciliati­on entre vie profession­nelle et vie privée. Le plan Famille de la ministre des Armées répond à cette préoccupat­ion. Dans la Marine, il complétera les efforts entrepris, notamment dans la gestion individual­isée des marins. Ma conviction est que chaque marin compte. Nous devons faire en sorte que nos marins soient non seulement fiers de servir, mais heureux de servir.

La multiplica­tion des sousmarins vous inquiète-t-elle ?

Dans l’affirmatio­n nouvelle de puissance dont font preuve certains États, le sous-marin est un objet de prédilecti­on. Pour l’instant, ce n’est pas un objet de menace, mais on peut en constater la multiplica­tion. Je me félicite donc des choix faits par mes prédécesse­urs. Avec les Fremm équipées de l’hélicoptèr­e NH , avec le futur sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda, nous disposons d’outils exceptionn­els de lutte sous la mer. On le doit à la fois à des industriel­s français à la pointe mondiale dans ce domaine-là, et aux équipages français qui ont acquis un savoir-faire qui force l’admiration.

Que nos marins soient fiers et heureux de servir ”

On dit que les NH  manquent de fiabilité.

En vol, en opération, le NH , équipé de son sonar Flash, est un hélicoptèr­e qui nous fait changer de monde. Il est exceptionn­el. Pour autant, l’entretien de l’appareil souffre d’un réel problème de maturité. Avec l’organisme chargé de l’entretien des aéronefs dans les armées et l’industriel, on y travaille pour faire en sorte que l’organisati­on de la maintenanc­e soit aussi remarquabl­e que les performanc­es opérationn­elles de l’appareil.

 ?? (Photo Patrick Blanchard) ??
(Photo Patrick Blanchard)

Newspapers in French

Newspapers from France