Alain Lafeuillade le médecin rebelle
Le Toulonnais, spécialiste du sida, publie un livre témoignage dans lequel il alerte sur la situation de l’hôpital public et des patients, et met tout le monde face à ses responsabilités
Le manque de moyens de l’hôpital public, les malades qui prennent leur traitement à la légère, l’abandon de la prévention… Un médecin ne devrait jamais dire ça. Pourtant le docteur Alain Lafeuillade l’écrit dans un livre (1), retraçant 25 ans de lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Ce 1er décembre, journée mondiale du sida, est toujours douloureux pour le chef du service des maladies infectieuses du centre hospitalier Sainte-Musse à Toulon. Aujourd’hui, 35 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde, 140 000 diagnostiquées en France alors que 30 000 autres ignorent leur séropositivité et risquent de contaminer leur partenaire sexuel. Le nombre de nouvelles contaminations est stabilisé autour de 6 000 cas par an.
« Mais la situation s’est complexifiée avec l’arrivée de la prophylaxie pré-exposition autorisée en France en 2016 parce que les gens ne veulent pas mettre de capote ! Le verdict viendra dans deux ans », redoute-t-il, voyant dans la flambée des infections sexuellement transmissibles et une épidémie d’hépatite A cet été dans le milieu gay, des signes inquiétants. « Les jeunes n’ont pas l’image d’une maladie mortelle, beaucoup ne se protègent pas. C’est désespérant ». Le médecin est agacé par les patients n’observant plus leur traitement - la fameuse trithérapie qui a révolutionné la vie des malades - parce qu’ils se sentent mieux. « Parfois je leur dis : le plus fort c’est le virus, c’est lui qui vous tuera ! » Il est ainsi Alain Lafeuillade, franc, direct et rebelle comme ses idoles Brel et Che Guevara. « Je n’ai jamais été politiquement correct, c’est mon caractère de dire ce que je pense ». Cela lui a valu pas mal d’ennuis avec « la caste des directeurs d’hôpitaux » comme il les désigne, et même une garde à vue. Dans son bureau décoré d’objets
rapportés de ses voyages et d’un tableau offert par un patient, le chef d’un service qui a perdu cinq lits et une partie de son équipe, s’en explique : « Ils sont les petits soldats des agences régionales de santé, elles-mêmes à la botte des conseillers du ministère. Nos objectifs ne sont pas les mêmes. Les leurs sont clairement financiers, et nous, on est en charge de malades qui ne rapportent pas. La gestion l’emporte sur le soin, on tue la notion de service public ». Les exemples abondent au fil des pages « et les changements de gouvernants n’y changent rien», regrette-t-il. Alors, pourquoi ce livre ? « C’est le témoignage de quelqu’un qui s’est investi pendant tant d’années contre le VIH » .Et qui a voulu être médecin à 11 ans. La gorge serrée, il reprend :
« la deuxième raison c’est la disparition de mon père, en janvier 2016, de la maladie d’Alzheimer. Je n’ai toujours pas fait le deuil. Lui, l’ancien instituteur si vif intellectuellement, qui a été mon maître aussi, et que j’ai vu décliner… J’ai un petit peu fait le parallèle. Il y a des maladies comme Alzheimer, où on en est comme nous dans les années quatre-vingt-dix. On voit partir les malades et on n’a aucune arme… » Son combat contre le sida passe également par la recherche. Outre ses études cliniques, il se tient informé depuis toujours des avancées scientifiques présentées lors de congrès. Il décide d’en organiser un à Toulon en 1995, faisant venir les meilleurs spécialistes comme le professeur Gallo co-découvreur du VIH qui l’invitera en 2010 à enseigner à l’institut de virologie de Baltimore. Ce congrès a migré à Marseille et réunit tous les deux ans des participants du monde entier. Alain Lafeuillade apprend un jour que des confrères parisiens l’appellent le marginal, jaloux du culot de ce provincial, praticien dans un hôpital non universitaire. Il s’en moque et tacle : « Les plus grands scientifiques, les plus performants sont les plus accessibles. » La guerre contre le sida n’est pas finie et il continue à la mener, avec humanisme, aux côtés des patients et des soignants. « On vieillit ensemble », s’amuse-t-il. Pour l’instant, le virus, que l’on sait seulement contenir, a le dessus. Le Dr Lafeuillade rêve qu’avant son départ à la retraite « on trouve des traitements permettant de guérir un nombre significatif de malades infectés par le VIH. » Ils sont des millions à partager le même espoir.
Je n’ai jamais été politiquement correct ” On m’appelle le marginal ”